Insight or not insight?

Je viens de lire un article (http://www.alainbottero.fr/insight-et-psychose/) passionnant sur l’insight dans la psychose.

On dit en effet souvent que les psychotiques manquent d’insight, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas conscience de leurs troubles. On dévalorise même la parole de certains parce qu’ils en ont trop. En effet, on ne pourrait pas être de « vrais » psychotiques si on a un bon insight, et donc notre parole n’aurait pas à être prise en compte quand on parle de psychose (notez que celle des psychotiques ayant un faible insight n’a pas à être prise en compte non plus puisqu’ils sont trop fous pour en parler).

Je crois que cette croyance en un défaut d’insight dans la psychose mène à de nombreuses maltraitances.

On a souvent refusé de me soigner, ou mal soigner, parce que je m’exprimais trop bien. En effet, un vrai psychotique ne sait pas s’exprimer, apparemment. A 20 ans, pendant un jour et demi, une voix dans ma tête m’a persécutée, j’ai dû la tuer en lui fracassant la tête dans l’évier, l’ensanglantant et la noyant. Je ne sais pas comment relater cette expérience qui fut très éprouvante, alors à la psychiatre je l’ai fait comme je l’écris ici, omettant le passage (la métaphore, si vous voulez) sur le combat dans la salle-de-bains. Comme je ne savais pas identifier cette voix et que je m’exprimais bien, la psychiatre en a conclu que je n’étais pas psychotique et que j’entendais ma propre voix. Genre, à 20 ans, je découvrais qu’on avait une voix intérieure. Alors que pas du tout, cette voix était persécutrice et aliénante, rien à voir avec ma voix intérieure habituelle.

A force d’entendre que les psychotiques n’ont pas d’insight, on finit aussi par souffrir du syndrome de l’imposteur. En effet, puisque je me rends compte de mes troubles, c’est que je ne suis pas psychotique. Et si je ne suis pas psychotique mais que j’ai des symptômes psychotiques, c’est que je fais semblant. Et si je fais semblant, je ne mérite pas d’être soignée. CQFD. Oui, c’est vrai, une partie de moi était détachée de ma folie, effarée par moment. Quand j’ai balancé partout dans la pièce la tête de Jésus que j’avais achetée pour me protéger parce qu’elle ne répondait pas à mes attentes, quand une fois cassée, j’ai fait une crise parce que Jésus allais se venger, alors que je suis athée, je me rendais compte de la bizarrerie de mon comportement, mais je ne pouvais l’empêcher. De l’extérieur, j’avais l’air d’une folle, de l’intérieur, je ne l’étais qu’à moitié (ou au trois-quarts, ou au neuf dixièmes, je ne sais pas). A cette période, je me demandais si j’étais vraiment folle, puisque je ne l’étais pas totalement. Ayant aujourd’hui retrouvé une bonne santé mentale, je sais que je ne faisais pas semblant. Pourquoi aurais-je singé la folie (sans public, faut-il le dire)? Pourquoi sécher les cours pour détruire une tête de Jésus, arpenter la ville avec l’obsession de trouver un couteau de boucher pour me tuer, écrire sur ma cuisse le nom de la personne (imaginaire) qui m’accompagnait pour la retenir, courir dans d’immenses couloirs poursuivie par la mort, et sans jamais en parler à personne? Quand tout ce que je voulais, c’était de la tranquillité?

De ce défaut d’insight, on passe vite à la croyance que les psychotiques ne ressentent rien. Il y a plusieurs années, une stagiaire m’a confiée sur ce blog qu’une infirmière lui avait dit de ne pas caresser la joue d’un patient allongé, parce que « de toute façon, ils ne ressentent rien ». Certains croient aussi qu’on n’a pas d’émotions. Alors que je n’ai jamais eu d’émotions aussi violentes que quand j’étais en crise. Si on n’a pas d’émotions et qu’on ne ressent rien, alors pourquoi lutter contre les maltraitances psychiatriques? Puisqu’elles ne nous toucheraient pas? Quand je raconte mon hospitalisation (qui a été très soft par rapport à d’autres), beaucoup ne comprenne pas le choc qu’elle a créé en moi. Je pense que si je la vivais maintenant, ce ne serait pas du tout la même chose, je veux dire dans l’état psychique dans lequel je suis. Parce qu’il faut se rappeler que j’étais dans un état psychique totalement dégradé (oui, en général c’est pour ça qu’on est là et c’est un peu dommage que certains soignants ne le comprennent pas). Par exemple, j’étais transparente et on m’obligeait à me déshabiller devant trois personnes. Je ne savais plus qui j’étais et on me donnait un uniforme. Etc. A l’époque, parler à quelqu’un était pour moi une épreuve, prendre un bus bondé un enfer, marcher dans la rue me sentir transpercée de regards malveillants. Chaque chose banale était une violence. Alors imaginez ce qu’était une chose objectivement choquante comme arriver dans un service de psychiatrie fermé où vous êtes infantilisé et déshumanisé. Et encore, je le redis, je n’ai vécu que des violences ordinaires, pas d’isolement ni de contention qui peuvent laisser de véritables traumatismes.

J’en aussi souvent entendu dire que les psychotiques n’avaient pas besoin de thérapie par la parole ou n’y étaient pas accessible. Toujours ce défaut d’insight. Alors que oui, les médicaments m’ont aidée à réduire les symptômes, mais je ne me suis pas rétablie grâce à eux, mais grâce à la psychothérapie et surtout à l’entraide avec mes pairs. En parlant, donc, en partageant mon vécu.

Et pour finir, remettre sur le manque d’insight le refus de certains traitements est bien trop facile. Ce n’est pas parce qu’on refuse un traitement quel qu’il soit qu’on manque d’insight, mais peut-être parce qu’on a réfléchi à ce qu’on voulait ou ne voulait pas pour nous. Et oui, on peut se tromper parfois, mais pas toujours. Je lisais il y a quelques temps sur twitter une infirmière déplorer que quand elle amenait des patients aux électrochocs, ses collègues de somatique les traitaient de dingos. Puis elle disait plus loin qu’un patient qui refusait ce traitement manquait d’insight, leur déniant elle aussi leur libre arbitre. J’ai refusé plusieurs traitements et ce n’était pas par manque d’insight: j’ai refusé de voir des psychiatres parce que les deux premiers m’avaient méprisée, j’ai un temps refusé les psychotropes parce que j’en avais peur, je refuse certains neuroleptiques parce qu’ils font grossir et je refuse l’hospitalisation parce que celle que j’ai vécue ne m’a fait que du mal. Toute personne ou presque avec une maladie chronique refuse certains traitements, il n’y a qu’en psychiatrie qu’on peut mettre ça sur un défaut d’insight.

Bref, cette théorie du défaut d’insight ne sert qu’à nous déshumaniser, encore une fois.


Le sens de la folie

Ces temps-ci, on lit sur Twitter qu’on hospitalise en psychiatrie que les gens qui sont dangereux pour les autres ou pour eux-mêmes, qu’on enferme pas les gens pour s’amuser, que quand on est psychotique on ne sait plus prendre de décision dans son intérêt, qu’on ne peut pas faire autrement, que les patients psy ne veulent pas se soigner, que s’ils ne sont pas reconnaissants c’est parce qu’ils ne sont pas guéris, etc.

Alors, vous savez pourquoi j’ai été hospitalisée (en service fermé, en robe de nuit d’hôpital)? Parce que j’ai dit à mon psychiatre que je sentais que j’avais des yeux derrière la tête. Ok, c’est bizarre. Mais est-ce que j’avais déjà été bien plus mal? Oui. J’étais venue aux urgences ce jour-là parce que quelques jours avant j’allais mieux suite au début de ma prise de neuroleptiques et que ce soir-là, j’allais de nouveau mal. Ce n’était pas le pire que j’avais vécu, loin de là, mais c’était un coup dans l’espoir que j’avais ressenti en allant mieux. J’en avais marre. J’allais encore une fois mal. Et c’était une fois de trop, même si je n’étais pas suicidaire à ce moment-là. Est-ce que ça méritait d’être hospitalisée en secteur fermé? Je ne crois pas. Malgré mes hallucinations, j’étais assez lucide, assez en tout cas pour que ça soit moi qui insiste pour repasser par mon appartement prévenir mes colocataires avant d’aller à l’hôpital (on n’avait pas de téléphone fixe, et pas de portables à l’époque). Mon psychiatre ne voulait pas. Mes amies auraient aussi bien pu s’inquiéter et me croire morte ou disparue si je n’avais pas sorti l’argument du produit à lentilles que je devais aller chercher.

Donc l’argument si tu étais en service fermé en uniforme, c’est que tu étais dangereuse, non. Mon psychiatre s’était évidemment bien gardé de me dire à quoi ressemblait le service, sinon il est évident que j’aurais refusé l’hospitalisation. Parce que oui, je savais ce qui était bon pour moi. Et ce n’était pas ça.

Parfois on fait des choses folles, ou qui semblent folles, mais ce n’est pas pour ça qu’elles n’ont pas de sens.

Quand je courais seule dans les couloirs d’un centre de formation, c’est parce que la Mort me suivait.

Quand je me tailladais les mains ou les poignets, c’est parce que ça soulageait mes crises, ou que c’était ça ou me tuer.

Quand je vivais dans le noir, les volets tirés, c’est parce que le contraste du soleil avec ma douleur intérieure faisait trop mal.

Quand je parlais seule, tenant des dialogues pendant des heures avec des gens absents, c’était pour me préparer à des dialogues réels ou refaire des conversations passées.

C’était des comportements bizarres pour les autres, mais qui avaient du sens pour moi.

Peut-être que j’avais perdu le sens commun, comme on dit, mais pas le sens tout court.

Et avec ce sens qu’il me restait, oui, je savais de quoi j’avais besoin.

Ce n’était pas d’être surshootée aux médocs, n’être rien était pire que d’être folle.

Ce n’était pas d’être enfermée non plus. Je l’ai dit, j’ai été bien plus mal que le jour où j’ai été hospitalisée. Je me suis promenée en pissant le sang, métaphoriquement et littéralement aussi (vu que je passais mon temps à me couper avec ce que je trouvais par terre). J’ai vécu transparente, avec mes pensées volées, sans peau, avec le monde qui tournait trop vite, les immeubles qui s’effondraient autour de moi, les escaliers sous mes pas, avec un monstre qui me guettait dans la chambre, dans la salle de bains, en classe, etc. J’ai passé des soirées entre amis à essayer de trouver le courage d’aller me jeter d’un pont, des heures de cours à pleurer ou à flotter hors de mon corps. J’ai pleuré dans des dizaines d’endroits différents. J’ai vécu hors de moi. Je suis restée dans l’autre monde pendant des mois et des mois. Et pourtant, j’ai fait des études pendant ce temps-là. Je n’étais pas enfermée (sans doute parce que personne ne se souciait de moi). Oui, j’ai pu donner l’illusion de vivre dans le monde réel pendant ces années, au prix d’une lassitude extrême, c’est vrai, mais je ne le regrette pas.

On me disait d’arrêter mes études. Je disais non.

On me disait de prendre des doses de médicaments qui m’abrutissait. J’ai arrêté.

On m’a enfermée. J’ai menti pour partir.

Pas parce que je ne voulais pas qu’on me soigne. Je ne voulais que ça, depuis le début. Je ne rêvais que de ça. Je ne voulais juste pas qu’on me soigne comme ça. Je voulais quelqu’un qui m’écoute, qui me réconforte, qui me donne de l’espoir, qui me comprenne. Ce n’est pas quelque chose qui coûte si cher (puisqu’on évoque toujours le manque de moyens) mais c’est quelque chose de rare.

Je voulais quelqu’un qui s’éloigne assez du sens commun pour ne pas pousser des cris d’orfraie devant la folie, quelqu’un qui comprenne le sens qui est caché dedans. C’est tout.

La langue de ma folie

L’espagnol est la langue de ma folie.

Ma schizophrénie a l’accent d’Estrémadure.

Aujourd’hui, j’ai lu le terme ingreso (hospitalisation) et ce mot m’a sauté au visage, avec la douleur d’il y a plus de vingt ans, parce que c’est moi dans ma robe de nuit bleue d’hôpital, c’est ce mot dans la bouche de mon psychiatre, dans la mienne, c’est la fin de quelque chose, pour moi, d’en être arrivée là.

Il n’est rien d’autre pour moi, ce mot que je n’utilise pas au quotidien, contrairement à sa traduction française.

Le mot est la chose, et tout ça, en espagnol bien plus qu’en français.

L’espagnol, c’est la langue qui servait de traduction à ma folie. Elle bouillonnait dans ma tête en français, je devais la transcrire en espagnol pour espérer que quelqu’un m’en sauve.

L’espagnol, c’est la langue de Lucia, ma psychiatre que j’aimais tant, à la folie là encore

L’espagnol, c’est donc une langue qui me fait toujours un peu du mal, qui me rend fragile.

Il y a le wallon que parlait que parlait mes grands-parents entre eux, que je comprends sans le parler, il y a le néerlandais que j’ai appris depuis l’enfance et dont j’ai quasi tout oublié, l’allemand qu’on m’a contrainte à étudier et dont je ne me souviens de rien, il y a l’anglais que j’ai appris et qu’on entend partout et puis il y a l’espagnol. J’ai vécu en espagnol, j’ai rêvé en espagnol, je suis presque morte de folie en espagnol. Ce n’est pas une langue comme les autres, pour moi.

C’est une langue que j’aime profondément, c’est une langue qui me blesse aussi, c’est une langue chargée de souvenirs.

Il y a comme des bris de verre dans certains mots, ceux liés à la psychiatrie, à l’hôpital, à la schizophrénie. Ces mots sont comme les odeurs et les goûts qui nous replongent des années en arrière, toute sensation intacte, sans qu’on s’y attende.

Ces mots sont de petits éclats de bombe qui explosent dans mon cerveau quand ils remontent à la surface.

Je crois que je ne retournerai pas à Cacéres, lieu de ma folie. Mais l’espagnol, langue de ma folie, reste en moi à jamais.

« Autopsie des échos dans ma tête », Freaks, Lapin

Un livre salutaire, parce que d’habitude, les fous, on ne les entend pas. Ce sont leurs familles ou leurs médecins qui parlent pour eux. Ici, Freaks nous ouvre son cerveau pour nous parler de ses symptômes, de sa folie, mais aussi de sa prise en charge psychiatrique, de sa découverte de l’antipsychiatrie, de médicaments, d’amour et d’espoir.
Il faut livre ce livre parce que d’une part les livres écrits par des gens concernés par la folie sont trop rares pour qu’on passe à côté, mais aussi parce d’autre part il est de qualité et se paie en plus le luxe d’être drôle et inventif.

Avant de changer le nom de la schizophrénie

On parle beaucoup de changer le nom de la schizophrénie pour réduire la stigmatisation.

C’est un sujet complexe, mais je pense qu’il y a deux trois choses qu’on pourrait faire et qui me paraissent plus urgentes que le changement de nom.

On donne souvent le Japon en exemple, où on est passé d’un mot signifiant « maladie déchirée de l’esprit » à « trouble de l’intégration » et où ça permet un plus grand nombre de diagnostics.

On voit donc qu’on parle de deux choses différentes: réduire la stigmatisation et permettre aux médecins d’être plus à l’aise en annonçant un diagnostic.

On a déjà abandonné le terme de démence précoce, parce qu’il était stigmatisant, pour celui de schizophrénie, qui l’était moins. Aujourd’hui, retour à la case départ. Cela permettrait donc aux grand public de moins nous stigmatiser d’un côté et de l’autre aux médecins de ne pas nous cacher notre diagnostic. Quand on voit que certains dans le grand public (et même dans des publics plus restreints) confondent encore handicap mental et maladie mentale, je pense qu’il y a bien des bases à reprendre avant de changer le nom de la schizophrénie. Quant aux médecins, ils ne sont pas censés cacher un diagnostic, aussi grave soit-il, et je crois surtout que c’est à eux de le déconstruire avec le patient. Quand je suis tombée malade et que j’ai commencé à me renseigner tant bien que mal sur les maladies mentales (avant et au début de l’ère internet, donc bien avant d’avoir la possibilité de partager des informations facilement sur un sujet aussi tabou), et quand j’ai reçu pour la première fois le diagnostic de schizophrénie, c’est vrai que j’ai pensé que mon avenir était entre les quatre murs d’un HP. Pensez-vous qu’un soignant a eu l’idée de me détromper? De m’interroger sur mes représentations? Non. Pas un seul. J’ai juste eu droit à « tu devras toujours prendre des médicaments et être suivie par un psychiatre ».

Un autre problème, qui contribue à la stigmatisation, est que notre parole est trop souvent confisquée. En France, une association d’usagers est le plus souvent en réalité une association de proches. Ceux qui disent « nous, les usagers », ceux qui sont là pour soi-disant protéger nos droits (mais en réalité plutôt les leurs), ne sont pas les fols mais leurs familles. Et ça, ça pose un sacré problème. Les intérêts ne sont pas les mêmes pour les usagers et les familles, comme ils ne sont pas les mêmes pour les médecins et les usagers. On peut sans doute s’unir sur certaines choses, mais il est essentiel que chacun parle en son nom et uniquement en son nom. Sinon, il s’agit de paternalisme, de ne pas nous laisser exercer nos droits, de ne pas nous considérer comme des adultes. Et ça, c’est très stigmatisant. Si on n’est pas digne de confiance, le grand public a donc raison de se méfier et les médecins de ne pas s’adresser à nous en égaux. Donc, la première chose à faire, avant de changer de nom, serait d’écouter les personnes concernées directement par cette maladie, et, si les choses ont un peu changé ces dernières années, on en est encore très loin.

Ecoutez-nous sur notre expérience de la maladie, de la psychiatrie, des médicaments ou de leur absence.

Ecoutez-nous quand nous revendiquons des droits (déconjugalisation de l’AAH, bonjour).

Ecoutez-nous sans nous réduire à une maladie.

Ecoutez nos craintes, nos espoirs, nos envies.

Ecoutez-nous si vous voulez vraiment comprendre la folie.

Ecoutez-nous et arrêtez de parler à notre place.

Ecoutez-nous, bordel!

Si le changement de nom permet tout ça, alors je dis oui.

PS: un article intéressant sur le changement de nom: https://www.franceculture.fr/societe/schizophrenie-2019-lannee-du-changement-de-nom

Des personnes concernées à écouter: https://commedesfous.com/ et Dandelion – Medium

« Plongée dans l’été », Sara Stridsberg, Sara Lundberg, Gallimard jeunesse

.Le papa de Zoé a disparu. Elle finit par apprendre qu’il est à l’hôpital psychiatrique parce qu’il ne veut plus vivre. Comment est-ce possible, alors qu’elle est là? « Plongée dans l’été » est un splendide album qui évoque avec douceur et espoir la dépression d’un parent.

« Nellie Bly, dans l’antre de la folie », V. Ollagnier-JOuvray, C. Maurel, Glénat

Une BD passionnante.

En 1887, à New York, Nellie Bly, journaliste, se fait passer pour folle et est internée à l’asile de Blackwell, où elle découvre des conditions de vie indignes: faim, froid, coups, femmes internées jusqu’à la fin de leurs jours sous les prétextes les plus futiles. Son reportage fera scandale.

« De l’asile à la psychiatrie moderne. Quand les fous n’étaient pas des hommes », J. Boutier et P. Devienne, Jourdan

Le témoignage d’un infirmier psy des années 50 aux années 80. C’est intéressant, même si évidemment gros TW violences psychiatriques. Le livre a été écrit en 1986, d’où le titre, parce que l’auteur croyait vraiment à une évolution positive de la psychiatrie, ce qui est remis en cause par son beau-fils qui présente le témoignage. L’auteur est passé de l’asile vétuste avec des gardiens et des camisoles et aucune activité, à un HP moderne avec des infirmiers et des patients libérés de leurs entraves, avec des activités, des ateliers, des sorties, et pensait que ça allait aller dans le même sens dans les années à venir et que le secteur rendrait même l’HP quasi inutile. Du coup, ça fat aussi un peu mal au coeur.

Le témoignage montre bien à quel point les changements à l’asile ont été difficiles, on se méfiait de toute innovation, de toute initiative. Par exemple, quand les infirmières sont arrivées, les gardiens ont dit « c’est pas possible, elles vont se faire violer ».dem pour les sorties en groupe, les infirmiers allaient forcément perdre des patients. Pour les neuroleptiques, les gardiens s’en méfiaient et trouvaient que les camisoles étaient déjà une amélioration par rapport aux chaînes. Etc.

« A la folie », Joy Sorman, Flammarion

Quatrième de couverture

« Ce jour-là j’ai compris ce qui me troublait. Peut-être moins le spectacle de la douleur, de la déraison, du dénuement, que cette lutte qui ne s’éteint jamais, au bout d’un an comme de vingt, en dépit des traitements qui érodent la volonté et du sens de la défaite, ça ne meurt jamais, c’est la vie qui insiste, dont on ne vient jamais à bout malgré la chambre d’isolement et les injections à haute dose. Tous refusent, contestent, récusent, aucune folie ne les éloigne définitivement de cet élan-là. » Durant toute une année, Joy Sorman s’est rendue au pavillon 4B d’un hôpital psychiatrique et y a recueilli les paroles de ceux que l’on dit fous et de leurs soignants. De ces hommes et de ces femmes aux existences abîmées, l’auteure a fait un livre dont Franck, Maria, Catherine, Youcef, Barnabé et Robert sont les inoubliables personnages. À la folie est le roman de leur vie enfermée.

Biographie de l’auteur

Joy Sorman est née en 1973. Elle se consacre d’abord à l’enseignement de la philosophie avant de se diriger vers l’écriture. En 2005 paraît son premier roman, Boys, boys, boys, lauréat du prix de Flore. En 2013, elle reçoit le prix François-Mauriac de l’Académie française pour Comme une bête. En 2014, La Peau de l’ours est sélectionné dans la liste du prix Goncourt. À la folie (Flammarion 2021) est son quatorzième livre.

Des rencontres

Jusqu’à aujourd’hui, je n’arrivais pas bien à résumer mon processus de rétablissement. Cet après-midi, j’ai participé à un cours en ligne pour témoigner de mon parcours, entre autre. Je me suis demandée comment j’allais résumer les choses si on me demandait comment je m’étais rétablie. Et cette question est venue. J’ai parlé de mon changement de traitement, de mon changement de psychiatre, de ma fréquentation d’un forum sur la schizophrénie puis de la rencontre de certaines personnes de ce forum dans la vie réelle. Et l’étudiante qui m’avait questionnée a résumé les choses ainsi: c’est la rencontre qui vous a permis de vous rétablir.

Ca m’a paru comme une évidence. Ca me paraît même bête, et totalement incroyable, de ne pas y avoir pensé avant. Oui, ce sont des rencontres qui m’ont permis de commencer à relever la tête, à avancer.

Avant ces rencontres, j’étais très seule, à une exception près, un ami très proche à qui je pouvais parler. Mais j’ai commencé à être malade dans la solitude. Ma famille ne comprenait pas mes troubles et m’engueulait au lieu de me chercher à me comprendre. Un an après le début de mes troubles, j’ai rencontré cet ami, qui n’allait pas bien lui non plus, et j’ai enfin pu en parler à quelqu’un. Je me souviendrai toujours de cette nuit où je lui ai dit que je me coupais, que j’allais mal. Je n’oublierai jamais ses paroles: « Ca ne m’est pas du tout étranger ». Je croyais être seule dans l’autre monde, et enfin j’avais quelqu’un avec moi. J’étais toujours emmurée mais nous étions deux. Avec lui, j’ai essayé de trouver quelqu’un pour me soigner. C’était le début d’une longue errance médicale, entre mépris, indifférence et impossibilité de me faire suivre par les personnes que j’appréciais (parce qu’il y avait une liste d’attente, parce que c’était la psychologue de la fac et que je changeais d’université). Après sept ans, j’ai enfin trouvé quelqu’un qui m’écoutait et me répondait, et qui a confirmé le diagnostic de schizophrénie qui m’avait été donné puis retiré en Espagne. Ce diagnostic, aussi terrible soit-il, a été un soulagement. D’abord, parce que je m’en doutais, ensuite parce qu’il mettait enfin un mot sur mes problèmes. Il m’a permis de me sentir légitime pour fréquenter un forum consacré à cette maladie et rencontrer des gens qui en souffrait. Aujourd’hui, tous mes amis souffrent d’un problème de santé mentale (pas forcément la schizophrénie). Je ne les ai pas choisi pour ça, mais c’est un plus, quelque chose qui fait qu’on se comprend, qu’on peut parler de ce qui est tabou avec les autres, qu’on peut en rire aussi.

Ce sont toutes ces rencontres qui ont participé à mon rétablissement, qui l’ont initié.

J’ai souvent râlé sur les gens qui m’ont mis des bâtons dans les roues, sur les dysfonctionnements du système de soin, sur ceux qui ont détourné les yeux. Ce soir, je voudrais dire merci à ces personnes que j’ai rencontrées et qui m’ont aidée.

Dans l’ordre chronologique:

Jean-Philippe, bien sûr, le premier à qui j’ai parlé.

Le Dr D., qui m’a donné mon diagnostic sans tourner autour du pot.

Les participants du forum schizophrénie d’atoute (même si Dieu sait que je m’y suis aussi énervée, j’y ai rencontré de belles personnes). Parmi eux, Véronique, Stéphanie, Hervé, Hélène et Cécile.

Laurent, qui en écrivant une pièce de théâtre à partir de mon journal, m’a redonné l’envie d’écrire et confiance en moi.

Le Dr. H., qui a été mon super médecin généraliste pendant plusieurs années, qui a été là quand ma psychiatre était absente, qui m’a écoutée, respectée et qui me manque.

Le Dr. G., qui a été ma psychiatre pendant trois ans et m’a si bien soutenue et fait réfléchir (et qui me manque aussi).

Le Dr de B., ma psychiatre actuelle.

Et bien sûr tous mes amis actuels. Thomas, Pascale, Laura, Charline.

Je ne sais pas où je serais sans toutes ces rencontres. Je tiens à vous tous plus que tout.

Et je n’oublie pas ceux qui se tiennent à mes côtés sans que je leur parle de ma maladie, ma famille et mes collègues, tout aussi important.

Et il y a aussi eu des tas de petites rencontres, des gens croisés ici et là, pour quelques heures seulement à un colloque ou une formation, que je ne pourrais pas tous citer, qui m’ont permis de me sentir légitime dans ma parole, de partager, de réfléchir, bref d’être en relation.

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