Le suicide ou pourquoi j’ai voulu mourir

On dit souvent que les suicidés sont lâches et ne pensent pas aux autres.

J’ai déjà parlé des préjugés sur les tentatives de suicide et je voudrais aujourd’hui parler des raisons que j’ai eues de vouloir me suicider, pour que les gens oublient un peu leurs idées reçues.

J’ai voulu mourir parce que je souffrais trop. Une souffrance de chaque seconde, à tel point que j’envisageais ma vie en secondes restantes. Pas en années, ni en mois ou même en jours, non en secondes. Et ces millions de secondes étaient un comme un vertige, une impossibilité totale à envisager.

Pourquoi ne pensais-je pas à la souffrance que je causerais aux autres en me tuant? Pourquoi en tout cas n’était-elle pas un frein, car si, j’y pensais?  Parce que je me sentais seule, parce qu’aucun psychiatre ne m’avait crue, parce que les autres ne pouvaient pas soulager ma souffrance, parce que je pensais qu’ils seraient mieux sans moi, parce que je ne voyais pas pourquoi je devrais supporter une vie d’enfer (non, je ne voyais pas de fin à cette souffrance) pour ne pas perturber les autres.

Le suicide m’apparaissait comme un acte courageux. Il faut être sûr de ce qu’on fait à 100%, et c’est sans doute pour ça que je ne l’ai jamais fait. Je n’avais pas ce courage, j’avais peur à cause du 0,1% d’espoir qu’il me restait quelque part au fond de moi. C’était trop radical, et l’instinct de survie est puissant, même au fond de l’abîme.

Je rêvais qu’on me trouve en train de me suicider, qu’on me sauve, qu’on me parle, qu’on me croit enfin. Dire qu’il ne faut pas faire attention à ceux qui parlent de suicide est gravissime, parce que c’est justement parce qu’on les écoute qu’ils ne se suicident pas. Ce n’est pas parce qu’ils font du cinéma, c’est parce que quelqu’un leur a tendu la main à temps. Sans cette main tendue, il y a beaucoup de risques que le suicide ait lieu.

Plus tard, je ne voulais plus qu’on me trouve. J’étais si déprimée que je ne suis pas allée voir ma psychiatre, persuadée qu’elle ne pourrait rien faire pour moi. J’avais déjà souffert plus que ça, mais la répétition de le souffrance, au cours des années, est usante. Parfois, ce qui ne te tue pas te rend plus faible. Je savais que j’irais mieux, mais je savais aussi que j’irais mal de nouveau et je n’avais plus la force de me battre. Je n’imaginais plus qu’on puisse me sauver, j’avais fait tout ce qu’il fallait pour ça, aller voir ma psychiatre et prendre mon traitement tous les jours pendant des années. Je ne me suis pas tuée car j’ai pensé aux autres. J’ai jugé que ma souffrance était ma responsabilité et que je ne voulais pas la transmettre à d’autres.

Suicidaire, j’ai toujours pensé à mon rapport aux autres, quelles qu’aient été mes conclusions.

Suicidaire, j’ai toujours fait preuve de courage. Courage parce que je suis restée en vie, mais il aurait été tout aussi courageux de me suicider, d’avoir la force de passer à l’acte.

Chaque personne a ses raisons d’être suicidaire, de passer ou non à l’acte, et on ne peut réduire cela à quelques préjugés. L’important est d’essayer de comprendre ces personnes et d’aller vers elles car, je me répète, mais les préjugés qui vous rassurent nous tuent.

 

14 commentaires »

  1. Hlhl Said:

    Oui, il faut être courageux pour réussir à se suicider, pour le faire en pensant à tout ce que cela implique. Ça en dit effectivement long sur l’état d’esprit de la société quand un psy menace d’hôpital psychiatrique quelqu’un qui a raté son suicide (un commentaire lu récemment) … Est-ce parce que le suicide ne résout finalement rien (faut être lucide quand même) que le passage à l’acte ou même l’idée est si mal jugée ?
    Le suicide reste une erreur à mes yeux, mais qu’attendre des autres quand on ne voit plus d’issues à une angoisse constante ?
    Et même en dehors du champs de la maladie mentale, quelle réponse apporter à quelqu’un qui se sait condamné à plus ou moins long terme par une maladie incurable ? Comment l’aider à surmonter ses angoisses et à profiter des derniers moments potentiellement agréables ?
    Sait-on vraiment ce qu’on attend des autres dans ces moments-là (parce que oui, je pense aussi qu’on attend quelque chose) ?
    Que ferions-nous, nous, qui connaissons les idées suicidaires, face à quelqu’un prêt à passer à l’acte ?

  2. Lana Said:

    Ca fait beaucoup de questions! Pour répondre à la dernière, je peux juste apporter ma compréhension et dire que je m’en suis sortie, même si ce n’est pas grand-chose.

  3. Hlhl Said:

    Beaucoup de questions, auxquelles je n’ai jamais eu les réponses. Les psy éludent souvent, sans doute pensent-ils qu’il est stérile d’écouter quelqu’un avec ces idées.
    Oui, on ne peut sans doute apporter que sa compréhension à une personne suicidaire, et au moins une absence de jugement.
    En tout cas bel article.

  4. Alain Said:

    Oui, un bel article, comme souvent.

  5. Lana Said:

    Oui, une absence de jugement, c’est important. C’est dommage que tes psys aient éludé tes questions, elles sont intéressantes et ce n’est pas stérile de parler de suicide, au contraire.

  6. Anonyme Said:

    Bonsoir,

    Je découvre votre blog, et… j’aurais pu l’écrire
    cela me rappelle tant de souvenirs…

    Il faut garder espoir, cette petite lueur qui nous permet au final de survivre

  7. Lana Said:

    Merci. J’ai de l’espoir, je vais bien maintenant.

  8. MarieVB Said:

    J’ai fait une tentative de suicide le 30 décembre dernier (2016). J’ai disparu pendant 48 heures mais mon copain a fini par me retrouver alors que je faisais une overdose et que je détruisais tout ce qu’il restait de moi (sans entrer dans les détails, j’ai fait le pire qui pouvait être fait à un corps pendant cette « escapade »).
    Je me retrouve beaucoup dans ce que tu as décrit si justement. Onze mois plus tard je réalise que personne ne m’a demandé « pourquoi ? » tellement c’est inhérent à ma personnalité. Bipolaire et malade depuis mes quinze ans (j’en ai 28 aujourd’hui), première ouverture de veines à dix ans. Alors je suis juste la fille bizarre qui rit beaucoup mais ne parle jamais quand ça ne va pas, celle qui écoute toujours les autres lorsqu’ils sont mal, à tel point que j’ai parfois été réduite au statut « d’oreille » et qu’on m’a répété plusieurs fois que je ne m’interessais aux gens ou ne réagissais normalement que lorsqu’ils allaient mal.
    Effectivement il est important de porter une attention très particulière aux personnes qui disent « j’ai envie de mourir et peut-être même que je vais passer à l’acte ». Parce que le fait de ne pas réagir à de tels propos peut pousser la personne qui les tient à se dire que de toutes façons, personne ne perçoit réellement la souffrance incommensurable qui les torture.
    Je me demande à présent si tout ne réside pas dans une identité qu’on a dû cloisonner avec les années pour survivre au monde et aux autres, tenter de dissimuler sa bizarrerie et se renfermer dans une solitude qu’on ne peut plus expliquer avec le temps. Parce que le moi est devenu tellement éloigné de l’image sociale qu’il serait simplement impossible à décrire. Et l’autre, ne pourrait simplement pas croire à une division si forte entre ce qui est montré et ce qui est véritablement ressenti.
    La reconstruction me semble encore aujourd impossible. J’ai peur de tout, tout le temps. Mon psy est heureusement un médecin formidable, extrêmement à l’ecoute Et très prévenant, qui sait que le traitement d’une dépression et de toute autre forme de troublée de la personnalité ne réside pas seulement dans une prescription. Il sait également qu’il y a, même chez lui, encore une grande différence entre ce qui est exprimé et ce qui s’exprime véritablement à l’intérieur.
    Ton article est vraiment « rassurant » à lire. Je me sens moins seule. Merci

  9. Lana Said:

    La reconstruction n’est pas impossible, même si il y a des moments où on le croit. Mais je connais pas mal de gens qui sont passés par des moments vraiment difficiles et sont arrivés à se reconstruire. Je croyais aussi que je ne m’en sortirais jamais et j’y suis arrivée. Crois en toi et j’espère que tu finiras par aller mieux.

  10. Nathalie Said:

    Bon, je vous fous la paix après ça. Mais je voulais quand même vous remercier une dernière fois (comme je découvre votre blog, je lis beaucoup de billets d’affilée.)

    Parce que ça :
    « Le suicide m’apparaissait comme un acte courageux. Il faut être sûr de ce qu’on fait à 100%, et c’est sans doute pour ça que je ne l’ai jamais fait. Je n’avais pas ce courage, j’avais peur à cause du 0,1% d’espoir qu’il me restait quelque part au fond de moi. C’était trop radical, et l’instinct de survie est puissant, même au fond de l’abîme.

    Je rêvais qu’on me trouve en train de me suicider, qu’on me sauve, qu’on me parle, qu’on me croit enfin.  »

    Je ne pense pas que j’aurais pu le formuler avec des mots si simples, sans fausse pudeur ni lyrisme. Je me suis rarement autant reconnue dans les mots d’autrui, alors merci 🙂

  11. Lana Said:

    🙂

  12. Anonyme Said:

    Je suis ni vivant…Ni mort…La mort est la clef de la libération. …Ni le courage d affronter la vie….Ni le courage d affronter le passage de la mort….Nous sommes tous poussière d étoiles d irait Hubert rîves. ..Et heureux ce jour où je rejoindrai l univers. ….Je serai libre et liberera les autres de ma présence. ..Je suis le seul responsable de mon enfer. ..La lumière pour l autre et le côté obscure pour moi…Je suis trop lâche pour affronter la vies et encore plus couard pour me donner la mort….parce qu’elle se mérite. .
    Tel est mon châtiment ! !!!!!!

  13. Lana Said:

    Je pensais la même chose et je m’en suis sortie, j’espère que ça sera aussi le cas pour vous.

  14. cecile Said:

    C’est fou l’instinct de survie… c’est vrai que même pendant toutes ces années de souffrances abyssale je ne suis jamais passée à l’acte…
    Merci pour votre blog lana, je me reconnais pas mal dans beaucoup de vos articles, personnellement je souffre de phobie sociale mais même sur les forums dédiés je n’ai jamais trouvé personne souffrant des même angoisses que moi si destructurantes.


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