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« Le syndrome de l’imposteur », Claire Le Men, La Découverte

Présentation de l’éditeur

Avec ce premier roman graphique inspiré de son expérience personnelle, Claire Le Men nous permet d’entrer dans un univers difficile à documenter. Elle allie humour et finesse dans ce récit initiatique traversé de réflexions sur la folie, les normes juridiques ou encore l’objectivité supposée de la médecine.Lucile Lapierre, jeune interne en médecine en proie à un sentiment maladif d’illégitimité, est affectée un peu par hasard à une unité pour malades difficiles d’un hôpital psychiatrique. Dans ce récit initiatique inspiré de son expérience personnelle, Claire Le Men dresse un portrait juste et drôle de l’institution psychiatrique et des personnages qui la peuplent. Ce faisant, elle fait voler en éclat nos présupposés sur la folie.

Un mot de l’auteur

Claire Le Men est née en 1990 à Paris. Elle suit d’abord des études de médecine et se spécialise en psychiatrie. Son internat, qu’elle commence dans une unité pour malades difficiles, lui inspire son premier roman graphique, Le Syndrome de l’imposteur. Elle se consacre désormais à la bande dessinée, entre Paris et Berlin

Pas tous les psys…

En ce moment, sur twitter, il y a un hastag qui dénonce les maltraitances des psys, #moiVSpsy.

Evidemment, comme pour #Metoo et ses not all men, on a droit à « mais tous les psys ne sont pas comme ça! », « vous allez décourager les gens de consulter », « c’est déprimant pour les psys d’être critiqués », etc.

Evidemment, tous les psys ne sont pas comme ça, on le sait, et la bienveillance en psychiatrie et en psychologie devrait être la norme. On n’est pas là pour distribuer des cookies et dire « ouah, mon psy a été respectueux » alors que c’est un comportement normal.

Est-ce qu’on va décourager les gens de consulter? Quel est l’effet de ce hastag sur les patients?

Je ne le nie pas, ça peut faire peur. Mais ne vaut-il pas mieux être prévenu de ce qu’on peut rencontrer? Savoir que ce n’est pas de notre faute si ça se passe mal, savoir qu’on peut changer de psy (si on en a la possibilité)? Savoir que les psys sont faillibles, peuvent être grossophobes, racistes, sexistes, transphobes, etc. et qu’on a le droit de ne pas supporter ça? Que leur parole n’est pas parole d’Evangile?

Quand au fait que c’est blessant pour les psys d’entendre des critiques, que croient-ils que leurs maltraitances ont comme effet sur nous?

Je vais prendre mon exemple. J’ai vu pendant presque trois ans un psychologue maltraitant chaque semaine. A l’époque, je ne connaissais personne avec qui parler de ce qu’il peut se passer dans une relation thérapeutique, je n’en parlais ni à mes amis ni à ma famille, je ne fréquentais pas encore les forums et les réseaux sociaux n’existaient pas. J’avais eu surtout de mauvaises expériences avec des psychologues et des psychiatres.  Je n’étais plus en pleine crise mais j’étais loin d’être stabilisée.

La thérapie avec ce psychologue ne me faisait du mal, et pourtant, je ne suis pas partie, même si j’en ai émis plusieurs fois le souhait. Pourquoi? D’abord, parce que j’avais peur de tomber sur pire (un des psys que j’avais vu avant a quand même fini en prison pour avoir violé deux patientes). Mais aussi parce que j’étais persuadée que l’échec de ma thérapie était de mon fait, que je n’étais pas capable d’aller mieux, que je ne savais même pas suivre une thérapie correctement. Que si je tombais sur des mauvais psys, c’était un peu de ma faute. Que je ne valais tellement rien que même les gens payés pour s’intéresser à moi s’en fichaient. Je sortais d’une séance en ayant envie de me suicider, ou au mieux en étant mal toute la journée  et même si j’allais bien en arrivant. J’ai fait une crise terrible le jour où mon psychologue m’a raccroché au nez en disant « on ne change pas ce qui est convenu » quand je lui ai demandé d’avancer un rendez-vous, alors que j’étais en plein doute sur mon avenir (j’avais décidé d’arrêter mes études). Après, je m’en suis longtemps voulue d’être restée près de trois ans en thérapie avec lui. Je me sentais bête, assez conne pour être manipulée. C’est encore à moi que j’en voulais, pas à lui. Jusqu’à ce que mon médecin traitant me rassure et m’explique que je n’étais pas en état de me défendre.

Si j’avais connu d’autres usagers à l’époque, si j’avais pu partager leurs expériences, compter sur leurs conseils, je pense que je serais partie bien avant et aurait perdu moins de temps dans mon rétablissement. C’est surtout à ça que sert ce hastag, partager, parler, se dire qu’on n’est pas seuls.

Alors, c’est peut-être déprimant pour certains psys, mais pour nous, c’est de nos vies qu’il s’agit.

Le labyrinthe des soins

Depuis que ma psychiatre adorée est partie, c’est la croix et la bannière pour me faire soigner. D’abord, il a fallu que sa remplaçante arrive, deux ou trois mois après son départ. Ensuite, cette remplaçante, que j’ai à peine eu le temps de connaître, a été mise en congés maladie. Visiblement, elle ne reviendra pas. Donc, elle va elle-même avoir un remplaçant. Peut-être en janvier. Mais c’est pas sûr. Et puis vous comprenez, le temps que cette personne lise tous les dossiers, etc, ça va prendre du temps. Bon, j’ai cru comprendre que je ne devais pas attendre grand-chose du service de santé mentale. Ils vont me rappeler la semaine prochaine, pour me faire part de la décision d’équipe. La décision de quoi, j’ai pas très bien compris. De savoir si je peux attendre un éventuel remplaçant? Ou si je n’ai même pas le droit à ça et que je dois aller voir ailleurs? Sauf que je veux bien aller voir ailleurs, mais que tout le monde me dit que c’est complet. Aux consultations de l’HP, l’infirmier était étonné que je ne puisse venir que le jeudi. « Pourquoi si je peux me permettre? » Ben parce que je travaille, et que je ne peux pas me libérer en journée quand je veux. Oui, je sais, c’est dingue, mais il y a des patients psy qui ont une vie en-dehors de leur rendez-vous chez le médecin. Donc, il va voir, mais le jeudi c’est compliqué, et pas cette année en tout cas, et il me rappellera si la réponse du médecin est positive (quelque chose me dit qu’il ne me rappellera pas). « Et votre ancienne psychiatre, elle n’a pas de consultations? ». Ben non. J’y serais depuis longtemps si ma psychiatre adorée avait des consultations n’importe où dans ce pays.

J’ai pensé aussi à voir un psychologue, mais là où miracle il y a de la place, il faut y aller au moins tous les quinze jours et moi une fois par mois me suffit. Donc retour à la case psychiatre. De toute façon, je préfère parce que j’aime bien que la personne qui me suit puisse gérer mon traitement.

A chaque refus, je pose le téléphone et je pleure. C’est con, je sais. C’est pas que je le prenne personnellement ou quoique ce soit, mais je crois que ça me ramène à l’époque où je devais me battre pour me faire soigner alors que j’allais très mal, l’époque où on ne me croyait pas, celle où j’ai dû finir aux urgences pour qu’on me prenne au sérieux. Et puis j’ai besoin d’avoir une sécurité dans mon suivi, même si celui-ci est peu intense, pour me sentir bien. Si je n’ai pas ma consultation tous les mois, je pars vite en vrille. Alors, ne pas savoir ce qu’il va en être, même si heureusement j’ai toujours mon médecin généraliste, ben ça me fait pleurer.

Mon médecin m’avait conseillé une psychiatre, qui ne prend plus de nouveaux patients dans le public. Je vais essayer à son privé. Je l’appellerai lundi. J’espère que ça va marcher, parce que sinon je ne sais pas vraiment où aller. J’ai essayé tous les endroits qui me paraissent bien, il y a ceux où je ne veux plus aller, et je n’ai pas envie de piocher un nom dans le bottin sans savoir où je mets les pieds.

Il y a peu, j’ai été interviewée par un étudiant en journalisme, qui me disait qu’il avait l’impression que le système de soins en Belgique, c’était un labyrinthe.

Là, je suis un peu perdue dans le labyrinthe. Encore.

La fin d’une histoire

J’ai pas de chagrin d’amour. J’ai pas de chagrin d’amitié. Mais j’ai quand même le cœur un peu brisé.

Ma psychiatre s’en va.

Et j’ai les mêmes larmes dans la gorge que quand j’ai perdu un amour ou un ami. Le même sentiment de vide.

Oui, j’en trouverai un ou une autre. Comme on trouve d’autres amours ou d’autres amis. Mais ça ne me console pas, pour l’instant.

Oui, c’est la vie. Mais la vie m’a déjà pris mon grand-père et ma meilleure amie cette année, et ça commence à faire beaucoup.

C’était la psychiatre le plus intelligente et la plus agréable que j’avais eue. C’était quelqu’un qui me comprenait.

C’était une relation thérapeutique pas si commune, je le sais bien pour en avoir tant de merdiques avant.

C’était une de mes deux béquilles, avec mon médecin généraliste.

Et aujourd’hui, je ne marche plus qu’avec une béquille, un peu de travers, un peu brisée, encore une fois.

Il va falloir trouver une nouvelle béquille. Il va falloir avancer, comme toujours.

Mais je n’oublierai pas ma psychiatre.  Et je lui dis merci pour tout. Et je pleure.

Je suis aujourd’hui sortie du psychiatre en larmes

Je suis aujourd’hui sortie du psychiatre en larmes. J’ai 19 ans. En ce moment je ne me sens pas bien, j’ai l’impression que mes proches et des inconnus me veulent du mal. J’ai peur de rechuter. J’ai donc décidé de ne pas manquer le rendez-vous chez le psy. J’ai hésité à lui serrer la main. J’avais le regard fuyant et je ne parlais pas beaucoup. J’étais nerveuse, angoissée. Je ne veux pas regarder le psychiatre dans les yeux car j’ai peur qu’il puisse m’analyser. J’ai passé la séance à balbutier en me griffant la main et le poignet. Le psychiatre passe le début de la séance à ironiser « Ohhhhh mais vous pensez que les gens autour de vous ont des pouvoirs magiques!!! » Tout à coup le psychiatre se met en colère contre moi. Me dit « Vous êtes soûlante, vous ne parlez pas de toute la séance, la séance n’arrêtera pas! » Je dis que je ne le fais pas exprès. « Vous parlez comme une enfant de six ans! Je ne vais quand même pas vous prendre par la main! » « Et puis vous ne prenez même pas vos traitements régulièrement! » « Vous devriez vous faire soigner! Mais chez un autre psy! ». J’ai les larmes aux yeux et l’envie de riposter. Je quitte le bureau du psychiatre en claquant la porte, même la secrétaire a entendu l’altercation. Je crie « adieu » et je sors en pleurant. Ce témoignage est véridique. J’ai tout de même dit au psy qu’il ne devrait pas parler comme cela à des patients, il a rétorqué de la manière la plus inhumaine qui soit « Oui effectivement je ne devrais pas parler comme cela MAIS vous êtes soûlante! ». Je suis sortie sans ordonnance de neuroleptiques, et il n’a même pas essayé de me rattraper. Alors qu’il ironisait pendant la séance « Oui bien sûr… Vous ne pensez tout de même pas qu’on a caché des micros » alors même que je répète que je n’ai pas le coeur à plaisanter. Je n’ai même pas les moyens de me payer un psy en libéral maintenant. Ce psychiatre a été infect du début à la fin. Il remet mes expériences hallucinatoires en cause. Il utilise l’appel à la majorité « l’autre psy ne vous supporte pas non plus donc c’est vous qui avez un problème ». Il ne veut pas me dire mon diagnostic. A sous-entendu que j’étais bipolaire alors que mes délires/hallucinations ont parfois duré plus d’une année sans pause, puis a assuré que je n’étais pas maniaco-dépressive, tout en occultant toujours le sujet de la schizophrénie en disant « le diagnostic est inutile sauf pour mettre les gens dans des étiquettes ». Suite à cela j’ai arrêté les neuroleptiques, car à quoi bon, je ne suis ni bipolaire ni schizophrène selon Docteur, et je ne me reconnais pas dans les autres psychoses. Ce même docteur a osé me reprocher l’arrêt des neuroleptiques ensuite! Et depuis j’hallucine tous les jours, je vois mon propre visage se transformer, j’ai peur tous les jours, j’ai peur, peur, peur.

Surtout, si vous rencontrez un tel psy, ne faites pas la même erreur que moi, essayez, si vous le pouvez, avec vos moyens de le rembarrer dès les premières séances. Je n’ai pas osé et je m’en veux. Ce même psy sous-estimait les effets secondaires des neuros, haussait le ton, était condescendant et toujours sarcastique.

Elise

Pourquoi est-ce si difficile de trouver un psy?

Vous allez mal. Vous allez voir un médecin, ils vous envoie chez un psychiatre. Celui-ci vous écoute, vous prescrit un traitement, vous explique vos symptômes, pose un diagnostic et vous aide à vivre avec votre problème, sans le minimiser et sans le dramatiser.

Ah ah ah! Vous y avez cru? Dans quel monde vivez-vous?

Dans la réalité, c’est la croix et la bannière, le parcours du combattant pour trouver un psy qui vous convienne.

Il y a celui qui vous voit dix minutes sans parler, celui qui vous assomme avec des doses de cheval, celui qui nie vos effets secondaires, celui qui balaie vos problèmes de la main, celui qui dramatise, celui qui ne vous prendra en charge que si vous vous faites hospitaliser, celui avec qui vous avez l’impression de prendre le thé avec un ami, celui qui est aussi psychanalyste et ne veut pas prescrire de médicaments, celui qui ne vous croit pas, celui qui ne s’intéresse qu’à votre alimentation et votre sommeil, celui qui parle tellement qu’il ne vous écoute pas, celui qui ne veut pas faire de diagnostic, celui qui ne répond pas à vos questions et celui qui viole ses patientes.

Dans la réalité, il y a mon généraliste qui s’excuse pour l’état du système de santé. Dans la réalité, j’ai souffert cinq ans avant de trouver un bon psy. Dans la réalité, j’en lis encore aujourd’hui des histoires comme la mienne. Dans la réalité, il faut se battre contre la maladie et contre le système.

Dans la réalité, tu peux toujours crever avant de trouver un bon psy.

Les psys qui craignent

Numéro un, mon psy-le-violeur. Bon, pas de quoi s’étendre, il a fini en prison et même si ce n’est pas moi qu’il a violée, je ne vais pas pleurer sur son sort. Le mec à la porsche jaune que je n’arrivais pas à sentir, qui demandait juste « tu manges bien? tu dors bien? tu prends tes médicaments? » et basta, ce mec violait des patientes.. Top du podium, sans discussion aucune.

Numéro deux, mon psy-le-muet, psychologue de son état, à l’hôpital, psychanalyste officieusement (il se gardait bien de l’annoncer). Psycho-rigide au possible, hors de la psychanalyse point de salut. Je dis muet, mais il parlait de temps en temps. J’ai envie de faire l’inventaire de ce qu’il m’a dit en deux ans, une demi-heure par semaine, parce que de lui, je ne m’en suis pas encore remise. Je le déteste toujours (je l’entends déjà dire « c’est la preuve que quelque chose travaille, c’est bien »), je sais que je vais m’énerver en écrivant sur lui, mais voilà, depuis le temps, j’aimerais bien qu’il me soit indifférent, alors peut-être que mettre tout ça par écrit m’aidera à caser toute ma rancoeur dans un coin de ma tête. Donc, à part poser des questions uniquement quand je lui parlais de ma mère et des mes rêves et répéter « dites, dites » en regardant ses pieds et garder le silence (toujours en regardant ses pieds) devant mes larmes et mes questions, il m’en a sorti des bonnes comme « les maladies mentales, ça n’existe pas » (ok, mais la chose qui n’existe pas me pourrit quand même la vie), « l’argent n’a pas d’importance » (pour toi, peut-être), « pourquoi vous ne trouvez pas un travail pour payer une séance supplémentaire? » (parce que je suis schizophrène, que je fais des études universitaires et que c’est déjà assez compliqué comme ça?), « vous ne prenez pas ce travail au sérieux » quand j’ai demandé à déplacer une séance  pour sortir le soir de mon anniversaire (désolée, je croyais que le but était d’avoir une vie, pas de faire une thérapie en soi), « désormais toute séance annulée sera due » parce que je ne voulais pas avoir de rendez-vous pendant mes examens vu que j’en sortais démolie devant tant d’indifférence (ok, pour la remise en question ce ne sera pas encore cette fois-ci), « vous êtes très résistante » quand je lui disais qu’avec d’autre psy j’arrivais à parler mais pas avec lui (non, c’est juste que le silence et le regard vers les pieds, ça ne me pousse pas à la confession), « vous revenez pour notre rendez-vous pendant vos vacances en Espagne? » (bah oui, j’aurai que ça à faire, et puis ça me coûtera pas cher en plus, mais j’oubliais, l’argent n’a pas d’importance), « c’est la preuve qu’il y a quelque chose qui travaille » quand je lui disais que je n’avais rien à lui dire (ça faisait pas avancer grand-chose en tout cas).

freud

Numéro trois sur le podium, mon psy-le-muet numéro deux, psychiatre que je consultais en même temps que le psychologue cité plus haut. Dix minutes de silence une fois par mois, je m’asseyais, il s’asseyait, on ne disait rien. En deux ans, j’aurais néanmoins appris deux ou trois petite chose quand on réussissait à sortir une phrase. A savoir qu’il fallait dix ans pour diagnostiquer une schizophrénie (en même temps, quand on voit ses patients dix minutes et qu’on se tait, oui, je comprends que ça soit long de diagnostiquer quoique que ce soit), que mon psychologue était muet par tactique thérapeutique (je veux bien le croire, mais s’intéresser aux résultats, des fois, ça peut être pas mal, et là le résultat, c’était moi en miettes) et que les neuroleptiques ne faisaient pas du tout grossir, spécialement le Zyprexa qui faisait encore moins grossir (ne cherchez pas de sens à cette phrase, le seul que j’ai trouvé, c’est que le Zyprexa ferait maigrir, mais je n’ose pas croire qu’on puisse se foutre de la gueule de ses patients à ce point).

Mais pourquoi, vous direz-vous, pourquoi est-elle restée presque trois ans chez des psy qui lui convenaient si peu? Oui, pourquoi, parfois je me le demande encore. Mais j’ai quand même quelques éléments de réponses. D’abord, mon psychologue-le-muet me faisait croire que tout l’échec de la thérapie était à mettre à mon crédit, et j’avais fini par me penser nulle au point de ne même pas être capable d’être aidée. Et puis surtout, j’avais peur de tomber sur pire, ayant eu avant mon psy-le-violeur et, numéro quatre et cinq sur le podium, Docteur J’ai-fait-l’armée et Docteur C’est-la-maladie du romaniste (que vous pouvez retrouver plus en détails dans les articles première consultation et deuxième consultation), plus un psychologue qui me plaisait tout aussi peu. Pourquoi je n’ai pas pensé aux  psychologues et à l’infirmière qui m’avaient aidée? Pourquoi n’ai-je pas persévéré pour en trouver une autre comme elles? Je ne sais pas, si ce n’est que je n’avais pas beaucoup de force et plus assez pour croire à la chance. Alors, je me suis contentée de ce que j’avais, persuadée que même les gens qui étaient payés pour m’aider s’en fichaient comme d’une guigne et étaient plus passionnés par la contemplation de leurs pieds. Je me suis demandée si mon psychologue-le-muet aurait bougé le petit doigt si j’avais fait mine de sauter par la fenêtre, et aujourd’hui, je n’en suis toujours pas sûre.

Donc, tout ça pour dire que ces psy craignaient. Oui, pour moi, ils craignaient vraiment. Je ne dis pas que c’est le cas pour tous leurs patients, j’espère vraiment que non, qu’ils ont aidé plein de gens et qu’ils sont aimés par certains. C’est certainement le cas. Mais justement, si c’est le cas, pourquoi ne pas simplement avouer qu’une thérapie ne se passe pas bien? Pourquoi ne pas adresser une patiente à quelqu’un d’autre? Je n’aurais rien voulu d’autre. Juste, devant mes larmes, mes silences, mon désarroi, mon traitement qui ne fonctionnait pas, mon état qui s’aggravait, juste qu’ils avouent que non, leur « tactique thérapeutique » n’était pas faite pour moi. Juste me dire que non, tout n’était pas de ma faute, que quelqu’un d’autre m’aiderait sans doute plus. Pourquoi me retenir à chaque fois que je décidais de partir? Pourquoi s’acharner? C’est ça que je ne comprends pas, ce manque d’humilité, le fait de s’accrocher à sa théorie comme s’il n’en existait pas de meilleure, au mépris du bien-être de son patient.

C’est pour ça que je leur en veux toujours, bien plus que pour le peu qu’ils m’ont dit en presque trois ans. C’est pour ces phrases qu’ils ne m’ont pas dite que je n’arrive pas à les oublier.

Le pouvoir de la parole. Et deux mercis, en passant.

Il y a des mots, comme ça, qui ont plus de pouvoir qu’un anxiolytique. Du soutien qui donne plus de puissance aux médicaments. Parler avec un soignant qui te comprend, ça ne s’explique pas, mais ça change beaucoup de choses.

Il y a des phrases, comme ça, perdue au milieu des autres, qui peuvent te remettre d’aplomb. Des petites phrases qui semblent évidentes, on n’y fait pas vraiment attention, pas plus qu’aux autres en tout cas, et elles peuvent changer ta vie.

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Je ne dormais plus beaucoup, j’étais anxieuse, j’avais peur des gens et l’envie d’aller vers eux, et mon esprit voulait fuir et y aller, et ça augmentait mon anxiété. Et puis mon médecin, il m’a dit « C’est typique de ce genre de pathologies, ces parties de ping-pong dans la tête ». C’est pas vraiment une découverte. Il y a seize ans, j’écrivais « Je suis double. C’est peut-être un cliché mais c’est la vérité ». Je connais bien ça, être déchirée entre deux volontés opposées. Mais entendre quelqu’un me dire que c’est normal dans mon cas, ça m’en a délivrée. Je ne sais pas pourquoi, mais accepter ces parties de ping-pong, ça m’a apaisée. Elles sont encore là, mais je ne suis plus anxieuse.

Je faisais des cauchemars terribles depuis des années, je revivais mes périodes de crises dans mon sommeil, et la douleur qui va avec. Je voulais que ça s’arrête. Je voulais que ma psychiatre m’aide à supprimer ces cauchemars. Je ne voulais plus souffrir à cause de mon passé. Ma psychiatre m’a dit « Vous savez que vous pourriez en souffrir toute votre vie? ». J’ai répondu oui. Parce que je le savais bien, au fond. Et on est passées à autre chose. A d’autres mots. J’ai pensé à autre chose. Et j’ai refais des cauchemars de schizophrénie et de psychiatrie. Plusieurs fois. Mais je n’en ai plus été affectée. Parce que j’ai accepté que cette douleur faisait partie de moi, elle a diminué. Juste grâce à une phrase, à une évidence que je connaissais mais que je ne voulais pas voir. Cette petite phrase, elle va peut-être bien changer ma vie.

Oui, il y a des petites phrases, comme ça, on n’y fait pas attention, et je ne sais pas si ceux qui les ont prononcées en mesurent la portée. Alors je le dis maintenant: ces petites phrases, elles sont beaucoup pour moi.

Jean Oury, celui qui faisait sourire les schizophrènes

Il n’avait jamais raccroché : à 90 ans Jean Oury nous a quittés. Brutalement, malgré la vraisemblance ou l’imminence de son décès. Cette manière de se tenir debout, un peu voûté, était devenue familière : il aurait pu tenir encore dix ans ! Jean Oury (1924 – 2014) était le dernier vivant d’une grande aventure qui avait pour épicentre la clinique de La Borde qu’il avait fondée en 1953. Retracer ici la généalogie de la psychothérapie institutionnelle dont il fut, avec d’autres et après eux, le fondateur, tout comme son frère Fernand le fit pour la pédagogie, ce serait écrire l’histoire de plus d’un demi-siècle de luttes contre l’enfermement, de désaliénation, en même temps que d’échanges, de polémiques, de croisements féconds avec la psychanalyse (Lacan indéfectiblement), la psychiatrie existentielle ou anthropologique (Jacques Schotte), la philosophie (Henri Maldiney, Gilles Deleuze), sans compter la coopération, parfois orageuse, avec Félix Guattari.

Quels sont les axiomes que la psychothérapie institutionnelle a su dégager et formaliser ? En quoi nous importent-ils encore aujourd’hui ?

Le postulat de base est pragmatique : quand on veut soigner des patients, accueillis ou pire enfermés dans un établissement (hôpital, clinique, CMP), on doit d’abord soigner l’institution elle-même. Cette prise en compte des entours, de l’ambiance, des effets de l’institution sur l’humeur et donc le potentiel thérapeutique de la clinique, Jean Oury l’appelait «pathoplastie», à partir du radical «pathique» qui désigne le «sentir», le «sens des sens», à la fois passivité et création, couches du psychisme que les tendances actuellement dominantes en psychiatrie ignorent délibérément. Pour soigner les agités, il fallait soigner les quartiers d’agités. Quand on les eut supprimés, il y avait déjà beaucoup moins d’agités !

Corollaire de l’action sur la pathoplastie, est le sentiment de liberté que l’on éprouve, malgré l’errance, dans la libre circulation, car celle-ci est indispensable à la rencontre, maître mot de cette psychiatrie. Rencontre des patients avec tel ou tel «soignant», au détour d’un chemin, d’une salle, d’une réunion ou d’un atelier. «Programmer le hasard» est à la formule qui explicite le mieux cet attachement à la rencontre.

Parler de psychothérapie institutionnelle revient à parler de la clinique de La Borde, même si elle n’est pas la seule à la mettre en pratique. A La Borde on accueille essentiellement des personnes psychotiques, au corps comme au psychisme dissociés. Favoriser le transfert, au sens freudien, de ces patients sur l’institution, consiste à leur permettre d’élire tel personnage (ce peut être le cuisinier), tel lieu (le poulailler) voire tel animal : l’âne de La Borde en a vu d’autres ! Pour qu’il y ait transfert dissocié, il faut que la fonction soignante déborde du cadre et des statuts desdits soignants (psychiatres, psychologues, infirmiers, moniteurs, etc.) La fonction soignante peut être partagée avec les patients volontaires pour aider tel ou tel autre patient qui traverse un moment difficile. Ces regroupements éphémères s’appellent «constellations» (transférentielles). Pour qu’elles existent, il faut renoncer à s’accrocher à son statut. La hiérarchie n’est plus disciplinaire ou statutaire, mais subjective.

Tout ceci peut sembler vague pour les non familiers, de l’histoire ancienne pour ceux qui jugent ces pratiques peu scientifiques, voire utopiques, en tout cas incompatibles avec le managériat qui est survalorisé aujourd’hui. N’a-t-on pas voulu, pour des normes d’hygiène, fermer la cuisine aux patients qui élisent ce lieu quotidien, dont un cuisinier originaire de Côte d’Ivoire est à l’origine d’une extension de la clinique dans son pays ? Tout ceci ne s’est pas fait en un jour, mais surtout ne doit pas disparaître. Or le procès qu’on fait parfois à La Borde et à Jean Oury (qu’on traita même de «dinosaure mélancolique»), est ancien : recrutement de malades, refuge de marginaux, maison de retraite pour vieux gauchistes, voire pire ! Le reproche de garder les malades aussi longtemps, alors que la mode est au séjour court et aux thérapies brèves, a valu cette remarque de Jean Oury : «Travailler dix ans pour obtenir un sourire d’un schizophrène, ce n’est pas rien !»

Jean Oury venait d’un «arrière-pays» fait d’usines (Hispano-Suiza), de banlieues et de militantisme. Il recommandait toujours de lire l’histoire du POUM de Victor Alba, puisque la guerre d’Espagne qu’avait vécue François Tosquelles, le maître en la matière, a toujours été une référence : le «bref été de l’anarchie» convient toujours à l’histoire d’un établissement ouvert au public le jour de la mort de Staline ! Ce vieil anar que j’appellerai toujours comme les La Bordiens, «le docteur Oury», a prouvé qu’il pouvait rester debout jusqu’au bout. A 90 ans il était encore sur le pont : une semaine avant son décès il animait encore des stages. C’est cette silhouette un peu voûtée, ce froncement des sourcils, cette expression de soucieuse sollicitude avec laquelle il accueillait chacun au seuil de son bureau-univers, que je veux saluer aujourd’hui. Avec la difficile tâche de continuer après lui.

Jean-François REY Professeur de philosophie honoraire

http://www.liberation.fr/debats/2014/05/21/jean-oury-celui-qui-faisait-sourire-les-schizophrenes_1023423

Au courage de deux femmes que je ne connais pas

Les femmes, parfois, quelles connes, on leur fait l’amour et elles croient qu’on les viole.

Les folles, parfois, quelles connes, on les soigne et elles croient qu’on les viole.

Et certaines vont même en parler aux flics. Alors qu’elles étaient consentantes. Alors que c’était thérapeutique. Pas courant en psychiatrie, peut-être, mais thérapeutique.

Des filles pas comme il faut, des filles ni sympas ni gentilles. Des filles qui l’ouvrent. Des filles qui la ramènent avec leur haine et leur traumatisme.

Je suis une de ces connes qui croit qu’on la viole. Et les deux autres, celles que je ne connais pas, celles qui ont traîné un psychiatre au tribunal, celles qui ont mal compris, je les ai peut-être croisées dans le couloir de l’hôpital. Le vendredi matin, quand le Dr P. était seul. Pas d’interne, pas de secrétaire, pas de collègue. Peut-être me suis-je assise à côté d’une de ces deux connes qui n’ont rien compris aux gestes thérapeutiques de leur psychiatre, ou pas, mais en tout cas je me suis assise à la même place devant le même médecin.

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Ce médecin, moi je le trouvais juste antipathique mais j’avais eu ma dose de confusion l’année d’avant. Mais bon, t’avais qu’à dire non plus fort, frapper plus fort, partir, ne pas sortir avec ce mec. Et puis comme m’a dit plus tard un autre psychiatre « Tous les hommes ne sont pas comme ça ». Voilà sa réponse à mon traumatisme, à ma haine, mon envie de lui écraser mes Docks sur la gueule s’il crevait devant moi, ce mec-là. En clair, faut passer à autre chose mademoiselle, tous les hommes ne sont pas comme ça, n’en parlons plus.  T’en as pas parlé aux flics, n’en parle pas à ton psy non plus.

Faut arrêter d’emmerder son monde avec des histoires de femmes, aussi. Ou pire d’aller la ramener chez les flics et traîner devant les tribunaux les psychiatres qui essayent de vivre tranquilles et de bosser avec quelques avantages en nature. Faut pas envoyer en taule des gens juste parce qu’on a pas compris leurs intentions, juste parce qu’on est des femmes et des folles et qu’on a trop d’imagination.

Parce que bon, puisque tous les hommes ne sont pas comme ça, faut pas aller culpabiliser les mecs bien avec ses peurs et ses haines. Quand même.

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