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« On ne veut pas mettre d’étiquette »

J’ai eu plusieurs psys qui refusaient de faire un diagnostic et disaient qu’ils ne voulaient pas mettre d’étiquette, qu’ils ne voulaient pas que je m’identifie à une pathologie.

Déjà, je les soupçonne fort d’avoir fait leur diagnostic mais de refuser de me le dire, ce qui est très différent. Ca donne au psy un pouvoir sur nous. Il sait quelque chose sur nous qu’on ne sait pas et refuse de le partager, ce qui est très paternaliste.

Ensuite, pour ce qui est en de s’identifier à la pathologie, pour moi ça été le contraire. Dire « je ne veux pas que vous vous identifiez à une pathologie » veut dire qu’il y a bien une pathologie. Mais laquelle? Quand je ne le savais pas, ça me rendait folle. Je voulais savoir à tout prix, je suppliais mes psys en pleurant, mais rien n’y faisait. Je ne savais plus quelles étaient mes vraies pensées et quelles étaient mes pensées folles, c’était vertigineux. J’essayais de comprendre dans les livres, j’hésitais entre plusieurs diagnostics. Je me souviens avoir lu un livre où le héros dépressif déchiquetait son emballage de hamburger, comme moi, et je me suis dit oh mon Dieu, même ça c’est dû à ma maladie? Je ne savais vraiment plus qui j’étais, je me sentais engloutie par la maladie, cette entité dévorante qui n’avait pas de nom.

Quand un nom a été mis, oui, ça a fait mal, je ne vais pas le nier. Personne n’aime entendre qu’il est schizophrène, le mot qui fait peur, le mot pour dire la folie. Mais, enfin, il y avait un mot, et c’était bien mieux que d’avoir une maladie qui n’a pas de nom. Je ne me suis pas réduite à cette maladie. Au contraire, quand elle n’était pas nommée, j’y étais soumise, elle m’accaparait. Là, j’ai pu la mettre à distance, comme un objet que j’aurais pris dans ma main et fait tourner pour l’observer sous toutes les coutures. J’ai pu poser des questions sur la schizophrénie, ce qui était impossible tant qu’elle n’avait pas de nom, j’ai pu parler de mes peurs, j’ai pu parler avec des gens qui en souffraient aussi, j’ai pu lire des livres dessus. Ce n’était plus un magma informe dans lequel j’étais embourbée, avec des gens qui me regardaient en pensant « on sait ce que tu as mais on ne va rien te dire, on ne va pas te donner les armes pour en sortir ».

Peut-être que certaines personne s’identifient à leur maladie quand on leur donne un diagnostic, je ne sais pas, et je sais que ça part d’une bonne intention de la part des psys, mais ce que je vois surtout c’est que les grands principes peuvent vite tomber dans la paternalisme et la maltraitance quand ils deviennent des dogmes et qu’on n’écoute pas ce que ressent le patient.

 

Fronde contre la psychiatrie à outrance

ENQUÊTE La nouvelle édition du DSM – 5, l’ouvrage américain qui fait autorité dans le monde de la maladie mentale, élargit le champ des troubles et des traitements. Ses opposants donnent de la voix.

Par ERIC FAVEREAU

Tous fous, comme le suggère le DSM – 5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, et 5 pour cinquième édition)? Dans quelques jours, vous aurez la réponse : la nouvelle bible du diagnostic psychiatrique sera rendue publique à l’occasion du congrès de l’APA (l’Association des psychiatres américains) qui se tient du 15 au 18 mai à San Francisco. Le DSM – 5 est l’ultime version d’un ouvrage qui règne sur la psychiatrie mondiale en décrivant, une par une, les 450 pathologies mentales qui nous menacent.

Alors que faire ? Se cacher ? Et si nous étions tous un peu moins fous que les auteurs ne l’écrivent ? Car pour la première fois, la colère gronde, des pétitions et des manifestes circulent, y compris outre-Atlantique, pour «dénoncer cette psychiatrisation à outrance de nos modes de vie». Au point qu’aux Etats-Unis, le très sérieux National Institute of Mental Health prend ses distances.

Frontière. «On doit se battre», dit avec force le psychanalyste Patrick Landman, qui préside en France le collectif «Stop DSM – 5». Et énumère les dangers qui nous guettent : «Non au surdiagnostic, non à la pathologisation de la vie quotidienne, non à la surprescription médicamenteuse.» On pourrait en sourire, comme on se moque du dernier jeu vidéo, dégager en touche et pointer le réflexe antiyankee, mais l’enjeu est réel. Et crucial puisqu’il concerne la frontière sans cesse redéfinie entre le normal et le pathologique. «C’est le triomphe du symptôme, la mort du sujet avec son histoire personnelle et singulière», insiste Patrick Landman qui ajoute, avec gravité :«Aujourd’hui, si vous voulez publier dans une grande revue psychiatrique internationale, vous devez passer par la grille DSM. En France, dans les universités de médecine, c’est la seule grille nosographique qui est enseignée. C’est elle qui façonne, c’est elle qui décide.»

Querelles d’experts tatillons ? Pas tout à fait. Un exemple de ces implications quotidiennes : jusqu’ici, le deuil pathologique renvoyait à une souffrance de plus de deux mois. Avec le DSM – 5, ce sera quinze jours. «Je peux vous annoncer, dans les années à venir, de nouvelles épidémies avec ces nouveaux diagnostics», lâche le pédopsychiatre Guy Dana. Autre cas de figure, l’apparition chez les personnes âgées d’un trouble dysfonctionnel de l’humeur («trouble mental mood disfunction»). «Il y a une volonté de prévoir la maladie d’Alzheimer, pourquoi pas ? Le DSM – 5 crée ce symptôme, c’est-à-dire la survenue de petits troubles cognitifs avec l’âge. Ils vont faire des tests, les répertorier, et puis… On traite, mais on traite quoi ?» poursuit le DrDana. Un nouveau diagnostic nécessitant un nouveau traitement, le cercle vicieux est enclenché.

Autre exemple, plus léger : vous avez trois ou quatre accès de gourmandise dans le mois. Est-ce grave, docteur ? L’hyperphagie surgit dans le DSM – 5. Ce diagnostic est construit à partir d’un symptôme qui se définirait comme un trouble des conduites alimentaires sans vomissement. Et hop, on vous diagnostique, vous êtes étiqueté, et pourquoi pas, on vous traite. «Aucun doute, dans quelques mois des articles dans les revues psychiatriques pointeront une épidémie d’hyperphagie», ironise Patrick Landman. Le danger est là. Avec le DSM – 5, le pathologique envahit toute la sphère du quotidien : tous les dix ans, l’usage de ce manuel agit comme une pieuvre qui prendrait dans ses tentacules tous les gestes de la vie quotidienne.

Pourfendeur. Paradoxalement, l’attaque la plus sévère contre cette bible est venue de l’intérieur. Lancée par le professeur américain Allen Frances, le responsable du groupe d’experts qui a abouti à la publication en 1994 du DSM – 4. «Invité à un cocktail de l’American Psychiatric Association, j’y ai retrouvé beaucoup d’amis. Ils étaient très excités par la préparation du DSM – 5, raconte-t-il dans un entretien à la revue Books. L’un parlait d’une nouvelle possibilité de diagnostic, celle du risque de psychose. Il serait désormais envisageable de prévoir qu’un jeune deviendra psychotique. J’ai tenté de lui expliquer le danger d’une telle idée : nous n’avons aucun moyen de prédire qui deviendra psychotique, et il y a fort à parier que huit jeunes sujets ainsi labellisés sur dix ne le deviendront jamais. Le résultat serait une inflation aberrante du diagnostic, et des traitements donnés à tort à des sujets jeunes, avec des effets secondaires graves.» C’est comme ça que lui, l’artisan du DSM – 4, est devenu le pourfendeur du DSM – 5.

Quand on l’interroge sur les conséquences du DSM – 5, Allen Frances répond : «Il faut faire très attention quand on pose un diagnostic, surtout sur un sujet jeune. Parce que, même s’il est faux ou abusif, ce jugement risque de rester attaché à la personne toute sa vie.» Et le psychiatre d’ajouter : «Les données épidémiologiques sont structurellement gonflées. C’est l’intérêt des grandes institutions publiques de recherche, aux Etats-Unis, de se référer à des données surévaluées. Cela leur permet de décrocher davantage de crédits. Les compagnies pharmaceutiques, elles, tirent argument des taux élevés pour dire que beaucoup de malades ne sont pas identifiés et qu’il faut élargir le marché.»

On aurait tort de prendre à la légère ces dérives potentielles. «Tout nouveau diagnostic cible des gens, qui vont ensuite recevoir des psychotropes. C’est une machine infernale», insiste Patrick Landman, qui vient de publier un livre sur le sujet (1). «Si au moins cela marchait», lâche-t-il. Dans les pays de l’OCDE, la consommation d’antidépresseurs a augmenté en moyenne de 60 % entre 2000 et 2009, et pourtant rien n’indique que le taux de dépression ait diminué. En Islande, plus gros consommateur de ces molécules dans le monde, le taux de suicide reste stable depuis dix ans.

«Le plus grave, insiste Patrick Landman, c’est le règne de la pensée unique.» «Ce qui m’inquiète, conclut le Dr Tristan Garcia-Fons, pédopsychiatre, ce sont les ravages chez l’enfant. Le DSM -5 fabrique des enfants anormaux. Tout enfant qui s’écarte de la norme devient malade. C’est pour cela qu’il ne faut surtout pas se taire.»

(1) «Tristesse Business, le scandale du DSM – 5», Max Milo, 12 €.

http://www.liberation.fr/societe/2013/05/07/fronde-contre-la-psychiatrie-a-outrance_901586

Monsieur Rufo, votre mépris, on n’en veut pas!

Voici une question posée lors de l’émission « Allo Rufo » du lundi 3 décembre 2012 sur France 5 :

Monique :

« Ma fille de 28 ans va mal. Elle est addict aux médicaments et nous avons dû l’hospitaliser. Depuis, elle nous dit avoir été abusée sexuellement dans sa petite enfance. Est-il possible que ce soit une réalité ? »

Dr Rufo :

« L’immense majorité des enfants « abusés » vont bien ! … à distance après le sévice… ils ont bien sûr des craintes un peu précises, mais elles vont bien dans leur vie amoureuse, sexuelle, personnelle, professionnelle… donc, en quelques sortes, un abus ne peut pas entrainer un tel dégât sauf si la vulnérabilité et la fragilité du sujet vient faire que l’abus renforce cette pathologie d’organisation. Là, dans ce que vous décrivez, c’est complètement fantasmatique, ça fait partie peut-être de son organisation un peu plus de reconstruction délirante du monde où un ennemi, un agresseur existe, fondu comme ça dans son histoire.

La première chose à faire, c’est de vérifier auprès de la personne citée les choses, de dire :

« voilà, notre fille dit ça, qu’en pense-tu ?», en plus, c’est respecter votre fille que de tenir compte de sa parole, puisqu’elle cite quelqu’un, il faut vérifier les choses. »

Monique :

« Moi je souhaiterais justement en parler à la personne en question, ensuite, est-ce qu’il faut que ça se fasse en sa présence à elle ? »

Dr Rufo :

« Non, je crois que ça doit se faire vous. D’abord, est-ce qu’il faut le rendre juridique ou non ? La mode, la loi même c’est de dire signalement, c’est de dire signalement mais en même temps, il y a quelque chose qui… alors moi je suis très favorable au signalement des enfants mais en même temps, je m’étonne de quelque chose, lorsque par exemple, il y a enquête ou examen, expertise et que finalement on aboutit à un non lieu, souvent, certains parents disent « nous on croit ce qu’a dit l’enfant » alors que visiblement c’est une organisation fantasmatique de crainte et tant mieux ! Parce que tant mieux, parce que personne ne souhaite l’abus. Non, là, en l’occurrence, compte tenu des troubles, de l’HDT, ce n’est pas un irrespect de la part de votre fille, ce n’est pas parce qu’elle est en psychiatrie que sa parole ne doit pas être entendue, attention à ce que je vous dis. Mais en même temps, le malade mental, le délirant reconstruit un monde parce qu’il ne peut plus percevoir le monde et ce monde est peuplé d’ennemis, d’événements dramatiques, d’histoires comme ça. Il vaudrait mieux que vous vous rapprochiez aussi du service où elle a été hospitalisée pour un suivi en hôpital de jour, un suivi régulier pour que quelque chose soit entreprit avec elle pour la reprise d’activités, pas seule, pas confinée, pas hospitalisée chez vous mais en relation étroite avec le service de psychiatrie adulte pour qu’il l’accompagne ou un foyer occupationnel, ou un placement ou une formation et un suivi. Ne l’abandonnons pas à sa pathologie et merci de votre appel. »

http://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/president-de-la-r%C3%A9publique-stop-%C3%A0-la-d%C3%A9sinformation-sur-les-violences-sexuelles-faites-aux-enfants

Cher monsieur Rufo,

je ne vais pas vous parler de votre scandaleuse vision de l’abus sexuel, qui ne serait un problème que chez un enfant ayant une pathologie, d’autres l’ont fait, mais de votre vision des psychotiques qui me semble bien limitée pour un éminent pédopsychiatre tel que vous.

Selon vous, savoir qu’une personne que vous n’avez jamais vue  souffre d’addictions et est en HDT suffit à établir une diagnostic aussi lourd que celui de psychose. Permettez-moi de vous trouver bien léger quant à l’éthique de votre métier. Je trouve également très étonnant que vous ne sachiez pas qu’on signe des HDT à tour de bras sans même parler aux patients, et qu’une HDT n’a jamais suffit à établir un diagnostic de psychose. Même le DSM n’y avait pas pensé, mais vous l’avez fait!

Ce diagnostic maintenant solidement établi, vous en concluez donc logiquement que cette jeune fille ne peut pas dire la vérité lorsqu’elle dit avoir été abusée. Forcément, tout cela est fantasmatique et délirant (merci au bon docteur Freud). Oui, car comme chacun sait, les psychotiques délirent, fantasment et ne vivent rien de réel. La psychose préserve de tout évènement traumatique réel, comme elle préserve visiblement de la moindre considération du corps psychiatrique. Le psychotique ne raconte rien de vrai, n’a rien vécu de difficile, et surtout pas un abus sexuel qui aurait pu déclencher ses troubles. Attention, dites-vous, le respect est dû à la parole de cette jeune fille, mais en gardant bien en tête qu’elle est délirante. Ce n’est pas de sa faute si elle ment, ne la condamnons pas, mais ne soyons quand même pas bête au point de penser seulement à la croire! Ca me rappelle une histoire qu’a vécu une de mes amies récemment: elle téléphone à une amie psychotique en HDT, et l’infirmier ne veut pas la lui passer, ne comprenant pas pourquoi, n’étant pas de la famille, elle veut lui parler. C’est vrai, les psychotiques n’ont pas d’amis, le contraire serait impensable. Qui pourrait se soucier sincèrement de ces pauvres malades ne sachant que délirer à part leur brave et courageuse famille?

Votre vison des psychotiques est pour le moins méprisante. Vous n’imaginez pas une seconde qu’ils peuvent aussi ne pas délirer, avoir une vie faites d’évènements réels dont ils puissent parler objectivement,  vivre des traumatismes autres que fantasmatiques. Ne parlons même pas de ce qu’il pourrait y avoir de bien dans leur vie, je suppose que cela ne vous a jamais effleuré.

Vous n’êtes évidemment pas le seul coupable de cette vision réductrice de vos patients, elle est malheureusement partagée par beaucoup de vos confrères.

Mais vous savez quoi, Monsieur Rufo, et c’est une psychotique debout qui vous le dit, vos diagnostics de comptoir, on n’en veut pas. Votre mépris, il est pire que celui que la société à envers nous et il nous fait gerber. Votre condescendance, gardez-la car on n’en a pas besoin. Des psychotiques debout, il y en a plein, et cela malgré les idées que vous partagez avec certains de vos confrères qui font tout pour nous briser avec un sourire bienveillant et la conscience tranquille. Car dans ce monde, il y a aussi des gens bien, des amis, et des personnes qui nous respectent, même si on les trouve rarement en psychiatrie. Arrêtez de parler des psychotiques si c’est pour le faire avec un tel mépris, et arrêtez de psychiatriser à tout va des personnes que vous n’avez jamais vues, c’est ce que vous pourriez faire de mieux.

Les diagnostics délirants de la psychiatrie américaine

«Addiction à Internet», «Amertume» et «shopping excessif» pourraient devenir des troubles du comportement.

Si la carrière florissante de Madeleine Wickham nous a appris une chose, c’est bien que l’addiction au shopping rapporte. Sa série consacrée à «L’accro du shopping», écrit sous le nom de plume «Sophie Kinsella», est bien connue de toutes les amatrices de «chick-lit». La comédie romantique «Confessions d’une accro du shopping», première d’une longue série d’adaptations (avec Isla Fisher dans le rôle-titre), a rapporté plus de 100 millions de dollars dans le monde. Le film n’est pas franchement hilarant, mais son message tient debout: aimer s’acheter des vêtements élégants n’est pas une pathologie; c’est un style.

En se demandant avec beaucoup de sérieux (et un certain amateurisme) si le shopping effréné est ou non une maladie mentale, l’Association américaine de psychiatrieAmerican Psychiatric Association», ou APA) semble en passe de perdre de vue cette distinction. La cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux («Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders», ou DSM), réalisé par l’association, est prévue pour paraître en 2012. L’APA ne décide pas que du sort des accros du shopping: elle se demande également si l’utilisation abusive d’Internet, l’activité sexuelle «excessive», l’apathie et l’«amertume» prolongée peuvent être considérées comme des «troubles mentaux». Avis aux Américains : si vous passez des heures à surfer sur le Web, si vous faites plus souvent l’amour qu’un psychiatre vieillissant ou si vous n’arrêtez pas de vous plaindre du gouvernement et de ses dépenses injustifiées, prenez garde! Vous faites peut-être partie des 48 millions de malades mentaux que compte déjà notre pays; du moins selon l’APA.

Comment l’Association procède-t-elle pour déterminer à partir de quel moment un pleurnicheur normal bascule dans le trouble mental, ou pour préciser à partir de quel stade l’activité sexuelle devient «excessive»? Mystère. Derrière les portes de l’APA, à Arlington (Virginie), les subtilités du débat doivent donner quelques maux de tête aux spécialistes. Débat qui, comme nous allons le voir, a même fait l’objet d’une prise de bec publique…

Est-il encore normal d’être anxieux et amer après la perte d’un emploi? Peut-on encore soupirer en songeant au faible niveau de sa retraite? Si l’APA ajoute l’ «amertume post-traumatique» à la liste des troubles mentaux dans la prochaine édition de sa bible diagnostique, ce sera simplement parce qu’un petit groupe de spécialistes de la santé mentale juge que leurs contemporains ne devraient pas accorder trop d’importance à ce genre de problèmes.

Le Normal et le Pathologique

L’affaire donne à réfléchir, et elle peut aussi faire douter de la sagesse des rédacteurs de cette nouvelle version du manuel. L’association ne peut pas clairement définir le moment où un comportement donné (se sentir mal suite à un coup du sort, par exemple) bascule du normal vers le pathologique. Pour ceux d’entre nous qui suivent le débat avec intérêt (et d’aussi près que l’association le permet), parler des révisions du DSM revient à faire la chronique d’une catastrophe annoncée. Le problème, c’est qu’il est difficile d’en savoir plus: tous les rédacteurs ont signé un contrat qui les empêche de parler de leur activité.

Quand il a fait son apparition, en 1952, le manuel diagnostic de l’APA n’était qu’une édition fine, à spirale, qui se contentait de faire l’inventaire de troubles caractéristiques des années cinquante: «comportement passif-agressif», «instabilité émotionnelle», «personnalité inadéquate»… Le manuel n’était alors qu’un simple guide pratique de la psychiatrie; il n’avait pas encore la prétention d’être une liste exhaustive de tout ce qui touche de près ou de loin à la santé mentale. Prétention acquise en 1980, avec la publication de la troisième édition («DSM-III»), qui répertoriait déjà plus de 100 troubles mentaux (plusieurs d’entre eux sont d’ailleurs encore contestés). La «personnalité inadéquate» n’avait pas complètement disparu; elle avait été remplacée par le terme «troubles de la personnalité mixtes, atypiques ou autres» (ce qui ne faisait, de fait, que compliquer les choses). Plus effrayants encore: la «personnalité évitante», le «trouble oppositionnel avec provocation», et la «phobie sociale». Aux dernières nouvelles, ce dernier trouble concerne les personnes ayant peur de manger seules en public et redoutant «l’humiliation et l’embarras». Le DSM renferme d’autres pépites : l’ «intoxication à la caféine», le «trouble du calcul», le «problème relationnel dans la fratrie» ou le «frotteurisme» (ou «acte de toucher et de se frotter contre une personne, généralement par surprise, dans le but d’en retirer une excitation d’ordre sexuel»).

Le DSM actuel recense trois fois plus de troubles qu’il n’en contenait en 1952, et il est sept fois plus long que la première édition. Rien ne dit que les douzaines d’ajouts récents soient scientifiquement recevables. Robert Spitzer, rédacteur de deux précédentes éditions, dont celle qui a officiellement validé le «trouble de stress post-traumatique», a récemment admis que ses collègues étaient maintenant dans l’obligation de «sauver le trouble de stress post-traumatique contre lui même».

Devant ses membres et les médias, l’APA prétend que sa méthodologie est rigoureuse et basée sur les faits; qu’elle s’en tient aux données et aux essais sur le terrain. Mais le simple fait que l’APA ait réuni un groupe de travail pour plancher sur l’ «amertume», l’apathie, le shopping excessif et l’addiction à Internet démontre, comme l’a dit Allen Frances (qui a dirigé le groupe de travail du DSM-IV) au magazine Psychiatric News le mois dernier, que le DSM-V «fait fausse route». «Je ne pense pas qu’ils comprennent l’étendue des problèmes qu’ils sont en train de générer. Et je crains qu’ils ne soient pas assez ouverts d’esprit pour faire marche arrière», a-t-il déclaré.

Méthodes secrètes

La procédure employée par le DSM-V, le secret entourant le travail d’élaboration du manuel et la compétence de ses membres ont soulevé un bon nombre d’interrogations. Parmi les sceptiques, Frances et Spitzer se font particulièrement entendre. Dans une lettre ouverte, ils réprimandent les dirigeants de l’APA, leur reprochant d’avoir institué une «mentalité de forteresse rigide». «Les problèmes répétés [que nous avons observés]… nous ont forcés à intervenir publiquement», ont-ils ajouté.

L’absence de transparence est leur inquiétude première. En juillet dernier, Spitzer a mis en garde les lecteurs de Psychiatric News: selon lui, le voile de mystère entourant les révisions du manuel a atteint une épaisseur sans précédent, et la situation est alarmante. Il a cité le contrat que les participants au projet sont obligés de signer, dont voici un extrait:

«Je m’engage, pendant la durée de cette mission et après celle-ci, à ne pas divulguer, fournir, ou mettre à disposition de qui que ce soit, et à ne pas utiliser de quelque façon que ce soit … une Information Confidentielle. Je comprends que le terme « Information Confidentielle » comprend tout Travail de Recherche, manuscrit non-publié, brouillon et tout document en prépublication, compte-rendus de discussion, correspondance interne, informations sur le processus de développement et toute information écrite ou non-écrite, sous quelque forme que ce soit, qui émane de (ou qui se rapporte à) ma tâche au sein du groupe de travail de l’APA. »

L’APA prétend que ce paragraphe n’avait pas pour but d’exclure les contributions de collègues intéressés par le projet ou d’interdire de donner des informations aux médias (nous les attendons toujours, soit-dit en passant!). Le président de l’APA et le vice-président du groupe de travail du DSM-V ont fermement écarté toute critique visant le secret entourant la rédaction du manuel. Ils affirment, contre toute évidence, que la procédure est «un modèle de transparence et de coopération». Selon eux, le contrat aurait été conçu pour protéger la propriété intellectuelle des auteurs. (Le DSM est déjà sous copyright). Mais le contrat engage le signataire au-delà de la publication du DSM-V; pour le respecter, les participants doivent garder pour eux l’ensemble de leurs brouillons, notes et fiches de travail. Nous ne saurons donc sans doute jamais pourquoi et comment «amertume», colère et addiction à Internet sont devenues des troubles du comportement. Une telle zone d’ombre était prévue de longue date, sinon, l’APA n’aurait pas fait des pieds et des mains pour que le contrat soit respecté. Quand Spitzer a demandé à consulter les minutes des premières discussions, l’APA lui répondit que si elle lui fournissait, elle serait dans l’obligation de les mettre à la disposition de tous.

Les objections de Frances furent suivies d’une lettre ouverte à l’APA (signée de Frances et Spitzer). Extrait : «Si vous n’améliorez pas rapidement le processus d’évaluation interne de la DSM-V, les critiques venues de l’extérieur vont se multiplier. Une controverse publique de ce type remettrait en question la légitimité même de l’APA, qui pourrait alors cesser de réaliser les DSM: un scénario que nous voulons tous éviter.»

Les malades qui s’ignorent

Spitzer et Frances s’opposent farouchement à deux propositions d’ajouts au nouveau manuel: les diagnostics dits « pré-seuils » et « pré-morbides ». Les deux termes soutiennent la théorie dite «de l’embrasement»: certains psychiatres pensent en effet qu’il est possible de prévenir une maladie mentale chez l’enfant et le nourrisson bien avant l’apparition des premiers symptômes. En pratique, comme l’a rapporté le St Petersburg Times en mars dernier, des psychiatres de Floride ont, en 2007, administré des psychotropes non-approuvés par la Food and Drug Administration à 23 enfants de moins d’un an. Ils ont poursuivi leurs essais sur 39 bambins âgés d’un an, 103 de deux ans, 315 de 3 ans, 886 de quatre ans et 1801 de cinq ans. Et ce pour la seule Floride. On frissonne en songeant à tout ce qui peut se passer dans les autres Etats.

En octobre 2005, Darrel Regier, alors directeur médical adjoint de l’APA, l’avait dit à la Food and Drug Administration lors d’un comité consultatif, (et la théorie de «l’embrasement» nous le rappelle): selon l’APA, 48 millions d’Américains souffrent déjà de troubles mentaux. Les diagnostics «pré-seuil» et «pré-morbides» «pourraient ajouter des dizaines de millions de malades» à cette liste, selon Spitzer et Frances. «La majorité d’entre eux seraient des faux positifs, qui s’exposeraient alors inutilement aux effets secondaires et aux dépenses liées au traitement.» Si l’APA persiste dans cette voie, en 2012, elle pourrait considérer que les maladies mentales touchent… la moitié de la population du pays.

Spitzer et Frances en concluent qu’«en s’évertuant à accroître la sensibilité diagnostique, le groupe de travail du DSM-V est restée insensible à des risques d’importance: multiplication des faux positifs, médicalisation à outrance des personnes normales, et banalisation du concept même de diagnostic psychiatrique.» Spectaculaires accusations, venant de spécialistes qui, à eux deux, ont supervisé l’ajout de plus de 150 troubles du comportement au manuel en vingt-quatre ans.

Au regard de son passé et des critiques de deux anciens rédacteurs du DSM, est-il normal que l’APA puisse prendre des décisions d’une telle importance sans avoir à rendre des comptes? Si rien n’est fait pour redresser le tir, l’ «amertume» deviendra un trouble de la personnalité d’ici trois ans. Et certains jours, je me dis que je devrai alors sans doute me compter parmi les malades mentaux.

Christopher Lane

Traduit par Jean-Clément Nau

© Confessions d’une Shopaholic, d’après le roman de Sophie Kinsella.

http://www.slate.fr/story/8667/le-delire-diagnostic-de-la-psychiatrie-americaine

« Ca n’a pas d’importance »

Quand on demande un diagnostic, beaucoup de psys répondent que ça n’a pas d’importance, que ça ne veut rien dire.

« Ca n’a pas d’importance », je ne sais pas combien de fois j’ai entendu cela.

Mais au début de ma maladie, si, ça avait de l’importance. Je cherchais à comprendre à tout prix, parce que je ne maîtrisais plus rien, je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait, je perdais pied et un diagnostic était au moins une réalité tangible. Pour pouvoir mettre des mots sur mes souffrances, pour savoir comment faisait les autres, savoir si on pouvait se soigner et comment. Pour accepter la réalité, aussi.

« Ca n’a pas d’importance. » C’était un mur cette réponse, contre lequel je me suis souvent heurtée. Eux, ils savaient, ils comprenaient mais ne voulaient rien me dire.

Vivre avec la schizophrénie, ou n’importe quelle maladie, ça commence par la comprendre. On se cherche dans les descriptions des livres de psychiatrie, dans les témoignages des autres malades. On scrute son âme et son avenir dans la littérature médicale. ca ne veut pas dire qu’on se réduit à une maladie, mais que ce côte-là de nous existe aussi et on essaye d’avoir une prise dessus comme on peut.

C’est je crois courant au début d’une affection, et parfaitement normal comme réaction. C’est une étape qu’il faut respecter.

« Ca n’a pas d’importance. »

Oui, aujourd’hui, c’est vrai, ça n’a plus d’importance. Je connais cette maladie, et c’est moi que je cherche à comprendre, à travers ma personnalité, mon caractère, mes expériences. La schizophrénie des livres ou des autres n’est plus mon miroir. Elle est avec moi, et je sais qu’elle n’est avec personne de la même façon. Je me fiche des statistiques, mon avenir et mon présent sont dans mes mains. Que je sois schizophrène, schizo-affective, psychotique, n’importe quoi ne change rien.

Mais j’ai pu apprivoiser la schizophrénie parce que j’ai pu y faire face grâce à des gens qui ne m’ont pas dit « ça n’a pas d’importance ».  Parce que j’ai pu la regarder, la comprendre, la retourner dans tous les sens, mettre des mots dessus. J’ai pu dire d’accord, maintenant je te cerne mieux, je te comprends mieux, alors tu es là, on va faire avec, ce sera dur mais je sais qui tu es, c’est un avantage.

Maintenant que je sais qui tu es, ça n’a plus d’importance, je vais pouvoir savoir qui je suis.

MANIFESTE POUR UNE PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE, NON STATISTIQUE

MANIFESTE POUR UNE PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE,

NON STATISTIQUE

Par le présent texte, les professionnels et organisations signataires, se prononcent en faveur de critères cliniques de diagnostic, et par conséquent à l’encontre de ce qui est imposé par le « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders » ou DSM IV par l’Association de Psychiatrie américaine comme grille de critères unique pour la clinique de la symptomatologie psychiatrique.

Nous souhaitons partager, débattre et nous mettre d’accord sur les connaissances cliniques concernant les pathologies psychiques – souffrances symptomatiques et non pas maladies – afin de mettre en question une santé psychique qui serait statistique ou normative, ainsi que l’imposture clinique et intellectuelle du « désordre », du « trouble », de la « maladie » mentale. Nous voulons aussi dénoncer que soit imposé un traitement unique – thérapies codifiées pour troubles formatés – au mépris des différentes théories et stratégies thérapeutiques et de la liberté de choix du patient.

En ce moment nous assistons à la naissance d’une clinique qui fait chaque fois moins de place au dialogue, qui est de plus en plus indifférente aux manifestations de souffrance psychique, qui est cramponnée aux protocoles et aux traitements exclusivement palliatifs des conséquences, et non des causes. Comme le disait G. Berrios (2010) : « Nous sommes confrontés à une situation paradoxale dans laquelle il est demandé aux cliniciens d’accepter un changement radical dans la façon de concevoir leur travail (exemple: abandonner les conseils de l’expérience au profit des dictats fournis par des données statistiques impersonnelles) quand, en réalité, les fondements actuels de la certitude ne sont autres que ce que disent les statistiques, les théoriciens, les gestionnaires, les entreprises (comme l’Institut Cochrane) et les investisseurs capitalistes qui sont précisément ceux qui disent où se trouve l’argent.

Par conséquent, nous défendons un modèle de santé où la parole serait une valeur à promouvoir et où chaque patient serait considéré dans sa singularité. La défense de la dimension subjective implique la confiance dans ce que chacun met en jeu pour traiter quelque-chose en soi qui se révèle insupportable, étranger à soi, et cependant familier. Nous manifestons notre répulsion à l’égard des politiques d’assistance qui recherchent la sécurité au détriment des libertés et des droits. A l’égard des politiques qui, sous couvert de bonnes intentions et de la recherche du bien du patient, le réduisent à un calcul de rendement, à un facteur de risque ou à un indice de vulnérabilité qui doit être éliminé, à peine moins violemment que par la force.

Quelle que soit la discipline, l’approche de la réalité de son objet se fait au travers d’une théorie. Ce savoir limité ne saurait se confondre avec La Vérité, car cela supposerait de faire comme une idéologie ou une religion, où toute pensée ou évènement, et y compris le langage utilisé, servent à forcer à faire un lien (re-ligare) entre savoir et vérité. Tout clinicien qui a un certain esprit scientifique sait que sa théorie est ce qu’Aristote appelait un Organon, c’est à dire un outil pour approcher une réalité qui est toujours plus multiple et changeante, et dont les classifications doivent laisser de la place à la manifestation de cette diversité, permettant ainsi le progrès théorique aussi bien que pratique.

Cette conception s’oppose à l’idée de règle au sens où nécessairement, obligatoirement et inéluctablement les choses sont et doivent fonctionner d’une manière déterminée. Nous savons tous quelles sont les conséquences de cette position qui va de l’orientation vers la norme, à la prescription, pour finir par devenir contrainte. C’est ici que le savoir se transforme en exercice du pouvoir : quand il sanctionne, au sens large, ce qui obéit ou n’obéit pas à cette règle. Ordonnancement de la subjectivité à l’Ordre Social que réclament les marchés. Tout pour le patient sans le patient. Un savoir sans sujet est un pouvoir sur le sujet. C’est ce que J. Peteiro a appelé l’autoritarisme scientifique.

C’est pour tout cela que nous voulons manifester notre opposition à l’existence d’un Code Diagnostic Unique Obligatoire et Universel.

Par ailleurs, le modèle a-théorique dont se pare le DSM, et qu’on a voulu confondre avec de l’objectivité, nous parle de ses failles épistémologiques. Il n’est que d’évoquer son manque de définition concernant ce que nous pouvons comprendre par « trouble mental » ou « santé psychique ». Le contenu de cette taxonomie psychiatrique relève plus d’ententes politiques que d’observations cliniques, ce qui engendre un problème épistémologique très grave.

Quant à la méthode de classification du DSM, on constate qu’on peut classer, entasser ou regrouper beaucoup de choses, mais que ce n’est pas établir une entité nosographique dans un champ déterminé.

Enfin, dans la même veine que ce qui précède, les statistiques utilisées ont un point de départ faible: l’ambiguïté de l’objet auquel elles sont appliquées, c’est à dire le concept de « trouble mental ». Les statistiques se présentent comme une technique, un outil qui peut être mis au service de questions multiples et en tous genres. Ce sont les mêmes personnes qui définissent les items et les valeurs de base de la courbe statistique, qui décident aussi de l’inclinaison plus ou moins éloignée de la marge de ce qui va être quantifié et interprété ultérieurement.

Dans ce contexte de pauvreté et de confusion conceptuelle, la prochaine publication du DSM-V suppose une menace évidente: personne ne sera à l’abris de quelque-chose qui le stoppe, qui en fasse un malade. Il ne restera pas d’endroit pour la santé, en termes de changement, de mouvance, de complexité ou de multiplicité des façons d’être. Tout le monde malade, tout le monde victime de « trouble mental ». Toute manifestation de mal-être sera rapidement convertie en symptôme de « trouble mental » qui nécessitera une médicalisation à vie. C’est le grand saut qui a été fait sans aucun appui épistémologique: de la prévention à la prédiction.

Des seuils diagnostics plus bas pour beaucoup de « désordres » existants ou de nouveaux diagnostics qui pourraient être extrêmement courants dans la population générale, voilà de quoi nous prévient Allen Frances, chef de groupe de travail du DSM-IV, dans son écrit « Ouvrant la boîte de Pandore ». Faisant référence aux nouveaux « troubles » que comprendra le DSM-V, cet auteur cite quelques-uns des nouveaux diagnostics problématiques:

– le syndrome de risque de psychose (« c’est certainement la plus préoccupante des suggestions. Le taux de faux-positifs serait alarmant, de l’ordre de 70 à 75 % »).

– Le « trouble » mixte d’anxiété dépressive [ce qui s’appelait jadis la dépression névrotique ? ].

– Le « trouble » cognitif mineur (« il a été défini pour des symptômes non spécifiques (…) le seuil a été fixé pour (…) comprendre un énorme 13 % de la population »)[Il avait été question jadis de MBD ; minor brain dysfunctions, troubles de soft, Touwen, in : Wallon : La Vie mentale, p. 66].

– Le « trouble » de l’excessivité

– Le « trouble » dysfonctionnel du caractère avec dysphorie

– Le « trouble » de la déviation sexuelle [Dans le DSM IV, il y a des pédophiles, mais plus d’homosexuels]

– Le « trouble » de l’hypersexualité

– etc.

[Contradiction massive : tout le monde est jugé potentiellement malade, en même temps que convoqué au « travailler plus », autrement dit au « surtravail » (Ueberarbeit)]

Par conséquent, il y a augmentation du nombre de « troubles » et augmentation aussi du champ sémantique de nombre d’entre eux, comme le fameux TDAH, [Trouble de déficit de l’attention / hyperactivité], qui non seulement se permet un diagnostic basé seulement sur la présence de symptômes, et ne requérant pas l’incapacité, mais encore est réduit pour les adultes à la moitié du nombre des symptômes requis. Le diagnostic TDHA se rencontre aussi dans l’autisme, ce qui impliquerait la création de deux fausses épidémies et engendrerait une augmentation de l’utilisation de stimulants dans une population particulièrement vulnérable.

Si on relie ce traitement statistique avec l’hétérogénéité thématique des groupes de travail, qui se multiplient et vont de l’identité en passant par l’adaptation des pulsions, l’hypersexualité, les changements d’humeur, etc., force est de constater que les classifications internationales prétendent être totalement autonomes par rapport à une quelconque empreinte théorique et, par conséquent, libres de tout type de contrôle sur le plan de la rigueur épistémologique. Cependant, nous ne croyons pas que les classifications et traitements puissent être neutres par rapport aux théories étiologiques, comme on le prétend, et dans le même temps être neutres par rapport à l’idéologie du Contrôle Social, et à des intérêts autres que la clinique.

Paul Feyerabend, dans Le mythe de la science et sa mission dans la société, nous dit: « A la base, c’est à peine s’il y a une différence entre le processus qui conduit à l’énonciation d’une nouvelle loi scientifique et le processus qui précède un nouvelle loi dans la société ». Il semble, poursuit cet auteur dans Adieu la Raison, que : »Le monde dans lequel nous vivons est trop complexe pour être compris par les théories qui obéissent aux principes (généraux) de l’épistémologie. Et les scientifiques, les politiques – toute personne qui veut comprendre et/ou avoir une influence dans le monde -, prenant en compte cette situation, violent les règles universelles, abusent des concepts, déforment les connaissances déjà acquises et empêchent constamment les tentatives pour imposer une science au sens de nos épistémologues. »

Enfin, nous voulons attirer l’attention sur le danger que représente pour la clinique des symptômes psychiatriques le fait que les nouveaux cliniciens sont formatés, délibérément, dans l’ignorance de la psychopathologie classique, puisque cela entre dans la dialectique entre théorie et clinique, entre savoir et  réalité. La psychopathologie clinique qui déjà n’est pas enseignée dans nos facultés non plus que dans nos programmes de formation (…).Cependant, ils sont instruits du modèle d’indication… pharmacologique: universalisation de la prescription pour tous et pour tout, et qui ne se différencie en rien d’un distributeur automatique d’étiquettes psy et de réponses médicamenteuses. Ce que nous dénonçons est une méconnaissance des fondements de la psychopathologie, un obscurcissement de taille au moment d’examiner les patients et, par conséquent, une limite plus que considérable au moment d’établir un diagnostic.

Dans la mesure où la connaissance est la forme la plus éthique que nous ayons de nous approcher de notre réalité plurielle, la coexistence de différents savoirs sur la complexité de l’être humain n’est pas un problème.

C’est pour tout cela que nous proposons de mettre en oeuvre des actions qui auraient pour objectif de poser des limites à tout ce processus croissant des classifications internationales, et de travailler avec des critères de classification qui auraient une base solide en psychopathologie et qui, par conséquent, proviendraient exclusivement de la clinique.

Barcelone, le 14 Avril 2011

http://stopdsm.blogspot.com/

Pour signer le manifeste, cliquer là:

https://spreadsheets.google.com/viewform?formkey=dHN4Q3VsOU1EaHRoejRGYmlLcTZ3SGc6MQ

Nombre = prénom

Apellido = nom de famille

Ciudad = commune

Pais = pays

Nous serons reconnaissants de la diffusion maximum de ce premier manifeste (suivi d’autres, de pays différents)

Les éléments recueillis seront traités de façon confidentielle (ils ne seront publiés qu’au moment de présenter les adhésions à un organisme officiel)

stopdsm@gmail.com

Une fille normale

Parfois je m’étonne encore. Parfois j’ai encore le coeur brisé par une chose qui vit avec moi et en moi depuis quinze ans.

Presque la moitié de ma vie à vivre avec la schizophrénie. A la cacher, la révéler, la revendiquer, l’enterrer, la tuer, la ressuciter. Pas un jour depuis quinze ans où je n’y ai pas pensé. Pas forcément sous ce nom-là, pas toujours en souffrant, parfois juste en prenant mes médicaments, parfois à terre, parfois debout, parfois sous terre, parfois dans un autre monde, parfois dans ce monde.

Je l’ai analysé sous toutes les coutures, j’ai lu, écrit, parlé, pleuré sur elle.

Et pourtant une partie de moi pense que j’ai tout inventé. Moi schizophrène? Non mais quelle blague! Originale, bizarre, à côté de la plaque, sans doute, mais je l’ai fait exprès, et même je n’ai jamais rien eu de si grave. Tout le monde s’est trompé. Je suis un imposteur, je ne suis pas vraiment schizophrène, enfin pas vraiment comme les vrais schizophrènes. Oui, je suis une fausse psychotique qui joue à la vraie malade qui joue à la fille normale.

Et si je lis une pièce de théâtre sur la schizophrénie, et si j’y lis mes mots, ceux que j’ai dit, pensé, écrit, si leur folie me saute aux yeux et s’ils sont pourtant si familiers, je suis abasourdie. « Alors, c’est vrai, j’ai été schizophrène ». Voilà ce que je me dit, comme si je ne le savais pas.

Et si je pense à mes symptômes cognitifs que je n’ai plus, les mots que je cherchais dans ma tête, confondant le four et le frigo, le bus et le train, et ces conversations que je n’arrivais pas à suivre, et ces paroles dont je ne savais plus quoi faire parce que je ne savais plus ce que je disais, je me dis ça, je ne peux pas l’avoir fait exprès, ce n’était pas mon caractère étrange, non c’était une maladie qui grignotait un peu mon cerveau, donc une vraie maladie, eh bien si je pense à ça, je sens mon coeur se briser. Comme si je découvrais aujourd’hui ce dont je souffre, comme si on m’annonçait une nouvelle terrible, comme si je ne savais pas tout ça depuis tellement longtemps. Comme si je n’allais pas mieux.

Oui, encore aujourd’hui, une partie de moi ne peut pas concevoir que cette maladie et moi soyons liées. C’est tellement ridicule, c’est tellement fou de penser ça.

Mais peut-être que cette partie, celle qui casse mon coeur, est aussi celle qui m’a empêchée de sombrer dans le désespoir. Parce que ce qui m’a sauvée est sans doute d’avoir voulu vivre comme si tout cela était une imposture.

« Vers l’autre été », Janet Frame, Joëlle Losfeld

Présentation de l’éditeur

Grace Cleave, une écrivaine néo-zélandaise
« expatriée » à Londres, est en vacances dans le nord de l’Angleterre. Son hôte
lui demande pourquoi elle a abandonné sa terre natale: « Vous ne voudrez jamais y
retourner? – J’ai été officiellement déclarée folle en Nouvelle-Zélande. Y
retourner? On m’y a conseillé pour mon salut de vendre des chapeaux. » Janet
Frame explore les thèmes du voyage, du retour, du mat du pays et de
l’appartenance. Ecrit en 1963, Vers l’autre été est un texte d’une justesse
exquise, précurseur et annonciateur de son autobiographie. Malgré la pression,
Janet Frame n’a jamais consenti à faire paraître ce roman de son vivant, le
trouvant trop « embarrassant personnellement », mais a toujours manifesté le désir
d’une publication posthume.

 Vers l'autre été

Biographie de l’auteur

Janet Frame est née en Nouvelle-Zélande en
1924. Diagnostiquée à tort schizophrène, elle est internée pendant huit ans en
hôpital psychiatrique où elle subit quelque deux cents électrochocs. La
littérature la sauve de justesse de la lobotomie. L’oeuvre de Janet Frame compte
quinze romans, quatre recueils de nouvelles, un recueil de poèmes et un livre
pour enfants. Pressentie deux fois pour le prix Nobel de littérature, Janet
Frame est décédée en 2004. La quasi-intégralité de son oeuvre a paru aux
Editions Joëlle Losfeld.

22 janvier 1999

C’est de l’angoisse, il paraît. Et de la dépression aussi. Mais je ne veux plus y penser.
J’ai perdu Nadège. Je ne sais pas ce que j’en ai fait. Je ne l’ai pas prise, en tout cas.
C’est bizarre d’aller chez la psy. Ca me fait du mal mais en même temps j’en ai besoin.  Pour ne plus être toute seule avec tout ça.
C’est bien ici, une autre vie

As-tu des rêves, Nadège?

Elle me dit que ce n’est pas une maladie et puis qu’il y a une part biologique et qu’il faut que je prenne des médicaments. C’est contradictoire. Moi, je suis sûre que c’est une maladie. Parce que je ne suis pas comme ça quand je suis normale.

16 avril 1999

L’infirmière, la psychologue et l’assistante de la psychiatre pensent que je suis schizophrène. La psychiatre n’est pas d’accord parce qu’elle dit que je n’ai ni hallucinations ni idées délirantes. Mais j’ai oublié de lui dire qu’il m’arrivait souvent d’être persuadée que tout le monde me détestait. Encore maintenant, mais cette fois-ci c’est vrai.
Renaud est le seul qui peut m’aider. Je vais partir avec lui dans un monde où l’on peut changer la souffrance en douceur, les larmes en sourire. Nous dormirons ensemble, on s’aimera et plus jamais nos poignets ne seront coupés. Un monde sans médicaments, sans mur pour nous séparer d’autre chose, sans poids sur le coeur, sans personne pour nous toucher dans le bus ou dans la rue. Sans le monde autour de moi qui m’étouffe, qui m’agresse. Sans miroir dans lequel on ne se reconnaît pas.

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