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« Etre soignant en psychiatrie », Christophe Malinowski, Chronique sociale

Présentation de l’éditeur

L’auteur, dans une première partie, part du vécu du patient, nous le fait partager, ressentir… à travers l’histoire singulière et romancée d’un patient fictif mais si réel. Il nous fait rentrer dans la vie d’un service de psychiatrie. Une deuxième partie précise l’accompagnement au quotidien puis une troisième partie la posture de l’accompagnant. Elles éclairent les pratiques de terrain, permettent une prise de recul, mettent à jour des questionnements-clés pour renforcer une pratique individuelle, une démarche d’équipe. Elles soulignent l’importance de la nature et de la qualité du lien à établir avec le patient en privilégiant un choix de soin humaniste.

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Biographie de l’auteur

Christophe Malinowski est infirmier en service de psychiatrie, son parcours professionnel l’a amené, par la multiplicité des situations rencontrées, à cerner les questionnements-clés d’une profession.

Arrivée d’un convoi de pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques à Auschwitz

En janvier 1943, un convoi de plusieurs  centaines de pensionnaires juifs d’hôpitaux psychiatriques hollandais arriva après un voyage effroyable qui avait duré douze jours dans des conditions indescriptibles. Quelques uns d’entre eux étaient des fous furieux, d’autres n’étaient que légèrement atteints, d’autres encore avaient toute leur raison mais avait essayé d’échapper à la déportation en se faisant passer pour fous avec l’aide de faux certificats. Le résultat était un tel cauchemar que même les SS les plus endurcis ne pourraient jamais l’oublier.

(…) Les SS, cette fois-là, avaient de bonnes raisons de nous céder la place. Quand ils ouvrirent les wagons, ce qu’ils virent était tellement innommable, qu’ils ne purent se résoudre à faire le travail. Aussi envoyèrent-ils à coups de fouet les détenus accomplir une de plus sales besognes qui aient jamais eu lieu à Auschwitz.

Dans quelques uns des wagons, presque la moitié des occupants étaient morts ou mourants, c’était plus que je n’en avais jamais vu. Beaucoup d’entre eux étaient morts depuis déjà plusieurs jours, car des corps en décomposition se dégageait une odeur nauséabonde de chairs pourrissantes qui se répandit dès l’ouverture des portes.

Cela n’était pas nouveau. Mais ce qui me bouleversa ce fut l’état dans lequel se trouvaient les vivants. Certains bavaient, déliraient, le cerveau mort. Certains divaguaient, attaquaient leurs voisins et se déchiraient eux-mêmes. Certains étaient nus malgré le froid cinglant. Mais plus terrible que tout, au-dessus des plaintes des mourants et des désespérés, des cris de douleur et de panique, montaient et retombaient des rires fous, sauvages et effrayants.

Pourtant au milieu de cette confusion totale, subsistait un îlot de dévouement et de dignité. Se déplaçant parmi les fous, des infirmières s’activaient, des jeunes filles aux uniformes déchirés et sales mais dont les visages étaient calmes et dont les mains ne restaient jamais inactives. Leur sacoche médicale toujours sur l’épaule, elles avaient parfois du mal à garder l’équilibre. Elles ne cessaient de se rendre utiles, calmaient les uns, mettaient des pansements, faisaient une piqûre, donnaient une aspirine. Pas une d’entre elles ne montrait la moindre trace de panique.

-Faites-les sortir, hurlaient les SS, faites-les sortir, bande de salauds!

Une jeune fille rousse d’environ vingt ans, nue, un corps magnifique, sauta du wagon et se coucha à mes pieds, elle se tortillait et riait. Une infirmière me lança une couverture en mohair que je m’efforçais de mettre autour d’elle  mais elle ne voulait pas se lever. Avec un autre détenu, un Slovaque qui s’appelait Fogel, je réussi à l’envelopper dedans.

-Amenez-les aux camions, hurlaient les SS, directement dans les camions, allez, dépêchez-vous, nom de Dieu!

Fogel et moi nous mîmes à courir portant avec difficulté  cette belle jeune fille lourde. Le balancement lui plut et elle se mit à applaudir comme une enfant. La matraque d’un SS s’abattit sur mon épaule et la couverture glissa de mes doigts gourds:

-Plus vite, porcs, tirez-la.

Je rejoignis Fogel et à nous deux on tira la couverture, elle ne riait plus, elle pleurait au fur et à mesure que que son corps nu cognait le sol à travers la laine épaisse.

-Jetez-la dans le camion.

Les SS étaient hors d’eux, ils ne comprenaient plus rien. Ils avaient affaire à quelque chose qui échappait à l’ordre, à la discipline, à l’obéissance, à la peur des coups et de la mort.

Avec effort on la hissa, puis on courut chercher un autre fou tout aussi pitoyabe. Des centaines étaient déjà sur le quai, poussés par les détenus, eux-mêmes poussés par les SS et toujours les infirmières étaient à l’oeuvre.

L’une d’elles marchait lentement soutenant un vieillard frêle, lui parlant comme s’ils se promenaient dans les jardins de l’hôpital. Une autre portait presque une jeune fille hurlante. Elles se battaient pour instaurer un peu d’ordre dans ce chaos à l’aide de médicaments, de couvertures, de gentillesse et d’héroïsme tranquille, au lieu de fusils, de bâtons et de chiens féroces.

Tout à coup ce fut fini. La dernière misérable victime fut jetée dans l’un des camions surchargés. Nous nous tenions là, haletants, dans le froid vif de janvier et nous n’avions d’yeux que pour les infirmières. Avec sang-froid, elles attendaient près des camions la permission de se joindre à leurs malades.

Les SS les regardaient aussi, avec un respect qu’on leur voyait rarement. J’en entendis un dire:

 -Ne me dis pas que Mengele va faire partir ces filles dans les camions. S’il le fait, il est aussi fou qu’un de ces malheureux.

Un autre murmura:

-Tu as raison. Dieu sait que nous aurions bien besoin de vrais soins médicaux par ici.

(…) Il (Mengele) se tenait un peu plus loin et discutait avec quelques officiers SS. Je le vis secouer la tête vigoureusement et lever les deux mains pour arrêter toute discussion.

L’un des officiers SS haussa les épaules et cria:

-Faites monter les jeunes filles, il semble qu’elle soient aussi du voyage.

Les infirmières grimpèrent près de leurs malades. Les moteurs rugirent et, après une dernière embardée, les camions partirent vers les chambres à gaz. Pour une fois, ils n’y avait pas eu de sélection, pour une fois cela n’avait pas été nécessaire.

 

« Je me suis évadé d’Auschwitz », Rudolf Vrba, J’ai Lu

 

Le déclin de la psychiatrie française

Emmanuel Digonnet est un ancien infirmier de secteur psychiatrique – « profession qui n’existe plus depuis que Bernard Kouchner a supprimé [pdf] cette spécialisation pour les infirmiers en 1992 ». Après plus de vingt ans d’exercice, définitivement dépité par les orientations prises par le service public de « psychiatrie », il a démissionné. S’il ne pratique plus, il parle par contre très bien de son ancien métier, et des raisons qui l’ont poussé à ne plus l’exercer1 . Entretien pour ArticleXI et repris ici par OWNI.

Article XI: Comment as-tu débuté ?

Je suis arrivé en psychiatrie par hasard, pour raisons « alimentaires », au début des années 1980. Quand j’ai commencé, je n’y connaissais rien ; pour moi, la psychiatrie n’était que la prise en charge de patients exclus de la société pour des raisons mentales. Une maladie mentale n’existait alors à mes yeux que si elle était visible : l’autisme, les gesticulations, les cris…

Pendant un an et demi, j’ai été affecté dans un service où on plaçait les patients les plus difficiles, ceux posant problème dans les autres services. Cela a été ma première confrontation à l’horreur de l’asile et à la maltraitance : comme pour les policiers dans les commissariats ou les gardiens en milieu pénitencier, la peur avait transformé certains infirmiers en sadiques. Après avoir alerté ma direction, j’ai été muté dans un autre service. J’y ai découvert une nouvelle façon de travailler, s’appuyant notamment sur les entretiens médicaux à visée thérapeutique et accordant une vraie place à l’infirmier dans le traitement des patients. Je me suis alors passionné pour la discipline.

De 1982 à 1998, j’ai accompagné et participé à toute une évolution de la psychiatrie, symbolisée par la fermeture d’hôpitaux psychiatriques. Se développait en effet un pôle extra-hospitalier, avec pour ambition de déplacer le soin dans la Cité, auprès des gens. Des patients habituellement hospitalisés pouvaient enfin vivre chez eux, en voyant un infirmier régulièrement. D’autres, adressés par des assistants sociaux et des médecins généralistes, fréquentaient les centres d’accueil thérapeutiques nouvellement ouverts : il s’agissait de petites unités de soins, avec quelques lits d’hospitalisation, une équipe d’infirmiers et des médecins. Nous y effectuions le même travail qu’à l’hôpital, mais avec une plus grande souplesse. Notamment parce que nous étions peu ou prou situés en bas des immeubles où habitaient les patients – et non à trente kilomètres en banlieue parisienne, « là où on met les fous ». Être admis en hôpital psychiatrique a toujours été compliqué, se faire traiter dans ces centres était beaucoup plus simple.

Ces centres d’accueil et de soins offraient donc une réelle proximité et une vraie disponibilité. Ils changeaient du même coup l’image de la psychiatrie chez les patients, qui acceptaient plus naturellement d’être suivis et  honoraient davantage leurs rendez-vous. La famille, l’entourage et le patient pouvaient dédramatiser les soins, s’y rendre étant moins stigmatisant que d’être « hospitalisé à Sainte-Anne ». Et ces centres permettaient – enfin – de désengorger les hôpitaux, et donc d’en améliorer les conditions de travail. Ce n’est plus du tout le cas, désormais ; à l’hôpital, on ne fait plus que gérer des lits. À partir de 16 heures, tous les cadres passent leur temps au téléphone pour trouver un lit où faire dormir leurs patients, le nombre de places disponibles étant insuffisant.

Pour les infirmiers aussi, les choses étaient différentes en centre d’accueil : nous étions autonomes. Il ne s’agissait pas seulement d’appliquer les prescriptions du médecin, mais d’effectuer un réel travail collectif. Nous échangions avec le reste de l’équipe, et nous pouvions donner des rendez-vous ou recevoir les patients. Une période grisante.

Elle n’a pas duré ?

La situation a commencé à se dégrader au début des années 1990, avec le développement d’une gestion purement comptable de l’hôpital. Notre ministère a diminué le budget alloué, et les gestionnaires se sont rendus compte qu’un centre d’accueil de cinq lits nécessitait autant d’infirmiers qu’un service de vingt lits à l’hôpital – sans prendre en considération le nombre d’hospitalisations lourdes et de rechutes que ce système permettait d’éviter…

L’administration a alors progressivement fait fermer les centres d’accueil. Pour cela, il suffisait que les gestionnaires ne leur donnent plus les moyens de fonctionner 24 heures sur 24 : au bout d’un moment, le principe était vidé de sa substance. Quand il ne restait plus qu’un bâtiment avec trois lits, sans personne pour s’en occuper, les gestionnaires triomphaient : « Vous voyez bien que ça ne marche pas : il faut fermer ! »

Autre étape importante, la suppression de la spécialisation « psychiatrie » pour les infirmiers en 1992. Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, a justifié cette décision par une exigence d’uniformisation européenne ; une directive européenne précisait pourtant que la formation française des infirmiers en psychiatrie était de grande qualité et invitait les membres de l’UE à s’en rapprocher… En fait, cette suppression permettait surtout de faire des économies.

Depuis 1992, donc, tous les infirmiers suivent le même cursus, avec seulement quelques cours de psychiatrie. Aujourd’hui, quelques infirmiers généralistes, passionnés par la psychiatrie, réussissent bien à se former rapidement une fois embauchés dans les services spécialisés, mais d’autres choisissent les services psychiatriques par défaut, parce qu’il faut bien gagner sa vie, et ne sont souvent pas à la hauteur. Le constat de l’insuffisance des formations étant unanime, le début des années 2000 a vu fleurir un certain nombre de « boites de formation » privées, censées compenser ces lacunes.

De toute façon, ce diplôme d’infirmier psychiatrique a toujours été considéré comme un « sous-diplôme ». À sa suppression, en 1992, les anciens diplômés – comme moi – n’ont pas eu le droit d’aller travailler dans les hôpitaux généraux. Grosso modo, cela voulait dire que les « sous-hommes » étaient soignés par des « sous-infirmiers ». Aujourd’hui encore, si je vois quelqu’un se faire renverser par une voiture, je n’ai pas le droit de lui poser une perfusion ni de lui prodiguer des soins… alors que je suis autorisé à le faire pour une personne hospitalisée en psychiatrique. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que c’est moins grave si je me trompe ?

Au début des années 1990, on a aussi assisté à l’introduction dans les hôpitaux de la « démarche qualité » – pure importation de l’industrie  – avec son lot de protocoles et procédures. Procédure pour un patient qu’on accueille, procédure pour un patient qu’on emmène en chambre d’isolement, etc… C’est rassurant : tu remplis des formulaires, tu coches des cases ! Peu importe que des termes comme « phobie » ou « obsession » n’aient pas de frontières étanches, puisqu’il s’agit de créer une classification des maladies mentales pour que les gestionnaires puissent s’y retrouver. L’idée est de coder le patient. Aujourd’hui, un malade est 810.12 – « alcoolique à tendance dépressive ». C’est idiot : avant d’être « alcoolique à tendance dépressive », le patient est d’abord un homme ou une femme, qui a cinquante ans ou dix-huit, qui a tel passé, tel parcours…

Quel a été l’impact de cette « démarche qualité » sur ton travail ?

Voici le genre de raisonnements qu’on pouvait entendre de la part des gestionnaires : « Vous, pour un 312.25, vous avez une DMS (durée moyenne de séjour) de dix-huit jours. Le service d’à côté est à neuf jours. Donc, vous merdez. Réduisez votre DMS ». Pour cela, il suffisait de bourrer le patient de médicaments anesthésiants, et le tour était joué… Il s’est ainsi clairement opéré un passage de la gestion des patients à la gestion du budget. Le ministère réduisait le budget alors que les besoins – eux – ne diminuaient pas.

Derrière tout cela, il y a l’idée de ne pas reconnaître la spécificité de la maladie mentale. Il est beaucoup plus simple de se dire que la schizophrénie est un virus ou un problème génétique contre lequel il suffit d’inventer un médicament. D’autant que cette vision des choses est soutenue par des laboratoires pharmaceutiques – eux-même en partie à l’origine de cette classification des pathologies, pour pouvoir dire : « Tel type de maladie ? Tel médicament ! » Avec des résultats parfois désastreux. Si on prend l’exemple de l’hyperactivité – dont je ne nie pas les symptômes –, on s’aperçoit que les laboratoires proposent des médicaments ayant des effets « visibles » à brève échéance mais qui s’avèrent calamiteux à plus long terme. Le fond du problème tient à la place prépondérante occupée par les labos dans le milieu hospitalier. Il n’y a qu’à voir le nombre de formations qu’ils y dispensent ou « sponsorisent » : lorsqu’ils parlent de certains de leurs cours, les internes en médecine parlent du « cours Lilly » ou du « cours Janssen »…

Et personne ne proteste ?

En 2003, la profession a organisé les États-généraux de la psychiatrie, qui ont débouché sur une série de recommandations remises au ministre de la Santé, Jean-François Mattei. Il n’y a rien compris… La lutte s’est ensuite intensifiée après un discours de Nicolas Sarkozy à Antony, en décembre 2008. En réaction à l’assassinat d’un jeune homme à Grenoble par un patient sorti d’un hôpital psychiatrique, le président proposait des mesures ultra-sécuritaires, comme le recours à la vidéo-surveillance ou à des bracelets électroniques. Il faut savoir qu’un tel discours a des effets désastreux, même quand il n’est pas suivi de mesures concrètes. Il pousse par exemple les préfets à refuser les autorisations de sortie des patients, et il devient très compliqué de faire sortir un malade pour travailler progressivement à sa réinsertion.

De mon côté, j’ai cru que la résistance pouvait venir des syndicats, et j’ai été longtemps  syndiqué et militant syndical. Avant d’en avoir ras-le-bol, tant le syndicalisme se résume souvent à la défense d’intérêts individuels, plutôt qu’être un engagement ou une vue politique. Je me suis alors investi dans une association œuvrant pour la recherche en psychiatrie – une autre manière d’essayer de changer le système. Un des faits d’arme de cette association, même si nous avons finalement perdu le procès, a été de porter plainte contre une dizaine de pneumologues après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse. Ces médecins avaient refusé l’installation temporaire des patients des services de psychiatrie dans leur service avec des termes odieux – « gens bruyants », « sales », « qui peuvent mettre le feu »…

Aujourd’hui il y a des mouvements de résistance à cette casse du service public de psychiatrie, impulsés par les soignants ou les patients, voire par leurs familles. Mais ils se heurtent à deux écueils majeurs. Les guerres de chapelles, si chères à des générations de psychiatres prompts à s’excommunier pour soigner leurs égos. Et l’image de la maladie mentale auprès d’une population qui, faute d’information, n’est pas prête à accepter la libéralisation des soins et la présence de malades mentaux dans les rues.

Pourquoi as-tu démissionné ?

J’ai d’abord fait une « pause » en partant en mission humanitaire, ça m’a beaucoup changé. Sauf qu’au retour, l’attitude de la direction à mon égard avait également changé… Il ne s’agissait pas d’une opposition frontale, mais de petites brimades successives : interdiction de faire visiter le service à un collègue rencontré lors de la mission, refus d’une demande de formation, suppression de mes tickets restaurant…

La direction prenait ainsi sa revanche sur mon activité syndicale et sur un épisode qu’elle n’avait pas digéré. À une époque, en raison de la gestion désastreuse de l’hôpital et de la recherche permanente d’économies, il y avait une pénurie de seaux hygiéniques pour les patients enfermés en chambre d’isolement – et donc sans accès aux toilettes. L’un d’entre eux devait même déféquer sur un drap posé par terre… Là, j’ai dit non : j’avais connu l’asile en 1982, je ne voulais pas le revivre vingt ans plus tard. Avec quelques collègues, nous avons donc alerté les médias. Toute la presse nationale a débarqué, mais ses membres n’avaient retenu que l’angle du sensationnel. Nous dénoncions « la maltraitance des patients par l’hôpital », eux avaient compris « la maltraitance des patients par les infirmiers ». Et ils venaient voir qui étaient les infirmiers ayant torturé des patients… Une journaliste de M6 à qui j’expliquais nos positions m’a répondu : « Mais ça n’a aucun intérêt. Pourquoi ameutez-vous tout ce monde ? »

Les collègues ayant ouvert le service à la presse ont été sanctionnés de manière indirecte pendant des années. J’avais témoigné à visage découvert, donc forcément… Côté « maltraitance », suite à notre « raffut », une commission d’enquête avait été nommée. Mais le jeu était faussé, sa mission consistait à enquêter sur la sécurité des chambres d’isolement. Ses membres ont donc vérifié qu’il y avait bien des alarmes à incendie, des vitres blindées, etc. Une honte.

C’est tout cela qui m’a amené à démissionner. Je reste un citoyen attentif et averti, mais je ne veux plus participer à cette évolution. Ni assister à de tels retours en arrière.

Ces derniers sont légions. Prenons l’exemple du maintien des patients à domicile : le principe est bon s’il s’inscrit dans le cadre du soin, avec une ou deux visites par jour ; sauf que dans les faits, il s’agit plutôt de refus d’hospitalisation et de non-assistance à personne en danger par manque de places à l’hôpital. Autre exemple : la « garde à vue psychiatrique », soit la possibilité de garder un patient 72 heures en observation. En soi, ce n’est pas une mauvaise idée, car elle permet d’optimiser l’orientation du patient. Mais dans le dispositif mis en place, il s’agit d’une « vraie » garde à vue : si le patient s’en va pendant cette période, les autorités considèrent qu’il s’agit d’une évasion. C’est révélateur.

La peur du fou est très répandue dans la société. Et politiques et médias n’hésitent jamais à l’attiser. C’est ainsi ce qu’ils font en nommant évasion le fait qu’un patient prenne la tangente, au lieu d’évoquer une sortie sans autorisation. Il ne s’agit pourtant pas d’un enfermement, mais d’une hospitalisation sous contrainte… L’enjeu de la terminologie utilisée par la presse ou par les politiques est ici fondamental.

Au moins, cette terminologie dit bien l’arbitraire…

Les hôpitaux psychiatriques sont des lieux de non-droit, où des patients sont privés de leur liberté et enfermés pendant des semaines sans que la justice n’ait son mot à dire. La France est d’ailleurs régulièrement condamnée par la Commission européenne des droits de l’homme. Théoriquement, il existe bien des instances de contrôle comme la CDHP2 , qui peut être saisie par n’importe qui. Sauf que c’est du bluff ! Le contrôleur de la CDHP est le médecin-chef du service d’à-côté, il reçoit une lettre d’un patient et appelle son copain : « Tiens, j’ai eu une lettre d’un de tes malades. » Réponse du copain : « Il est complètement fou. La dernière fois qu’il est sorti, il a fait ceci, cela… » Au final, il y a une proportion infinitésimale de patients qui sortent d’hospitalisations par ce biais.

La psychiatrie surfe en ce moment sur une dérive sécuritaire, issue en bonne part de la réaction des politiques à des faits divers. À l’image de l’introduction de la Protection des travailleurs isolés (PTI) dans les hôpitaux, après une intervention de Nicolas Sarkozy. Il s’agit d’un dispositif se présentant comme un téléphone, avec un bouton sur lequel appuyer en cas d’agression, d’incendie… Il est aussi muni du dispositif dit de « l’homme mort », qui se déclenche quand le boîtier reste trop longtemps à l’horizontal. Aller bosser le matin en se disant « Tiens je prends mon boîtier ‘homme mort’… », c’est l’horreur ! Et je connais pourtant des anciens collègues qui en sont satisfaits…

Utiliser un dispositif PTI, c’est accepter qu’on n’augmente pas les effectifs. Qu’on remplace un collègue par un boîtier. Le problème est que les infirmiers refusant ces pratiques se retrouvent dans des situations délicates. Le jour où ils se font agresser – parce que ça peut arriver –, l’incident ne sera pas considéré comme accident du travail. C’est vicieux.

Le sécuritaire, c’est aussi l’explosion depuis quinze ans des hospitalisations sous contraintes (d’office et à demande d’un tiers). Quand une mamie déjantée dérange le voisinage, on ne réunit plus le service social, la famille et les voisins ; désormais, on préfère signer un certificat d’hospitalisation d’office. Et on enferme des gens qui auront du mal à sortir. Parce qu’il y a très peu de structures d’accueil pour organiser les sorties. Et parce qu’il est obligatoire de régler l’hôpital avant de le quitter ; le montant du forfait hospitalier étant par exemple plus élevé que celui de l’allocation adulte-handicapé, cela peut se révéler très difficile pour certains.

Le sécuritaire, ce sont aussi les caméras dans les chambres d’isolement – c’est pourtant idiot : quand un patient ne va pas bien, il faut davantage de présence, et non une caméra. Ce sont les bracelets électroniques, pour être sûr qu’un tel n’est pas sorti d’un périmètre donné – ce qui permet d’éviter de le faire accompagner par un infirmier ou un aide soignant. C’est l’augmentation des refus préfectoraux de sorties à l’essai. Pour résumer : c’est l’enfermement maximum.


Article publié initialement dans le n°3 de la version papier d’Article11 et republié aujourd’hui sur le site d’Article11.

http://owni.fr/2011/05/10/le-declin-de-la-psychiatrie-francaise/

Christine : la thérapie par le sport

Infirmière de secteur psychiatrique,
Christine Huchet consacre sa carrière à la thérapie par le sport. En participant
à l’entraînement des malades atteints de troubles psychiques, elle favorise leur
réinsertion sociale et leur mieux-être.

Christine Huchet © DR

Le sport comme ligne de conduite

Sur la terrasse d’un café, faisant face à la mer et au vieux port de
Marseille, Christine attend paisiblement l’entrevue à laquelle elle a accepté
participer. Le cadre est parfait, la protagoniste chaleureuse. Il faut dire que
les interviews font aussi partie de sa mission. « Plus je communique sur
notre action à la presse, plus je casse l’image  négative que l’on se fait de la
psychiatrie et plus je revalorise les patients »
explique-elle.

Christine est de celle qui agit. Responsable du service des sports du centre
hospitalier Edouard Toulouse dans le quinzième arrondissement de Marseille, elle
soigne des malades à sa façon : le sport. Football, tennis de table, pétanque,
volley, basket, escalade avec les patients des différents services de
psychiatrie de l’hôpital sont autant d’outils qu’elle utilise dans le cadre de
son métier. Pour elle, le sport représente une activité structurante dans la
relation entre soignants et soignés. « Lorsque l’on peut faire respecter les
règles d’un sport collectif, on arrive à faire respecter les règles de la vie.
Les patients apprennent ainsi qu’ils doivent respecter autrui mais aussi faire
preuve d’hygiène par exemple »
.

Et les résultats sont probants. Plus que la relation à l’autre et la
propreté, les actions menées par Christine contribuent à des améliorations
franches des états pathologiques, notamment en terme de réinsertion. « Il y
a quelques années, nous avions en charge un homme en voie de clochardisation.
Pendant plusieurs mois, il a participé à l’activité voile que nous avions à
l’époque. Lors d’une régate, il nous a surpris à contredire mon collègue qui
soumettait une option de passage contre le vent. Il proposait autre chose.
Lorsque nous l’avons interrogé sur sa suggestion, il s’est livré : il avait été
moniteur de voile par le passé. Après de longs mois de non-communication, la
porte s’était enfin ouverte sur sa vie, le lien de confiance était
noué. »

Une vocation qui ne connaît pas la
routine

Christine fait ce métier depuis près de 25 ans. Toujours au même poste, avec
les mêmes ambitions et la même passion. Seul l’hôpital d’attache initial a
changé. Très jeune, elle a su quelle serait sa vocation. C’est en faisant un
« job d’été » en qualité de secrétaire dans une base de voile en Mayenne qu’elle
a sa révélation. Plusieurs groupes d’handicapés mentaux fréquentent le club et
cela  l’épate .

« J’adorais ces visages, je trouvais formidable que ces gens aient accès
à cette activité »
. Elle décide alors de renoncer à son désir de devenir
professeur de sport. Après s’être renseignée sur les études à suivre pour
travailler auprès de ces personnes, elle découvre que seul le métier
d’infirmière peut lui ouvrir les portes de ses ambitions. Elle se tourne vers le
secteur psychiatrique, qui a l’époque est encore distinct du cursus général.
Tout juste diplômée, elle quitte la Mayenne pour la région parisienne et prend
son premier emploi en unité psychiatrique traditionnelle, en caressant l’espoir
que sa demande de création d’un poste consacré au sport soit prise au sérieux.
Soutenue par le directeur de l’établissement, elle attend un an avant de pouvoir
réaliser ce projet. Entre temps, pour se perfectionner, elle passe un brevet
d’état d’éducateur sportif pour handicapés mentaux, ce qui lui permet de gagner
en crédibilité.

Six ans plus tard, elle postule à Marseille, pour se rapprocher de son
compagnon. Le poste existe déjà et s’avère vacant. Depuis, elle n’en déloge pas.
Elle s’y consacre et s’implique chaque jour davantage. Seule infirmière du
service, elle aimerait élargir « l’équipe », et surtout installer un terrain
multi-sports au sein de l’hôpital. « Nous travaillons avec les gymnases
extérieurs. Lorsque quinze ou vingt patients se présentent pour l’activité foot
et que je suis seule à les encadrer, nous ne pouvons pas sortir ! »
. Elle
souhaite aussi aménager un parcours santé allié à un parcours senteur installé
par une autre équipe, pour combiner approche environnementale, citoyenneté et
sport. Alors, elle s’organise et cherche des financements auprès des
institutions. Histoire de ne jamais renoncer à ses aspirations et
« d’apporter toujours plus aux patients ».

Malika Surbled

Christine Huchet en 5
dates

1986 : Obtient son diplôme d’infirmière de secteur
psychiatrique

1988 : Instaure un service des sports à l’hôpital Esquirol
(94) après l’obtention de son Brevet d’Etat d’éducateur sportif

1993 : Déménage à Marseille et devient responsable du
service des sports du centre hospitalier Edouard Toulouse .

1994 : Obtient un D.U de formateur en activité sportive
adaptée

2010 : Projette le développement de son service avec
l’installation d’un terrain multi-sports et l’élargissement de son
équipe.

http://www.actusoins.com/5059/christine-la-therapie-par-le-sport.html

« Schizophrénie et soins infirmiers », Friard, Rajablat, Leyreloup, Masson

Présentation de l’éditeur
Afin d’aborder les soins infirmiers aux personnes atteintes de schizophrénie, les auteurs présentent quatre histoires cliniques au travers desquelles ils répondent aux questions que se pose une étudiante. Ils présentent la psychose et plus particulièrement la schizophrénie d’un
point de vue historique, épidémiologique et clinique. La prise en charge infirmière est décrite à travers la relation soignant-soigné,
mais aussi à travers l’éducation du patient à la prise du traitement. Cela suppose d’effectuer un véritable travail d’apprivoisement qui s’inscrit dans la durée et mobilise tous les intervenants du secteur. À travers l’observation des différentes
modalités de prise en charge sont exposés
les traitements médicamenteux (sous leurs
aspects biochimiques, thérapeutiques),
relationnels, psychothérapiques et les
différents lieux de soins.
Schizophrénie et soins infirmiers

« La Forteresse psychiatrique », Philippe Clément, Flammarion/ Aubier

Quatrième de couverture
 » J’étais arrivé, nouvellement diplômé, avec l’intention de collaborer, à mon niveau, aux pratiques soignantes. Je ne voulais pas  » sauver le monde « , non, je voulais seulement être un infirmier convenable. Je constate aujourd’hui que j’ai surtout été confronté, et que j’ai participé, à l’exercice de pouvoirs qui ont pour caractéristiques communes de nier le patient en tant que personne. Et cela où que j’aie exercé, au sein même de l’hôpital comme dans le cadre de structures dites extra-hospitalières. Voila tout en ce qui concerne mes états d’âme d’infirmier psychiatrique ; je m’arrange comme je peux avec ça. On peut fermer les yeux, s’enfuir ou se satisfaire du système ; on peut aussi essayer de comprendre. C’est ce dernier choix qui a été le mien.  » Sur ce choix, Philippe Clément s’explique, Les « malades mentaux » sont-ils des malades comme les autres ? Comment accorder crédit à leurs paroles toujours suspectes d’être des symptômes ? Que deviennent les droits des patients dès lors que le soin se fait la plupart du temps sous la contrainte ? Comment l’institution s’est-elle peu à peu fabriqué ses propres règles de fonctionnement au mépris des besoins particuliers des malades ? Bref, pourquoi condamne-t-elle ceux qui « ont perdu la raison » à ne jamais la recouvrer ? Philippe Clément est infirmier en psychiatrie, diplômé en anthropologie et membre de Advocacy-France.

« Folie, aller simple », Gisèle Pineau, Philippe Rey

Présentation de l’éditeur

Infirmière en psychiatrie depuis l’âge de
vingt ans, Gisèle Pineau raconte, avec sobriété et intensité, ce métier  »
extraordinaire  » qui la tient  » en bordure de la norme, du normal « . Elle
revient sur son parcours: l’arrivée en métropole, l’université, les petits
boulots, les après-midi avec la vieille Lila. Et surtout, elle fait partager son
quotidien à l’hôpital, cet apprentissage permanent et difficile auprès des
malades – ces  » insensés  » que la société ne veut pas voir, isole, et aide de
moins en moins. Gisèle Pineau décrit l’ordinaire, les rituels, les délires des
uns, les dépressions des autres, la paranoïa sans limite, les trop nombreux
suicides, le manque de places dans les services, les insultes… Mais aussi –
cela arrive -, les moments de répits lumineux, quand le dialogue et le rire
parviennent à s’immiscer. L’écriture de Gisèle Pineau, son  » délire à elle « ,
l’infirmière-écrivain, jalonne cet aller simple vers le monde de la folie,
éclairant une face méconnue de l’humanité, une face aux contours flous et
fascinants.

 Folie, aller simple : Journée ordinaire d'une infirmière

Biographie de l’auteur

Née à Paris, Gisèle Pineau a partagé sa vie
entre la Guadeloupe et la région parisienne. Elle a publié une dizaine de romans
dont La Grande Drive des esprits (1993) et Morne Câpresse (2008).

« L’ordinaire de la folie », Blandine Ponet, Erès

Présentation de l’éditeur

« Travailler en psychiatrie. Faire entendre
ces mots : travailler. C’est-à-dire construire, ou plutôt labourer, retourner le
sol, ne pas s’arrêter. Travailler. Ou le contraire parce que tout est déjà là,
comme offert, il n’y a pas à chercher. Il suffit seulement d’avoir le regard
éclairci. Alors travailler en psychiatrie : ne pas avoir peur de retourner le
sol de soi-même pour garder le regard éclairci. Travailler. Ne pas avoir peur de
retrousser ses manches. Ne pas avoir peur de prendre le balai ou de faire la
vaisselle. De se salir les mains, D’utiliser des outils. Psychiatrie. Ce mot
existe-t-il encore ? Quelle réalité recouvre-t-il ? La psychose et la
schizophrénie ont-elles été définitivement dissoutes dans le morcellement des
symptômes du DSM IV ? Travailler en psychiatrie. A première vue, l’échange est
faussé, décalé, inégal, et on a plus souvent l’impression qu’il est à sens
unique et que les patients vous vampirisent. « Je suis le lierre, c’est vous le
tuteur » me dit Zohra. Ou : « Vous êtes mon moteur ». Travailler. En premier (mais
ce premier-là demande beaucoup d’années, demande de dépasser toutes les
considérations victimistes qui justifient les patients dans leur maladie et les
y enferment) accepter de reconnaître ce décalage que fait sentir la
dissociation. Ne pas le recouvrir des oripeaux sociaux de la « relation
soignant-soigné ». Le découvrir plutôt. Dénuder le lien à l’extrême. Ainsi
commence le travail. » B.P.

 L'ordinaire de la folie : Une infirmière engagée en psychiatrie

Biographie de l’auteur

Blondine Palet exerce comme infirmière dans
un hôpital psychiatrique. Titulaire d’un DESS de psychopathologie clinique, elle
anime des ateliers de lecture de poésie dans le cadre de son activité
professionnelle et à la médiathèque de Toulouse. Elle mène une recherche depuis
de longues années sur le métier d’infirmière en psychiatrie. Elle est membre du
comité de rédaction d’Empan. Elle a obtenu pour ce travail le prix Michel Saloir
de la Fondation de France.

« Les chemins noirs », René Fregni, folio

Description

Un homme jeune, très jeune, commet un jour
sans le vouloir un acte irréparable, et dès cet instant la vie sera pour lui une
longue cavale qui le mènera de Verdun à Paris, de Paris à Marseille, de
Marseille en Corse, de Corse en Italie, d’Italie au Monténégro, du Monténégro en
Turquie, de Turquie en Grèce, et enfin Grèce à Marseille, dans l’immédiat
après-Mai 68, où il découvrira en tant qu’aide-infirmier cet autre monde qu’est
l’hôpital psychiatrique. Telle est donc la trame picaresque du premier roman de
René Frégni qui sait de quoi il parle, longtemps familier de la route et
compagnon de l’aventure, et qui surtout exprime admirablement la solitude, la
détresse, l’humour et l’inébranlable volonté de survivre d’un être désormais en
marge.
Les chemins noirs

« Les Criants », Catherine Laurent, Seuil

Présentation de l’éditeur

« Ils », « Les Criants », ce sont des fous, de
simples fous, de pauvres fous, des démolis, des abandonnés. Blanche, la
narratrice de ces récits est infirmière dans un centre médico-psychologique à
Paris. Ses histoires sont autant de procès-verbaux de la détresse quotidienne.

 Les Criants

L’auteur vu par l’éditeur

Catherine Laurent a été infirmière en
milieu psychiatrique.

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