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Le sens de la folie

Ces temps-ci, on lit sur Twitter qu’on hospitalise en psychiatrie que les gens qui sont dangereux pour les autres ou pour eux-mêmes, qu’on enferme pas les gens pour s’amuser, que quand on est psychotique on ne sait plus prendre de décision dans son intérêt, qu’on ne peut pas faire autrement, que les patients psy ne veulent pas se soigner, que s’ils ne sont pas reconnaissants c’est parce qu’ils ne sont pas guéris, etc.

Alors, vous savez pourquoi j’ai été hospitalisée (en service fermé, en robe de nuit d’hôpital)? Parce que j’ai dit à mon psychiatre que je sentais que j’avais des yeux derrière la tête. Ok, c’est bizarre. Mais est-ce que j’avais déjà été bien plus mal? Oui. J’étais venue aux urgences ce jour-là parce que quelques jours avant j’allais mieux suite au début de ma prise de neuroleptiques et que ce soir-là, j’allais de nouveau mal. Ce n’était pas le pire que j’avais vécu, loin de là, mais c’était un coup dans l’espoir que j’avais ressenti en allant mieux. J’en avais marre. J’allais encore une fois mal. Et c’était une fois de trop, même si je n’étais pas suicidaire à ce moment-là. Est-ce que ça méritait d’être hospitalisée en secteur fermé? Je ne crois pas. Malgré mes hallucinations, j’étais assez lucide, assez en tout cas pour que ça soit moi qui insiste pour repasser par mon appartement prévenir mes colocataires avant d’aller à l’hôpital (on n’avait pas de téléphone fixe, et pas de portables à l’époque). Mon psychiatre ne voulait pas. Mes amies auraient aussi bien pu s’inquiéter et me croire morte ou disparue si je n’avais pas sorti l’argument du produit à lentilles que je devais aller chercher.

Donc l’argument si tu étais en service fermé en uniforme, c’est que tu étais dangereuse, non. Mon psychiatre s’était évidemment bien gardé de me dire à quoi ressemblait le service, sinon il est évident que j’aurais refusé l’hospitalisation. Parce que oui, je savais ce qui était bon pour moi. Et ce n’était pas ça.

Parfois on fait des choses folles, ou qui semblent folles, mais ce n’est pas pour ça qu’elles n’ont pas de sens.

Quand je courais seule dans les couloirs d’un centre de formation, c’est parce que la Mort me suivait.

Quand je me tailladais les mains ou les poignets, c’est parce que ça soulageait mes crises, ou que c’était ça ou me tuer.

Quand je vivais dans le noir, les volets tirés, c’est parce que le contraste du soleil avec ma douleur intérieure faisait trop mal.

Quand je parlais seule, tenant des dialogues pendant des heures avec des gens absents, c’était pour me préparer à des dialogues réels ou refaire des conversations passées.

C’était des comportements bizarres pour les autres, mais qui avaient du sens pour moi.

Peut-être que j’avais perdu le sens commun, comme on dit, mais pas le sens tout court.

Et avec ce sens qu’il me restait, oui, je savais de quoi j’avais besoin.

Ce n’était pas d’être surshootée aux médocs, n’être rien était pire que d’être folle.

Ce n’était pas d’être enfermée non plus. Je l’ai dit, j’ai été bien plus mal que le jour où j’ai été hospitalisée. Je me suis promenée en pissant le sang, métaphoriquement et littéralement aussi (vu que je passais mon temps à me couper avec ce que je trouvais par terre). J’ai vécu transparente, avec mes pensées volées, sans peau, avec le monde qui tournait trop vite, les immeubles qui s’effondraient autour de moi, les escaliers sous mes pas, avec un monstre qui me guettait dans la chambre, dans la salle de bains, en classe, etc. J’ai passé des soirées entre amis à essayer de trouver le courage d’aller me jeter d’un pont, des heures de cours à pleurer ou à flotter hors de mon corps. J’ai pleuré dans des dizaines d’endroits différents. J’ai vécu hors de moi. Je suis restée dans l’autre monde pendant des mois et des mois. Et pourtant, j’ai fait des études pendant ce temps-là. Je n’étais pas enfermée (sans doute parce que personne ne se souciait de moi). Oui, j’ai pu donner l’illusion de vivre dans le monde réel pendant ces années, au prix d’une lassitude extrême, c’est vrai, mais je ne le regrette pas.

On me disait d’arrêter mes études. Je disais non.

On me disait de prendre des doses de médicaments qui m’abrutissait. J’ai arrêté.

On m’a enfermée. J’ai menti pour partir.

Pas parce que je ne voulais pas qu’on me soigne. Je ne voulais que ça, depuis le début. Je ne rêvais que de ça. Je ne voulais juste pas qu’on me soigne comme ça. Je voulais quelqu’un qui m’écoute, qui me réconforte, qui me donne de l’espoir, qui me comprenne. Ce n’est pas quelque chose qui coûte si cher (puisqu’on évoque toujours le manque de moyens) mais c’est quelque chose de rare.

Je voulais quelqu’un qui s’éloigne assez du sens commun pour ne pas pousser des cris d’orfraie devant la folie, quelqu’un qui comprenne le sens qui est caché dedans. C’est tout.

Je suis en colère

Je n’arrive pas à dormir parce que je suis en colère.

Je suis en colère parce que d’un côté on nous dit « oh, mais tu ne dois pas dire « je suis schizophrène » mais « je vis avec une schizophrénie » » (comme si la schizophrénie c’était ma colocataire et que je pouvais la quitter quand je veux) »et que de l’autre des familles de personnes schizophrènes disent « nos malades » comme si on était plus une personne mais juste une maladie, plus ou fils ou une fille mais juste un poids, et que ça, personne n’a l’air de trouver ça problématique.

Je suis en colère parce qu’en 2020, il faut encore lire des choses comme « Vous (la famille) souffrez, pas lui (la personne schizophrène) » sous la plume de proches. Comme si on n’était pas des humains, comme si on n’avait pas de sentiments, comme si ça existait une maladie qui ne fait pas souffrir.

Je suis en colère parce qu’on n’a pas voulu me soigner tant que je ne me suis pas littéralement tapée la tête contre les murs devant des soignants. Parce que si on demande de l’aide, c’est qu’on ne va pas si mal. Parce que les idées suicidaires, les automutilations et l’échec scolaire, pour ne parler que de ça, c’était pas assez tant que je ne me conduisais pas comme une vraie folle. Parce que être persécutée par une voix et la tuer en lui fracassant la tête dans le lavabo, c’est pas possible si tu t’exprimes bien. Parce qu’un psychotique, un vrai, ne demande rien et s’exprime mal.

Je suis en colère parce qu’on nous dit que c’est la peur du stigma qui éloigne des soins alors qu’en fait les soignants font très bien ça tout seul. C’est nous qui devons supporter de nous entendre dire qu’on est jeune, ça passera, qu’on exagère, que c’est pas si terrible, que les effets secondaires des médicaments c’est dans notre tête. Ou alors qu’il faut arrêter nos études, notre travail, parce qu' »il faut penser à sa santé d’abord ». Mais c’est quoi penser à sa santé d’abord? Tout arrêter, s’assoir, méditer, prendre bien son traitement, obéir et se retrouver sans rien?

Je suis en colère parce que des tas de soignants ne veulent pas nous donner notre diagnostic de peur qu’on s’identifie à la maladie, nous privant ainsi de pouvoir nous informer et partager avec nos pairs. Et d’ailleurs, c’est pas une maladie, mais vous devez quand même aller voir un médecin et prendre un traitement. Comprenne qui pourra.

Je suis en colère parce que mon amie Cécile est en morte, de tout ça. Qu’elle s’est fait jeter de Sainte-Anne alors qu’elle voyait le psychiatre avec une tête de serpent, mais elle était venue demander de l’aide, et un psychotique n’en demande pas, comme je l’ai dit plus haut. Moi je me suis fait jeter par mon psychologue quand j’ai commencé à travailler et alors que j’avais arrêté mon traitement parce que je ne pouvais plus venir le vendredi à 14 heures et qu’il fallait toujours venir le même jour à la même heure et qu’il n’avait pas de place pour moi à un autre moment. Il aurait pu me donner le nom d’un confrère, mais non. Je me suis vue refuser un suivi parce que la psychiatre me pensait dépressive et que la psychologue m’avait diagnostiquée schizophrène. Elle pensait que j’avais besoin d’un suivi psychiatrique et de neuroleptiques, qu’elle ne pouvait pas m’aider, alors la psychiatre en a conclu qu' »étant donné le refus par le centre de santé mentale, la patiente n’a pas besoin de suivi ». Mais à part ça, c’est nous qui ne voulons pas nous soigner.

Je suis en colère parce qu’on dit qu’on est dans le déni alors que c’est la société entière qui est dans le déni de notre souffrance. Que ne pas vouloir être maltraité à l’hôpital, ce n’est pas du déni, c’est de l’instinct de survie.

Je suis en colère parce que tous ces préceptes à la con nous empêche de nous soigner bien plus que la peur du stigma.

Et je suis en colère pour ne pas pleurer.

« Soins sans consentement et droits fondamentaux », CGLPL, Dalloz

Résumé  de  l’éditeur

Les visites effectuées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans les établissements et services psychiatriques admettant des patients en soins sans consentement l’ont conduit au constat que l’hospitalisation à temps plein s’accompagnait d’atteintes, plus ou moins graves, aux droits des patients, à leur dignité, avec une grande disparité selon les établissements. Interdictions exagérées, enfermements injustifiés, habillements imposés, isolements et contentions banalisées, informations non fournies, sont autant d’atteintes aux droits du patient loin d’être toujours justifiées par son état clinique et qui peuvent être aggravées par des conditions d’hébergement indignes.
L’observation de ces disparités, les témoignages, les réflexions offertes permettent d’avancer des explications sur l’origine, les facteurs ou les motivations de ces atteintes aux droits, d’en montrer les effets délétères, tant pour les patients que pour l’institution psychiatrique, et de proposer des pistes d’amélioration recentrant la prise en charge sur un patient sujet de droits.

Surprotection ou sincérité?

Aujourd’hui, je suis allée témoigner devant de futurs psychologues. Parmi les échanges, une question m’a interpelée. Une jeune femme travaille avec des adolescents hospitalisés, et ils ont un groupe de paroles sur l’après-hospitalisation où ils veulent faire venir d’anciens patients, mais certains soignants ont peur de ce qu’ils pourraient dire, notamment sur les traitements. Ca part d’une bonne intention, mais j’ai trouvé  ça assez paternaliste et surprotecteur.

C’est vrai, tout n’est pas rose dans l’après hospitalisation et dans les traitements, mais faut-il le cacher pour autant? Le rétablissement est un long chemin, fait de hauts et de bas. J’aurais aimé le savoir plus tôt, parce que dans le pires moments de ma vie, je compte ceux où j’ai rechuté alors que je me croyais tirée d’affaire. Concernant les traitements, c’est en en parlant avec d’autres usagers ou avec une psychiatre qui ne me cachait pas les effets secondaires que j’ai pu l’accepter.  Quand mon psychiatre me disait que les neuroleptiques ne faisaient pas grossir, je savais qu’il mentait et ça ne me mettait pas en confiance.

Oui, entre usagers, on est souvent cash, on ne se surprotège pas, on dit les choses telles qu’elles sont. Mais c’est ça qui fait qu’on se sent compris, soutenus, qu’on peut enfin parler librement. C’est un lien primordial, qui fait qu’on peut même aussi parfois rire de notre situation.

Beaucoup de gens touchés par la schizophrénie m’ont dit que mon blog les avait aidés. Et pourtant je n’enjolive rien. J’ai même écrit un billet qui s’appelle « J’envie les gens qui meurent ». Il y a beaucoup d’articles très noirs, je n’ai pas caché mes rechutes ou mes problèmes avec les médicaments, mais mon désir de vivre est toujours là, et c’est sans doute ce qui aide les gens, je ne sais pas.

En tout cas, ce lien avec d’autres usagers est plus qu’important dans ma vie, il est vital. J’aurais aimé avoir, au début de mes troubles, des discussions avec des gens ayant plus d’expérience de la maladie et du rétablissement. Quoi qu’ils m’aient dit, ça aurait été plus profitable que la solitude, les peurs, les angoisses sans réponse et les faux espoirs.

La vie avec une maladie mentale n’est pas rose. En parler de façon sincère, c’est sans doute ce qu’on peut offrir de mieux à des gens qui commencent leur parcours.

Mes soins idéaux

A part une hospitalisation, un traitement médicamenteux et des suivis psychologiques et psychiatriques, je n’ai pas eu beaucoup de soins.

Dans un monde idéal, qu’est-ce que j’aurais aimé avoir comme soins?

A l’hôpital, j’aurais préféré un service ouvert à un service fermé (surtout que j’étais en hospitalisation libre). J’aurais surtout préféré un hôpital de jour. Avec des activités sensées, pas infantilisantes et une écoute bienveillante. Mon psychologue m’a un jour proposé une hospitalisation de nuit, mais je ne voyais pas l’intérêt de venir dormir à l’hôpital, où il y avait déjà très peu d’activités la journée, et où en trois ans de consultations, j’ai rarement vu les infirmières hors de leur bureau.

J’ai rencontré un jour un travailleur (je ne me souviens plus de sa fonction exacte) qui accompagnait les gens en souffrance psychique dans leur recherche d’emploi, et surtout qui continuait à les suivre une fois qu’ils avaient trouvé un travail. On pouvait l’appeler pour qu’il vienne pendant la pause de midi, ou le voir après le travail, par exemple. J’aurais aimé bénéficié d’un tel accompagnement, parce que mes débuts au travail ont été difficiles.

J’aurais aussi aimé connaître une association (comme L’autre « lieu » par exemple) qui ouvre le week-end ou le soir, parce que quand on travaille on a rarement l’occasion d’y aller à un autre moment. Les gens ont l’impression que si on a un travail, c’est que ça va, alors qu’on peut très bien aller plus mal qu’en ne travaillant pas. Et à une époque, je me sentais très seule en fin de semaine et ressentait le besoin de côtoyer d’autres usagers.

J’aurais aimé connaître une ligne d’appel qu’on peut joindre le soir ou la nuit, parce que c’est souvent le moment où on se sent le plus démuni face à la maladie.

J’aurais bien aimé aussi qu’on m’explique ma maladie et qu’on me dise que je pouvais aller mieux, et pour ça un pair aidant aurait été certainement une bonne chose.

Et pour prévenir les risques suicidaire, je pense qu’il vaut mieux rester près de la personne et lui parler que de l’isoler et/ou de l’attacher. Je ne l’ai pas vécu, mais sachant que ça existe, ça ne donne pas envie de parler de ses envies suicidaires. Quand j’avais envie de mourir, j’avais essentiellement besoin d’attention et de douceur, certainement pas de solitude et de contention.

Finalement, il faudrait que les différentes offres de soins soient mieux connues des usagers. Quand on arrive dans le monde de la psychiatrie, on n’y connaît rien et les psys ne nous parlent pas toujours des initiatives qui pourraient nous aider.

Alors oui, je me suis rétablie sans tout ça, mais je pense que ça aurait été moins long et moins douloureux avec.

 

Comment puis-je vous aider?

Aujourd’hui, j’ai parlé avec ma psychiatre de mes sept années d’errance médicale avant de trouver une bonne psy et d’avoir un diagnostic.

Au début, j’avais beaucoup de mal à m’exprimer sur ce que je ressentais, et les deux psychiatres que j’ai vus ne m’ont pas prise au sérieux. Après, je m’exprimais trop bien et la psychiatre que j’ai vue ne m’a pas prise au sérieux.

Ma psychiatre m’a demandé comment on aurait pu m’aider, à l’époque.

De mes 17 à mes 19 ans, je ne rêvais que d’une chose, qu’un adulte me tende la main, main que j’étais dans l’impossibilité de réclamer. Les adultes m’engueulaient, la plupart du temps. Pour mes supposées fainéantise et insolence. Pour mon mutisme, aussi. J’aurais voulu qu’on me parle, tout simplement. Pas juste « ça va? », mais me prendre à part, me dire que je n’avais pas l’air d’aller bien, me demander ce qu’il se passait, me dire que je pouvais aller voir un médecin, me donner des numéros de téléphone, éventuellement m’aider dans mes démarches.

Ensuite, si je n’arrivais pas à exprimer mes souffrances, je pense qu’un psy peut aider à mettre des mots sur les maux, à définir des émotions. C’est vrai, je ne savais pas que ce que je ressentais s’appelait de l’angoisse, mais je pouvais dire que je voulais mourir, que je me coupais, que je ne dormais plus bien, que je perdais pied avec la réalité, etc. Je savais dire des tas de choses qui auraient pu mettre un psy en alerte, s’il s’était donné la peine de demander, de prendre au sérieux mes « je crois que je fais une dépression » ou « je n’arrive plus à étudier ». Ce psychiatre aurait pu dire bien d’autres choses que « attendez que ça passe ».

Après, à 20 et 21 ans, je savais qu’il valait mieux y aller cash avec les psy, commencer à parler directement des symptômes qui claquent, si on veut se faire soigner correctement. Mais pour certains, je m’exprimais trop bien, et ça rendait ma psychose improbable. Après n’avoir pas su parler, je parlais trop bien. Jamais dans les clous, jamais la patiente idéale. A l’époque, on aurait pu m’aider à gérer mes symptômes, à me dire comment faire avec les voix, avec les hallucinations, les pensées délirantes qui me bouffaient. Je ne demandais que ça, en parler. Mais mon suivi psychiatrique s’est borné à « tu manges bien, tu dors bien, tu prends bien tes médicaments? ». Scoop, non je ne mangeais pas bien, ne dormais pas bien et ne prenait pas bien mes médicaments non plus d’ailleurs. Mais ce n’était pas mes préoccupations principales. J’étais contente de maigrir, les médicaments me donnaient la vue trouble et mon sommeil rempli de cauchemars n’était que le reflet de mes journées. Apparemment, le boulot du psychiatre se bornait à attendre que les médicaments fassent effet et me rendent une vie tranquille comme par magie. Personne ne s’est dit que j’avais besoin de conseils pour faire face à mes symptômes.

Quand j’ai eu un suivi psychologique et psychiatrique plus régulier, ce fut avec des psys d’orientation psychanalytique. Le silence régnait. La neutralité totale. Je devais comprendre l’origine de mes problèmes pour les régler, avec pour toute réponse à mes questions des « hum hum » et hochements de tête. Là encore, rien de concret, rien pour mon quotidien.

J’ai l’impression d’avoir perdu sept années de ma vie parce que les gens ne m’ont pas prise au sérieux ou rien offert de concret. C’est de cette façon que j’aurais voulu qu’on m’aide. En me parlant vraiment et m’offrant des pistes de prise en main sur ma vie. En me faisant rencontrer d’autres personnes qui avaient vécu la même chose, aussi. En me disant qu’on pouvait s’en sortir (car ça non plus, personne n’a pensé à me le dire).

« Lui, c’est un psy »

Les soignants entre eux désignent parfois (souvent?) les personnes suivies en psychiatrie par le terme « psy ». « Lui, c’est un psy ».

Jugement définitif et catégorique.

Ca veut dire que c’est dans sa tête, qu’il simule, qu’il ne faut pas rentrer dans son jeu. Oui, parce que quand vous êtes « psy » et que vous avez mal, c’est un jeu apparemment, un piège tendu au soignant dans lequel il ne faut surtout pas qu’il tombe, au risque de… de quoi au juste?

Dire « les psys », c’est faire une seule catégorie avec 33% de la population (chiffres de l’OMS), qui présente des troubles très divers. C’est faire comme si ce tiers de la population ne pouvait pas avoir de problèmes somatiques. Alors qu’on sait qu’il y a une surmortalité chez ces patients. (https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal/exercice/surmortalite-des-patients-psychiatriques-prescription-des-antidepresseurs-inappropriee-la-cnam)

Oui, je sais, c’est étonnant, mais avoir une maladie mentale ne nous empêche pas d’avoir une ou des maladies somatiques à côté.

Quand bien même certains troubles seraient psychosomatiques, ne sont-ils pas à traiter comme les autres?

Et si quelqu’un en est à faire semblant d’être malade pour avoir de l’attention, n’y a-t-il pas quelque chose à creuser?

Je m’interroge sur cette peur qu’on certains soignants de rentrer dans notre jeu, de donner de l’attention là il faudrait soi-disant rester indifférent, au point de risquer la vie de leur patient. De quoi ont-ils peur au juste?

Quand on a mal, il ne faut pas rentrer dans notre jeu.

Quand on est suicidaire, il ne faut pas nous donner de l’attention.

Quand on est psychotique, il ne faut pas nous croire.

Si j’ai bien compris, dire « il est psy », ça veut dire « ignore-le ».

Depuis quand ignorer son patient et sa parole est un bon précepte en médecine? Depuis quand soigne-t-on en ignorant?

Je ne suis pas « psy », je suis une personne. Et même si ma tête déconne, j’ai un corps qui ne fonctionne pas toujours bien non plus, et qui ne peut être ignoré sans danger.  Pour certains, dire « il est psy », c’est une façon pratique de catégoriser les gens, pour nous c’est nous réduire à une maladie psychique et jouer avec notre vie.

Le labyrinthe des soins

Depuis que ma psychiatre adorée est partie, c’est la croix et la bannière pour me faire soigner. D’abord, il a fallu que sa remplaçante arrive, deux ou trois mois après son départ. Ensuite, cette remplaçante, que j’ai à peine eu le temps de connaître, a été mise en congés maladie. Visiblement, elle ne reviendra pas. Donc, elle va elle-même avoir un remplaçant. Peut-être en janvier. Mais c’est pas sûr. Et puis vous comprenez, le temps que cette personne lise tous les dossiers, etc, ça va prendre du temps. Bon, j’ai cru comprendre que je ne devais pas attendre grand-chose du service de santé mentale. Ils vont me rappeler la semaine prochaine, pour me faire part de la décision d’équipe. La décision de quoi, j’ai pas très bien compris. De savoir si je peux attendre un éventuel remplaçant? Ou si je n’ai même pas le droit à ça et que je dois aller voir ailleurs? Sauf que je veux bien aller voir ailleurs, mais que tout le monde me dit que c’est complet. Aux consultations de l’HP, l’infirmier était étonné que je ne puisse venir que le jeudi. « Pourquoi si je peux me permettre? » Ben parce que je travaille, et que je ne peux pas me libérer en journée quand je veux. Oui, je sais, c’est dingue, mais il y a des patients psy qui ont une vie en-dehors de leur rendez-vous chez le médecin. Donc, il va voir, mais le jeudi c’est compliqué, et pas cette année en tout cas, et il me rappellera si la réponse du médecin est positive (quelque chose me dit qu’il ne me rappellera pas). « Et votre ancienne psychiatre, elle n’a pas de consultations? ». Ben non. J’y serais depuis longtemps si ma psychiatre adorée avait des consultations n’importe où dans ce pays.

J’ai pensé aussi à voir un psychologue, mais là où miracle il y a de la place, il faut y aller au moins tous les quinze jours et moi une fois par mois me suffit. Donc retour à la case psychiatre. De toute façon, je préfère parce que j’aime bien que la personne qui me suit puisse gérer mon traitement.

A chaque refus, je pose le téléphone et je pleure. C’est con, je sais. C’est pas que je le prenne personnellement ou quoique ce soit, mais je crois que ça me ramène à l’époque où je devais me battre pour me faire soigner alors que j’allais très mal, l’époque où on ne me croyait pas, celle où j’ai dû finir aux urgences pour qu’on me prenne au sérieux. Et puis j’ai besoin d’avoir une sécurité dans mon suivi, même si celui-ci est peu intense, pour me sentir bien. Si je n’ai pas ma consultation tous les mois, je pars vite en vrille. Alors, ne pas savoir ce qu’il va en être, même si heureusement j’ai toujours mon médecin généraliste, ben ça me fait pleurer.

Mon médecin m’avait conseillé une psychiatre, qui ne prend plus de nouveaux patients dans le public. Je vais essayer à son privé. Je l’appellerai lundi. J’espère que ça va marcher, parce que sinon je ne sais pas vraiment où aller. J’ai essayé tous les endroits qui me paraissent bien, il y a ceux où je ne veux plus aller, et je n’ai pas envie de piocher un nom dans le bottin sans savoir où je mets les pieds.

Il y a peu, j’ai été interviewée par un étudiant en journalisme, qui me disait qu’il avait l’impression que le système de soins en Belgique, c’était un labyrinthe.

Là, je suis un peu perdue dans le labyrinthe. Encore.

Comment reprendre un peu de pouvoir face aux soignants?

Ce soir, j’ai lu ces ressources très intéressantes pour reprendre un peu de pouvoir face à son psychiatre dans la gestion de son traitement.

J’aurais aimé les lire plus tôt dans mon parcours. Maintenant, ce sont des choses qui me paraissent évidentes, mais ça fait 22 ans que je suis malade.

Quand je repense à moi quand j’étais en crise, je me donne l’impression d’avoir été une vraie moule. J’ai toujours été considérée comme rebelle à l’école et dans ma famille, mais une fois face à un médecin, je me sentais toute petite et je n’osais rien dire. Il faut rappeler aussi que j’étais malade, et que toute mon énergie passait dans le fait d’essayer de tenir debout, au sens propre, et d’arriver à parler.

Je ne sais pas si les soignants s’en rendent compte, mais rien que le fait de prendre un rendez-vous est toute une aventure quand on a une maladie mentale, de même que passer la porte d’un cabinet médical.

Je n’ai rien dit face au psychiatre qui me jugeait et m’appelait « ma petite fille » mais j’ai décidé de ne plus jamais voir de psychiatre, je n’ai rien dit quand un psychiatre m’a tendu des neuroleptiques en disant juste « tu prendras ça » mais j’ai pleuré en lisant la notice seule chez moi, je n’ai rien dit face à l’ORL qui m’a ordonné d’arrêter mes neuroleptiques pour le lundi suivant mais je suis sortie en panique. Tant de fois je n’ai rien dit, tant de fois je m’en suis voulue.

Je me battais contre la maladie, je me battais contre les secrétaires pour arriver à avoir des rendez-vous médicaux, pourquoi fallait-il aussi se battre contre les médecins pour qu’ils ne vous mentent pas sur les effets secondaires, qu’ils prennent en compte votre ressenti, qu’ils vous donnent un diagnostic (ou disent qu’ils n’en ont pas), qu’ils répondent à vos questions? De mes dix-huit à mes vingt-quatre ans, j’ai eu l’impression de me battre contre une chape de plomb. Certes, je ne disais rien ou pas grand-chose, mais j’avais quand même l’impression de me battre contre tout ça, même si c’était en changeant de médecin ou en abandonnant mon traitement.

Tout ce dont parle ces ressources, ça devrait être normal. On ne devrait pas avoir à s’affirmer alors qu’on tient tout juste en vie, on ne devrait pas avoir à se battre contre un système et le pouvoir médical alors qu’on se bat déjà contre une maladie dévastatrice. On ne devrait pas s’en vouloir de ne pas y arriver.  Je ne me suis pardonnée ma passivité face à certains soignants que parce que mon généraliste m’a dit qu’à l’époque je ne pouvais pas faire autrement.

Lisez ces ressources, mais surtout ne vous en voulez pas si vous n’arrivez pas à les appliquer, ce n’est pas vous le problème.

Presque prendre dans les bras

« Il y a d’autres façons de prendre dans les bras, sans se toucher » à répondu vendredi une formatrice à une participante qui disait chercher en vain un psy qui la prendrait dans ses bras.

Dans mon journal, j’écrivais, à propos de mon ancienne psychiatre, « c’est presque comme si elle m’avait prise dans ses bras ».

Il y a une qualité d’écoute qui fait qu’on se sent pris dans les bras. Un ton de voix, une douceur, le mot qu’il faut.

Je crois que j’ai écrit cette phrase dans mon journal un jour où j’étais complètement déréalisée. J’avais dû sortir un moment, au travail, je me sentais à côté de moi-même et je ne comprenais plus ce que je faisais là.  Je suis arrivée chez ma psychiatre en allant mal, ne sachant pas très bien ce qu’elle pourrait faire pour moi. Et j’en suis sortie en allant bien.  Qu’est-ce qu’elle a fait au juste? Je ne saurais le dire. Déjà, j’ai pu parler de la déréalisation, comme si c’était normal. Dans l’espace clos de son bureau, mon monde est devenu le sien. Et oui, c’était presque comme si elle m’avait prise dans ses bras.

Il y a eu cette autre fois, où ayant peur qu’il y ait un papillon géant derrière moi, j’ai dit que je voulais me retourner pour vérifier. Elle m’a dit doucement « pourtant, il n’y a rien ». Et j’ai pu la croire. C’était comme me prendre dans les bras pour me protéger.

Il y a eu Lucia, ma psychiatre en Espagne. Lucia qui s’est penchée vers moi pour me dire « il faut me raconter ». C’était la première fois que quelqu’un me disait ça. C’est ce qui a fait que je l’ai tellement aimée. Juste quelques mots, « hay que contarme » et le fait de se rapprocher en le disant. C’était comme prendre dans les bras la jeune fille que j’étais, comme on le ferait avec un enfant pour le porter, pour l’aider à aller plus loin.

Et il y a eu mon médecin généraliste. Je ne me souviens plus de ses mots. Juste du fait que c’était comme s’il me prenait la main, comme s’il entrait dans mon monde et m’en extrayait à la force de son bras.

Quand j’étais malade, je ne supportais pas qu’on me touche. Je n’aurais pas supporté qu’on me prenne dans les bras. J’ai fui d’ailleurs face à un médecin qui m’a pétri l’épaule alors que je ne le connaissais pas. Ca partait certainement d’une bonne intention, mais moi je n’entendais plus rien, je ne sentais plus que ça, ce contact inopportun, je me liquéfiais.  Par contre, ceux qui m’ont pris dans leurs bras par leurs paroles, par leur ton, par leur écoute, par leurs regards, m’ont touchée au cœur. Ils m’ont tous aidée, ils sont venus sur ma rive, celle où j’étais seule, ils ont tous contribués à me sortir de l’autre monde.

C’était presque comme s’ils m’avaient prise dans leur bras, avec tous ces petits riens inexplicables. Presque et bien plus à la fois.

 

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