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Internet et la schizophrénie

Ceux qui disent qu’internet isole, je me demande s’ils savent dans quelles affres de solitude plonge la schizophrénie. Quand on tombe dans cette maladie, quand on ne comprend pas ce qu’il nous arrive, quand on a personne à qui en parler.

J’ai été adolescente avant internet. Je le regrette. Parce que quand je vois les groupes d’entraides, je me dis que ça m’aurait bien aidé au début de ma maladie. Les forums m’ont aidée plus tard, d’ailleurs, et avec internet, je me dis que je n’aurais pas dû supporter cette solitude horrible des débuts. Parce que dans la vie quotidienne, personne n’est schizophrène. Ca n’existe pas. C’est tabou, on n’en parle pas. Je n’aurais pas eu comme seule information je ne sais plus quelle encyclopédie obsolète qui m’apprenait que la lobotomie était un bon traitement pour la schizophrénie. On peut rire des gens qui essayent de comprendre leur maladie sur internet, même si je n’ai jamais compris pourquoi (comme si tout le monde ne le faisait pas), mais en quoi était-ce vraiment mieux avant? On avait deux lignes dans le Larousse, à tout casser, et quelques paragraphes dans l’encyclopédie familiale. Et comme c’était à peu près les seules informations qu’on avait rapidement sous la main à la maison, on n’avait pas vraiment de quoi comparer et recouper les informations. Moi, j’étais là, avec ce mot lobotomie (dans une encyclopédie qui datait des années 80, pas 40!), et personne à qui poser la question, personne sur un groupe facebook ou un forum, pas un médecin sur twitter pour me dire que c’était n’importe quoi. Juste moi et ma peur.

Ceux qui disent qu’internet, c’est du virtuel ne savent pas qu’une parole, une petite phrase, mêmes quelques likes, peuvent vous prouver que vous êtes vivants, que vous pouvez encore communiquer avec quelqu’un.  Quand j’étais petite, j’avais des correspondants, et personne ne me disait qu’ils étaient virtuels. Je ne vois pas la différence. Alors, bien sûr, il y a des associations, mais non seulement elles étaient difficiles à trouver avant internet (j’ai essayé, et j’ai dû passer une dizaine de coups de fil avant de tomber sur une bénévole de Similes qui m’a dit que les thérapies de groupe, c’était à l’hôpital; j’ai aussi demandé à mon psychologue et il ne m’a pas répondu (c’était un psychanalyste pur et dur et il devait avoir pour principe de ne pas répondre aux questions)), mais en plus, au plus fort de la maladie, je n’aurais jamais eu le courage de pousser leur porte et de me trouver face à des inconnus, alors que sur internet j’aurais pu communiquer, échanger.

Toutes les rencontres que j’ai faite à cause de/grâce à cette maladie, je les ai faites d’abord parce que j’ai pu utiliser internet. Ca m’a poussé à m’exprimer dans la vie réelle, à me faire des amis. Je regrette juste de ne pas avoir pu le faire plus tôt.

Dénigrer la communication par internet, c’est un truc de psychotypique qui ne sait pas ce que c’est de vivre une expérience incommunicable à son entourage et d’être privé de la parole dans la vie réelle.

 

Inexprimable schizophrénie

Aujourd’hui, j’ai participé au tournage d’un documentaire sur les troubles psychiques.  Je m’en suis bien sortie, mieux que ce que je croyais, je n’ai pas bafouillé, j’ai terminé mes phrases, je n’ai pas parlé trop vite, et les gens qui étaient là ont paru intéressés.

En rentrant, dans le train, j’ai repensé à tout ce que je n’avais pas dit. Tout ce que j’aurais pu dire. J’ai trouvé que je n’avais pas assez bien expliqué ce qu’était la schizophrénie. Ca m’a fait mal au cœur. Je ne savais pas si je me sentais mal d’avoir reparlé de tout ça (CA, comme je dit souvent au lieu de dire schizophrénie) ou parce que je ne m’étais pas assez bien exprimée à mon goût.

Les deux sont possibles. D’un côté, il y a quelques jours, je me demandais si j’étais vraiment schizophrène, parce que je vais bien et que j’ai l’impression parfois de n’avoir jamais été malade. Alors, me replonger dans tout ça, ce n’était pas facile, c’était remuer de la souffrance, me rappeler que j’avais été bel et bien malade.  De l’autre, il y a le côté inexprimable de la schizophrénie. J’ai beau en parler, je ne le fais jamais comme je le voudrais, jamais assez bien, jamais assez clairement, jamais assez complètement.  C’est d’ailleurs pour ça je crois que je ne cesse d’en parler, d’écrire sur ce sujet, pour essayer de faire mieux que la fois précédente.

Les choses les plus importantes dans la vie des gens sont en général l’amour, la naissance d’un enfant, le deuil. Les choses les mieux partagées du monde. La chose la plus importante dans ma vie, qui l’a le plus bouleversée, la plus dure, la plus intense, ça a été la folie. Ca a été de vivre dans l’autre monde, d’être seule sur l’autre rive. Depuis le début, j’ai essayé de créer des ponts, j’ai espéré que quelqu’un me parle. Pendant longtemps, ça  n’a pas eu lieu. Et c’était un drame, ça m’enfonçait encore plus dans la maladie. Aujourd’hui, je parle, j’ai retrouvé une voix, des mots, et des gens m’écoutent. Je ne suis plus dans l’autre monde. Mais comment parler des innombrables symptômes? Comment rendre compte de l’angoisse insondable? De la douleur terrible de la dépression? Je ne sais pas. Je cherche toujours. Et d’avoir vécu cette expérience inexprimable, oui, ça me fait mal au cœur, de ne pas arriver à la dire comme je le voudrais aussi. Ce ne sont plus les gens en face de moi qui sont en cause, au contraire, j’ai rencontré beaucoup de gens très à l’écoute et compréhensifs, ça vient uniquement du caractère si étrange de cette maladie qu’il n’y a pas de mots pour la dire et que ça me renvoie à cette expérience solitaire qu’elle a été.

L’ablesplaining

Pour parler de l’ablesplaining, je vais le mettre en parallèle avec le mansplainig et le whithesplaining.

Pour cela, je me suis aidée de l’article « Une question de point de vue », sur le blog Genre!, dont les citations sont tirées.

Le man/white/ablesplaining se rencontre quand une personne en situation de privilèges (Blanc, homme, valide, en bonne santé, etc) s’adresse à une personne en situation d’oppression systémique (qui fait partie d’un groupe socialement dominé et/ou exclu) en lui expliquant comment il doit lutter contre l’oppression et les préjugés, ce qu’elle doit faire dans le quotidien face aux discriminations  et/ou ce qu’elle doit ressentir. Le splanner pense (souvent de bonne fois) que son savoir est neutre, car il vit dans une société où il n’est pas l’Autre et a rarement été éduqué à voir ses propres privilèges. Il pense donc que son avis a une valeur universelle, qu’il n’est pas situé. Or, tout avis est situé.

« Les théories du point de vue ne se contentent donc pas de dire que les femmes et les hommes vivent des expériences différentes, menant à des connaissances différentes. Elles montrent que la situation sociale des femmes (entendues comme catégorie sociale construite et non de façon essentialisée), ainsi que d’autres membres de groupes marginalisés, donne lieu à des expériences spécifiques et les pousse à poser des questions auxquelles ne penseraient pas les personnes non-marginalisées. D’où l’idée d’une autre forme de « privilège épistémique » : les connaissances produites par les études de genre, par exemple, auraient été inenvisageables sans la prise en compte des expériences spécifiques des femmes et l’effort de conceptualisation de ces expériences.

Pour résumer tout cela en une formule qui reste loin de paraître évidente à tout le monde : il n’existe pas de connaissance neutre. « 

« Le concept de « privilège épistémique » peut paraître inutilement complexe mais il est au centre du militantisme féministe tel que je le comprends. Il permet de lutter contre la silenciation et l’invisibilisation des personnes oppressées, en l’occurrence des femmes, en montrant que, parce qu’elles subissent une oppression et en ont donc une expérience de première main, elles sont aussi les mieux placées pour en parler de manière fiable. Leur expérience ne doit être ni minimisée, ni niée, mais écoutée et valorisée, car elles ont quelque chose à apprendre aux personnes qui ne vivent pas cette oppression. »

Il y a des choses qu’on ne sait pas, tout simplement parce qu’on ne les vit pas, parce qu’on n’y fait pas attention, parce qu’elles ne nous blessent pas.  Ainsi, à propos du sexisme:

« Dans le cadre du militantisme, je le dis donc clairement : non, tous les discours n’ont pas le même poids, ni la même valeur. J’ai très (trop) souvent lu ou entendu que les premières concernées sont aussi les moins bien placées pour parler ou juger du sexisme. Qu’il vaut mieux pouvoir prendre du recul pour en parler avec objectivité – comprendre : qu’il vaut mieux être un homme. On retrouve là le mythe de la position omnisciente et neutre du sujet de savoir que j’évoquais plus haut (sur ce sujet, je vous conseille aussi la lecture d’un billet de Denis Colombi, « Avoir un point de vue, ça n’arrive (pas) qu’aux autres »). Si, par exemple, je juge qu’une publicité est sexiste envers les femmes, ne venez pas me dire, si vous êtes un homme, « tu as tort, je ne le vois pas comme ça ». Ce n’est pas un argument, et votre ressenti n’a pas grand-chose à faire dans l’histoire : vous ne pouvez avoir qu’une connaissance indirecte du sexisme dont je parle, vous n’êtes donc pas aussi bien placé que moi pour juger du caractère sexiste de telle ou telle représentation. Vous pouvez ne pas être d’accord, mais demandez-vous d’abord : qu’est-ce que je sais du sexisme ? Cette publicité parle-t-elle de moi ? Suis-je le mieux placé pour dire cela ? Après seulement, on pourra en discuter. Et si vous continuez à ne pas voir le problème, ce n’est pas une raison pour essayer de me faire taire (parce que je suis hystérique, parce que j’exagère, parce que je vois le mal partout). Contentez-vous d’écouter et de respecter mon point de vue, vous n’en mourrez pas. »

La situation est la même avec le whitesplaining et l’ablesplaining  L’important, si on veut éviter le splaining, est d’écouter ce qu’a à dire la personne qui fait partie d’un groupe discriminé, de faire primer son vécu sur les idées qu’on en a. Le contraire est condescendant. Nous pouvons tous faire du splaining, même en toute bonne foi. Je peux dénoncer l’ablesplaining ou le mansplaining mais facilement tomber dans le whitesplaining, puisque je suis blanche et jouis des privilèges systémiques liés à cette condition. Il m’est d’ailleurs souvent arrivé de ne pas voir qu’un film ou un livre, par exemple, était raciste jusqu’à ce qu’une personne racisée me le fasse remarquer. Cela dit, étant donné que je fais attention de ne pas tomber dans le splaining, je supporte d’autant moins qu’on le fasse avec moi.

Mansplaining

Il y a deux réactions face à une parole qui nous bouscule dans nos privilèges. On peut y réfléchir, se taire, checker nos privilèges. On peut aussi argumenter en disant que la personne concernée se trompe, qu’elle n’est pas neutre et donc pas objective, que non ce qu’elle dénonce n’est pas raciste/sexiste/validiste, qu’elle s’attaque à notre liberté d’expression en refusant de prendre en compte notre avis, que c’est nous qui sommes opprimés parce qu’elle refuse de nous écouter, qu’elle est agressive, qu’elle inverse la discrimination, qu’elle voit le mal partout, etc. C’est souvent cette dernière réaction que l’on rencontre. Pour ne pas voir le système oppressif dont on fait (même involontairement) partie, on refuse de dire qu’il est systémique et on accuse l’autre de ce dont on ne veut pas se voir accuser.C’est là qu’on atteint des sommets dans le splaining, car en plus de nier le ressenti d’une personne, on nie aussi le système d’oppression dans lequel elle vit. Il suffit de penser au fameux racisme antiblanc qui, soyons claire, n’existe qu’un d’un point de vue individuel mais absolument pas systémique. Autant dire que par rapport au racisme systémique de notre société, il n’existe pas.

Pour illustrer l’ablesplaining, trois bingos, qui reprennent ce que les personnes malades et/ou handicapées entendent trop souvent: Quand vous faites de l’ablesplaining et que la personne en face réagit mal, n’oubliez pas qu’e ce que vous dites, elle l’a déjà entendu cent fois, et que parfois, légitimement, elle en a marre de se taire.

ableistbingo1  pillshamingbingostigmabingo2

Le syndrome neurotypique

Un texte qui inverse les points de vue: comment les neuroatypiques voient les neurotypiques. Je n’ai pas pu identifier l’auteur du texte, mais je l’invite à se manifester s’il passe par là et veut signer son texte (ou n’a pas envie de le voir ici).

Définition
Le syndrome neurotypique est un trouble neurobiologique caractérisé par un souci de préoccupations sociales, des délires de supériorité, et l’obsession de conformité.

Symptômes
Les individus neurotypiques pensent souvent que leur expérience du monde est soit la seule ou la seule bonne. Les NTs ont du mal à être seuls. Les NTs sont souvent intolérants à l’apparence des différences mineures chez les autres. Les NTs ont du mal à communiquer directement, et beaucoup ont une incidence plus élevée de mensonges par rapport aux personnes autistes.

Causes
Le NT est censé être d’origine génétique. Les autopsies ont montré que le cerveau du neurotypique est généralement plus petit que celui d’une personne autiste et a surdéveloppé les domaines liés au comportement social.

Tendance
Malheureusement, plus de 9 625 sur 10 000 personnes pourraient être neurotypique.

Traitements
Il n’existe pas de remède connu pour le Syndrome neurotypique.

Adaptation
Dans de rares cas les NTs peuvent apprendre à compenser leur handicap et d’interagir normalement avec des personnes autistes.

Critères diagnostiques du Syndrome Neurotypique

A. Altération qualitative de la communication comme le témoigne au moins un des éléments suivants:

Retard ou Absence du langage parlé. (surcompensation par d’autres modes de communications comme le geste, la mimique ou l’interprétation)
Chez les individus maitrisant suffisament le langage: Incapacité à ne pas interpréter les conversations avec autrui de manière illogique (en cherchant continuellement des doubles sens par exemple)
Usage stéréotypé et répétitif du langage. (ex. Comment ça va ? Ça va bien)

B. Altération qualitative de l’autonomie affective, comme en témoigne au moins deux des éléments suivants:
Obsession marquée de comportements non-verbaux, vagues, indéfinissables, propres à chaque personne tels que le contact oculaire, la mimique faciale, les postures corporelles et/ou les gestes.
Incapacité à établir des relations avec les pairs possédent un autre mode de fonctionnement sans faire abstraction d’une interprétation l’amenant directement à une carence affective excessive.
Recherche extrême ou anormale de confort dans les moments de détresse. (cherche le réconfort d’une manière stéréotypée, attire l’attention lorsque peu bléssé)
Le sujet n’arrive pas à s’estimer suffisamment de manière autonome, ce qui l’amène à partager constamment ses plaisirs, ses intérêts ou ses réussites avec d’autres personnes.
Recherche constamment l’attention car incapable de rester seul.
Présence de réprocité sociale ou émotionnelle : Le sujet n’existe pas sans le regard des autres.

C. Caratère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements sociaux, des intérêts et des activités socialement acceptables, comme en témoigne au moins deux des éléments suivants :
– Préoccupation circonscrites à quelques centres d’intérêts stéréotypé et restreints permettant de sauver l’image sociale, tant dans son intensité que dans son orientation.
– Adhésion apparemment inflexible à des habitudes ou à des rituels spécifiques d’une incohérence marquée mais fonctionnels pour la norme.
– Maniérismes moteurs stéréotypés et répétitifs dont l’absence de cohérence avec l’émotion vécue provoquent une distorsion.
– Préoccupation persistantes pour certaines parties du corps.

D. La perturbation entraine un modelage cliniquement significatif du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

E. Il n’existe pas de retard général du langage mais la récurrence du manque de précision et de clarté de la communication est significative sur le plan clinique.

F. Au cours de l’enfance, il y a eu diminution de l’autonomie de penser et de la curiosité pour son environnement. Il y a cependant eu un apprentissage accéléré du comportement adaptatif.

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs

Qu’on revienne de  guerre ou d’ailleurs

quand c’est d’un ailleurs

aux autres inimaginable

c’est difficile de revenir

 

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs

quand c’est d’un ailleurs

qui n’est nulle part

c’est difficile de revenir

tout est devenu étranger

dans la maison

pendant qu’on était dans l’ailleurs

 

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs

quand c’est d’un ailleurs

où l’on a parlé avec la mort

c’est difficile de revenir

et de reparler aux vivants.

 

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs

quand on revient de là-bas

et qu’il faut réapprendre

c’est difficile de revenir

quand on a regardé la mort

à prunelle nue

c’est difficile de réapprendre

à regarder les vivants

aux prunelles opaques.

 

Charlotte Delbo, « Auschwitz et après, III. Mesure de nos jours », les éditions de Minuit

 

 

Les gens normaux sont des gens bizarres

Je sens que ça va être mon tour. On est dans une salle de sports, dans l’école où on dort pendant le chantier international. Je suis un peu à l’écart, regardant les autres s’amuser à désigner quelqu’un pour se ruer tous dessus et lui enlever ses chaussures pendant qu’il se débat en essayant de les garder. Les gens normaux sont bizarres, ce n’est pas nouveau. Ils disent oui et pensent non, ils font semblant de ne pas vouloir qu’on se jette sur eux pour les chatouiller et leur voler leurs chaussures alors qu’au fond ils sont d’accord. Un peu comme quand on leur dit qu’on n’aime pas les fêtes surprises, les discours, les enterrements de vie de jeune fille mais qu’ils nous les imposent quand même, parce que tout le monde aime ça, forcément, et après si on râle parce qu’on avait dit non et qu’on ne nous a pas écouté, on est une rabat-joie. Bref, pour les gens normaux, tout le monde est comme eux.

Tout le monde y est déjà passé, ils vont se jeter sur moi. Et ça, c’est hors de question, totalement hors de question. Si on me touche, je meurs. C’est aussi simple que ça. Je peux essayer de m’en aller discrètement, mais ils vont le voir et ça va les amuser encore plus de devoir me pourchasser. Je peux dire non. Mais c’est ce que tout le monde fait, en criant, en hurlant, et ça ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Leur non veut dire oui. Pour moi, les choses sont simples. Je ne sais pas mentir, quand je dis non c’est non, et oui c’est oui, je ne sais pas c’est je ne sais pas. Ca m’excède qu’on me demande trois fois de suite si je veux boire quelque chose quand je dis non. J’ai l’impression qu’on me parle comme si je n’existais pas, comme si on n’avait pas écouté ce que j’ai dit. Je dis non parce que je ne veux rien boire, c’est tout, pas la peine de me harceler en me le redemandant tout le temps. Je ne suis pas très compliquée, au fond. Les oui-non-si-peut-être-non-allez oui d’accord, je ne connais pas. Mais à mon avis ils ne vont pas le comprendre. J’aurai beau dire non, crier, ça ne servira à rien. Ils vont me dévorer vivante, et là je vais vraiment devenir agressive, les frapper, peut-être les mordre qui sait, ça va être terrible, ils ne vont rien comprendre, et je vais passer pour une folle furieuse. Ca va jeter un froid, c’est le moins qu’on puisse dire, mais je ne pourrai pas faire autrement s’ils se jettent tous sur moi.

Quand je vois les regards se tourner vers moi, j’ai une idée. Parler ne sert à rien, il faut juste empêcher le jeu d’avoir lieu. Alors je leur tends mon pied, je dit allez-y, je suis d’accord, prenez mes lacets et ma chaussure. Même ça, je n’ai pas envie qu’ils le fassent, mais comme prévu, ils ne le font pas. Personne ne se jetera sur moi. Comme d’habitude, je suis la rabat-joie, mais au moins pas la folle furieuse.

Ma faculté d’adaptation à la bizarrerie des gens normaux fonctionne, c’est déjà ça.

 

Non, ce n’est pas du délire

-Non, je n’ai pas envie d’arrêter de fumer. De toute façon, j’ai déjà une maladie grave, alors je me dis que je n’en aurai pas de deuxième. Bon, c’est con, je sais. Mais de toute façon, il paraît que les schizophrènes n’ont pas de cancer. J’ai lu un article là-dessus.

-Ah bon?

-Oui, en même temps, c’est un peu normal puisqu’on n’est pas vraiment des êtres humains. Oui, enfin, c’est pour rire que je dis ça. Enfin non, pas vraiment, mais c’est pas du délire. Je ne crois pas vraiment qu’on n’est pas vraiment humains. Vous comprenez? Je sais, c’est pas très clair, mais il y a du vrai dans ce que je dis même si ce n’est pas une vérité avérée. On est différent, on n’est pas de ce monde. C’est comme si on venait d’une autre planète. Putain, je m’enfonce là. Je vois bien que vous trouvez ça bizarre, mais j’explique juste quelque chose que nous seuls ressentons. Vous, vous ne le voyez pas, vous ne vous en rendez pas compte quand vous nous regardez, mais c’est pourtant ce qu’on vit. Oui, c’est ça, c’est quelque chose que je sens et pas les autres. Mais je ne délire pas, non non non. Oh là là, plus j’essaye d’expliquer plus je passe pour folle. Ce qu’il y a, c’est qu’on vit dans ce monde, on essaye de faire comme les autres, mais au fond on est différent, ce qui peut amener à dire qu’on n’est pas vraiment humain, et que donc on échappe aux maladies des humains comme le cancer. Faut bien une compensation.

-Donc vous croyez que vous ne pouvez pas avoir de cancer parce que vous n’êtes pas un être humain?

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-Non, pas du tout. Je crois que si les schizophrènes n’ont pas de cancer, ce qui reste à prouver, hein, j’ai juste lu ça dans un article en passant, il y a évidemment une cause scientifique et logique. Mais si c’est vrai, eh bien ça tombe bien, ça établit notre différence avec l’humanité en quelque sorte. C’est un espèce de clin d’oeil à ce qu’on vit et que les autres ne voient pas.

-Vous allez bien en ce moment?

-Mais oui, bien sûr, je ne délire pas. Je vous explique juste des choses sur la schizophrénie qui sont des réalités, parce qu’on les vit. Ok, ça fait délire avec petits hommes verts, mais ça ne l’est pas. Mais peut-être que ces délires-là n’en sont pas tant que ça non plus, après tout. Peut-être que c’est juste vous, les gens normaux, qui ne comprenez pas, et alors vous vous imaginez un tas de trucs, on est obligés de creuser le sujet et on se comprend de moins en moins, et comme nous on sait des choses qui vous paraissent impossibles, vous pensez qu’on est fous. Alors que c’est juste qu’on ne voit pas le monde de la même façon, parce qu’on vit dans des univers séparés et … oh putain! j’arrive pas à vous expliquer, ça paraît de plus en plus dingue, mais ça ne l’est pas du tout, je vous assure. Oui, c’est ça, je ne suis pas folle. Je vous jure, j’ai les pensées très claires, au contraire. Bon, et si on parlait plutôt des mes antibiotiques?

24 février 2004

J’ai souvent l’impression de ne pouvoir dire ce que je ressens vraiment, de ne pas trouver les mots pour dire ma maladie et ce que j’ai vécu. Les gens minimisent parce que je ne trouve pas les mots pour dire cet enfer que j’ai vécu.
Et même pour des choses moins douloureuses, je ne sais pas exprimer ce que je ressens vraiment.
Hier, avec ma psychiatre, je ne voulais pas parler des difficultés que j’avais eues à mes faire soigner en Espagne. Je voulais parler de mon amour pour L., de ce que je ressentais pour elle, de ce que je ressens pour elle, de l’ambivalence de ce sentiment, du mal que me faisait cet amour, du bien qu’il me faisait, de ma fascination, de la mélancolie liée à cet amour, de la douceur et de la violence de cet amour absolu.
De mon dégoût du contact et de l’envie folle qu’on me touche. Comme quand on joue au maquillage ou à la coiffeuse à l’école primaire. Chastement, doucement, délicatement, du bout des doigts.