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Insight or not insight?

Je viens de lire un article (http://www.alainbottero.fr/insight-et-psychose/) passionnant sur l’insight dans la psychose.

On dit en effet souvent que les psychotiques manquent d’insight, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas conscience de leurs troubles. On dévalorise même la parole de certains parce qu’ils en ont trop. En effet, on ne pourrait pas être de « vrais » psychotiques si on a un bon insight, et donc notre parole n’aurait pas à être prise en compte quand on parle de psychose (notez que celle des psychotiques ayant un faible insight n’a pas à être prise en compte non plus puisqu’ils sont trop fous pour en parler).

Je crois que cette croyance en un défaut d’insight dans la psychose mène à de nombreuses maltraitances.

On a souvent refusé de me soigner, ou mal soigner, parce que je m’exprimais trop bien. En effet, un vrai psychotique ne sait pas s’exprimer, apparemment. A 20 ans, pendant un jour et demi, une voix dans ma tête m’a persécutée, j’ai dû la tuer en lui fracassant la tête dans l’évier, l’ensanglantant et la noyant. Je ne sais pas comment relater cette expérience qui fut très éprouvante, alors à la psychiatre je l’ai fait comme je l’écris ici, omettant le passage (la métaphore, si vous voulez) sur le combat dans la salle-de-bains. Comme je ne savais pas identifier cette voix et que je m’exprimais bien, la psychiatre en a conclu que je n’étais pas psychotique et que j’entendais ma propre voix. Genre, à 20 ans, je découvrais qu’on avait une voix intérieure. Alors que pas du tout, cette voix était persécutrice et aliénante, rien à voir avec ma voix intérieure habituelle.

A force d’entendre que les psychotiques n’ont pas d’insight, on finit aussi par souffrir du syndrome de l’imposteur. En effet, puisque je me rends compte de mes troubles, c’est que je ne suis pas psychotique. Et si je ne suis pas psychotique mais que j’ai des symptômes psychotiques, c’est que je fais semblant. Et si je fais semblant, je ne mérite pas d’être soignée. CQFD. Oui, c’est vrai, une partie de moi était détachée de ma folie, effarée par moment. Quand j’ai balancé partout dans la pièce la tête de Jésus que j’avais achetée pour me protéger parce qu’elle ne répondait pas à mes attentes, quand une fois cassée, j’ai fait une crise parce que Jésus allais se venger, alors que je suis athée, je me rendais compte de la bizarrerie de mon comportement, mais je ne pouvais l’empêcher. De l’extérieur, j’avais l’air d’une folle, de l’intérieur, je ne l’étais qu’à moitié (ou au trois-quarts, ou au neuf dixièmes, je ne sais pas). A cette période, je me demandais si j’étais vraiment folle, puisque je ne l’étais pas totalement. Ayant aujourd’hui retrouvé une bonne santé mentale, je sais que je ne faisais pas semblant. Pourquoi aurais-je singé la folie (sans public, faut-il le dire)? Pourquoi sécher les cours pour détruire une tête de Jésus, arpenter la ville avec l’obsession de trouver un couteau de boucher pour me tuer, écrire sur ma cuisse le nom de la personne (imaginaire) qui m’accompagnait pour la retenir, courir dans d’immenses couloirs poursuivie par la mort, et sans jamais en parler à personne? Quand tout ce que je voulais, c’était de la tranquillité?

De ce défaut d’insight, on passe vite à la croyance que les psychotiques ne ressentent rien. Il y a plusieurs années, une stagiaire m’a confiée sur ce blog qu’une infirmière lui avait dit de ne pas caresser la joue d’un patient allongé, parce que « de toute façon, ils ne ressentent rien ». Certains croient aussi qu’on n’a pas d’émotions. Alors que je n’ai jamais eu d’émotions aussi violentes que quand j’étais en crise. Si on n’a pas d’émotions et qu’on ne ressent rien, alors pourquoi lutter contre les maltraitances psychiatriques? Puisqu’elles ne nous toucheraient pas? Quand je raconte mon hospitalisation (qui a été très soft par rapport à d’autres), beaucoup ne comprenne pas le choc qu’elle a créé en moi. Je pense que si je la vivais maintenant, ce ne serait pas du tout la même chose, je veux dire dans l’état psychique dans lequel je suis. Parce qu’il faut se rappeler que j’étais dans un état psychique totalement dégradé (oui, en général c’est pour ça qu’on est là et c’est un peu dommage que certains soignants ne le comprennent pas). Par exemple, j’étais transparente et on m’obligeait à me déshabiller devant trois personnes. Je ne savais plus qui j’étais et on me donnait un uniforme. Etc. A l’époque, parler à quelqu’un était pour moi une épreuve, prendre un bus bondé un enfer, marcher dans la rue me sentir transpercée de regards malveillants. Chaque chose banale était une violence. Alors imaginez ce qu’était une chose objectivement choquante comme arriver dans un service de psychiatrie fermé où vous êtes infantilisé et déshumanisé. Et encore, je le redis, je n’ai vécu que des violences ordinaires, pas d’isolement ni de contention qui peuvent laisser de véritables traumatismes.

J’en aussi souvent entendu dire que les psychotiques n’avaient pas besoin de thérapie par la parole ou n’y étaient pas accessible. Toujours ce défaut d’insight. Alors que oui, les médicaments m’ont aidée à réduire les symptômes, mais je ne me suis pas rétablie grâce à eux, mais grâce à la psychothérapie et surtout à l’entraide avec mes pairs. En parlant, donc, en partageant mon vécu.

Et pour finir, remettre sur le manque d’insight le refus de certains traitements est bien trop facile. Ce n’est pas parce qu’on refuse un traitement quel qu’il soit qu’on manque d’insight, mais peut-être parce qu’on a réfléchi à ce qu’on voulait ou ne voulait pas pour nous. Et oui, on peut se tromper parfois, mais pas toujours. Je lisais il y a quelques temps sur twitter une infirmière déplorer que quand elle amenait des patients aux électrochocs, ses collègues de somatique les traitaient de dingos. Puis elle disait plus loin qu’un patient qui refusait ce traitement manquait d’insight, leur déniant elle aussi leur libre arbitre. J’ai refusé plusieurs traitements et ce n’était pas par manque d’insight: j’ai refusé de voir des psychiatres parce que les deux premiers m’avaient méprisée, j’ai un temps refusé les psychotropes parce que j’en avais peur, je refuse certains neuroleptiques parce qu’ils font grossir et je refuse l’hospitalisation parce que celle que j’ai vécue ne m’a fait que du mal. Toute personne ou presque avec une maladie chronique refuse certains traitements, il n’y a qu’en psychiatrie qu’on peut mettre ça sur un défaut d’insight.

Bref, cette théorie du défaut d’insight ne sert qu’à nous déshumaniser, encore une fois.


Avant de changer le nom de la schizophrénie

On parle beaucoup de changer le nom de la schizophrénie pour réduire la stigmatisation.

C’est un sujet complexe, mais je pense qu’il y a deux trois choses qu’on pourrait faire et qui me paraissent plus urgentes que le changement de nom.

On donne souvent le Japon en exemple, où on est passé d’un mot signifiant « maladie déchirée de l’esprit » à « trouble de l’intégration » et où ça permet un plus grand nombre de diagnostics.

On voit donc qu’on parle de deux choses différentes: réduire la stigmatisation et permettre aux médecins d’être plus à l’aise en annonçant un diagnostic.

On a déjà abandonné le terme de démence précoce, parce qu’il était stigmatisant, pour celui de schizophrénie, qui l’était moins. Aujourd’hui, retour à la case départ. Cela permettrait donc aux grand public de moins nous stigmatiser d’un côté et de l’autre aux médecins de ne pas nous cacher notre diagnostic. Quand on voit que certains dans le grand public (et même dans des publics plus restreints) confondent encore handicap mental et maladie mentale, je pense qu’il y a bien des bases à reprendre avant de changer le nom de la schizophrénie. Quant aux médecins, ils ne sont pas censés cacher un diagnostic, aussi grave soit-il, et je crois surtout que c’est à eux de le déconstruire avec le patient. Quand je suis tombée malade et que j’ai commencé à me renseigner tant bien que mal sur les maladies mentales (avant et au début de l’ère internet, donc bien avant d’avoir la possibilité de partager des informations facilement sur un sujet aussi tabou), et quand j’ai reçu pour la première fois le diagnostic de schizophrénie, c’est vrai que j’ai pensé que mon avenir était entre les quatre murs d’un HP. Pensez-vous qu’un soignant a eu l’idée de me détromper? De m’interroger sur mes représentations? Non. Pas un seul. J’ai juste eu droit à « tu devras toujours prendre des médicaments et être suivie par un psychiatre ».

Un autre problème, qui contribue à la stigmatisation, est que notre parole est trop souvent confisquée. En France, une association d’usagers est le plus souvent en réalité une association de proches. Ceux qui disent « nous, les usagers », ceux qui sont là pour soi-disant protéger nos droits (mais en réalité plutôt les leurs), ne sont pas les fols mais leurs familles. Et ça, ça pose un sacré problème. Les intérêts ne sont pas les mêmes pour les usagers et les familles, comme ils ne sont pas les mêmes pour les médecins et les usagers. On peut sans doute s’unir sur certaines choses, mais il est essentiel que chacun parle en son nom et uniquement en son nom. Sinon, il s’agit de paternalisme, de ne pas nous laisser exercer nos droits, de ne pas nous considérer comme des adultes. Et ça, c’est très stigmatisant. Si on n’est pas digne de confiance, le grand public a donc raison de se méfier et les médecins de ne pas s’adresser à nous en égaux. Donc, la première chose à faire, avant de changer de nom, serait d’écouter les personnes concernées directement par cette maladie, et, si les choses ont un peu changé ces dernières années, on en est encore très loin.

Ecoutez-nous sur notre expérience de la maladie, de la psychiatrie, des médicaments ou de leur absence.

Ecoutez-nous quand nous revendiquons des droits (déconjugalisation de l’AAH, bonjour).

Ecoutez-nous sans nous réduire à une maladie.

Ecoutez nos craintes, nos espoirs, nos envies.

Ecoutez-nous si vous voulez vraiment comprendre la folie.

Ecoutez-nous et arrêtez de parler à notre place.

Ecoutez-nous, bordel!

Si le changement de nom permet tout ça, alors je dis oui.

PS: un article intéressant sur le changement de nom: https://www.franceculture.fr/societe/schizophrenie-2019-lannee-du-changement-de-nom

Des personnes concernées à écouter: https://commedesfous.com/ et Dandelion – Medium

« Ensemble, on aboie en silence », Gringe, HarperCollins

Un livre intéressant pour comprendre le point de vue du frère d’une personne schizophrène.

Présentation de l’éditeur

« Il y avait cet énorme chêne près des toilettes des garçons, sur lequel je reproduisais les coups de pied retournés du Chevalier Lumière, pour envoyer un signal aux inconscients qui t’auraient cherché des noises. Il ne pouvait rien t’arriver. Tu avais un frère dans la cour des grands, qui maîtrisait en théorie les rudiments du karaté et qui veillait sur toi. En théorie. Dans la pratique, ta garde rapprochée laissait parfois à désirer. »

Deux frères. L’un, candide, l’autre, rageur.
Leurs parents ont mis au monde la parfaite antithèse.
Quand Thibault fonce, Guillaume calcule.
Si Thibault tombe, Guillaume dissimule.
Prise de risque contre principe de précaution.
L’amour du risque face à l’art de ne jamais perdre.

En 2001, Thibault est diagnostiqué schizophrène. À cela, un Chevalier Lumière ne peut rien.
Sa bascule, il fallait la raconter. Et aussi la culpabilité, les traitements, la honte, les visions, l’amour, les voyages, les rires, la musique et l’espoir. Alors Thibault a accepté de livrer ses folles histoires. Et ses voix se sont unies à celle de son frère.
Contre une maladie qui renferme tous les maux, les clichés, les fardeaux, ils ont livré bataille.
À partir d’une tragédie universelle, ils ont composé un livre où douleur et mélancolie côtoient la plus vibrante tendresse.

La vie avec un antécédent psy est usante

Printemps 2016, j’ai alors presque 33 ans.
Tout semble aller pour le mieux. Ce que je décrirais comme la vie simple et ordinaire d’une personne qui l’est tout autant.
Marié depuis 4 ans, papa depuis 2 ans et demi. La construction de la maison est en cours. Un job de développeur logiciel.
Sauf que… je n’ai rien vu venir, ou presque. 15 jours sans réellement dormir, un peu de stress sans doute. Rien de bien grave je pense.
Sauf que… arrivent des crises d’angoisse. Rdv chez le médecin le jeudi 14 Avril. Prescription d’anxiolytiques. Quand je prends le comprimé, effectivement, je me sens un peu mieux.
Sauf que… deux/trois heures après la prise, la crise d’angoisse empire. (j’ai cru comprendre que ce sont des effets paradoxaux, et que ça peut arriver…)
Vendredi 15 Avril au soir je prends mon comprimé avant d’aller me coucher, il est environ 22h. Je me réveille en sueur vers minuit. Complètement angoissé.
Samedi 16 Avril après midi: Premier contact avec les UP. Je me souviens juste d’être incapable de fermer le zip d’une poche de mon manteau. On me ramène chez moi (je ne sais plus si j’ai eu un traitement complémentaire ou non).
Le soir, j’ai un comportement complètement WTF, avec notamment des hallu olfactives (j’ai l’impression qu’on veut m’empoisonner).
Dimanche 17 Avril après-midi: Une ambulance vient me chercher et me conduit aux UP. Expérience traumatisante, j’essaie de m’enfuir. Y’a clairement quelque chose qui déconne.
Je ne sais pas ce qu’on me donne, je sais juste que j’ai des comportements étranges, je passe une nuit affreuse où je me contorsionne dans le lit, croyant à je ne sais trop quoi. Je me crois observé, je pense qu’on mène une expérience sur moi.
3 jours plus tard, je me retrouve à l’HP le plus proche (HDT). Je me souviens juste être complètement désorienté, ne sachant pas où j’étais.
Je passe environ 1 mois et demi hospitalisé, et j’en ressorts en étant lucide mais en dépression. Selon le psychiatre, l’hospitalisation ne m’est plus utile.
Je passe ensuite le mois de juin et juillet dans un état dépressif sévère, j’ai même pensé à me suicider. Mais je ne suis pas passé à l’acte.
Petit à petit, je refais surface, et j’arrive à reprendre le travail en Septembre 2016.
A ce moment là je pense que le plus dur est derrière moi, on me dit que j’ai fait un burnout.
Sauf que…trois mois plus tard je me retrouve de nouveau aux UP après un état d’agitation intense et de nouveau des « ressentis » bizarres (je me souviens par exemple que je croyais savoir exactement communiquer avec le chat, et connaitre ce qu’il voulait. Je croyais de nouveau que j’étais espionné).
Et là, il s’est passé quelque chose que je n’ai vraiment pas vu venir. Je ne sais pas pour quelle raison exactement, mais j’ai voulu agresser le médecin. Je n’ai jamais été violent de ma vie auparavant (et jamais après). J’ai donc du être maitrisé de force et attaché à un lit. Et puis le néant. Jusqu’à ce que je me réveille à presque 100km de chez moi dans un autre HP. J’y reste 3 semaines.
Je rentre donc chez moi en Février 2017, après 2 autres semaines passés chez mes parents. C’était une condition de sortie.
Bon maintenant le plus dur est passé, c’est sûr, ça peut pas être pire.
Dans un sens, c’est vrai, ces deux expériences ont été probablement les plus difficiles à traverser dans ma vie.
Mais je me rends compte aujourd’hui, 3/4 ans plus tard, que la vie avec un antécédent psy est usante. Notamment quand il s’agit de parentalité et de justice. Je n’ai jamais eu recours à la violence physique avec ma fille (ni avec qui que ce soit hormis durant cet épisode aux UP), et la seule fois ou j’ai été violent oralement et psychologiquement, je m’en veux encore. (Pour préciser, je l’ai tenu a bout de bras, j’ai crié « maintenant tu dors ! » je l’ai posé dans son lit, et l’ai laissé pleurer). Je pense vraiment être un père « simple et ordinaire ».
Sauf que… j’ai eu le tort d’avoir été deux fois hospitalisé en HP. Mon ex-épouse à demandé à ce que je ne puisse pas rester seul avec ma fille. Que les droits de visite se passent exclusivement chez mes parents. Bien entendu, hors de question aussi de la véhiculer seul. Je peux comprendre mon ex, après tout j’ai voulu agresser un médecin sous ses yeux. Ca a du être traumatisant pour elle, et elle a eu peur pour sa fille.
Par contre ce que je ne comprends pas, c’est que le JAF ne soit pas capable de discernement. Le dossier est passé devant elle plusieurs fois, j’ai passé deux expertises psy, plusieurs attestations de mon psychiatre habituel, cela fait trois ans maintenant, et le jugement n’est toujours pas rendu, et il n’y a pas eu d’adaptation. Attendre, patienter, sagement bien-sûr, parce qu’évidement je n’ai pas le droit de me mettre en colère…imaginez juste le résultat. (« Il redevient fou, c’est dangereux pour sa fille »). Et ça, c’est clairement pas évident à gérer pour moi. Alors peut-être que je m’auto-censure, mais j’ai toujours l’impression d’avoir une sorte d’épée de Damoclès au dessus de la tête, et d’avoir encore moins le droit à l’erreur que n’importe qui. Pas le droit de m’emballer, rester calme en toutes circonstances. Ah et aussi l’infantilisation… Expliquez à une personne « saine d’esprit » de 35 ans de DEVOIR retourner chez ses parents avec son enfant parce qu’on la pense incapable et que c’est dangereux de s’en occuper seul. J’imagine bien qu’elle va vous envoyer chier, et pas qu’un peu. Mais nous, les « fous », non, on doit non seulement s’y plier, mais avec le sourire.
Je ne suis apparemment pas capable d’avoir une garde « normale », pas contre je dois être capable d’être stable dans ma vie, de garder mon job, de payer la pension, de suivre un traitement et de prendre 20kg. J’ai l’impression d’avoir des devoirs, mais aucun droit en face.
Remarquez, après tout, l’HP a eu au moins ça de bon… apprendre à patienter et à être discipliné, peu importe ce qu’il se passe autour…
Sylvain

Je veux qu’on m’aide à vivre, pas à mourir

J’ai lu un article complètement misérabiliste sur la schizophrénie. Un enfer, une maladie qui fait peur, des histoires terrifiantes, des gens enfermés à l’hôpital sans espoir, une maladie incurable et sans traitement. Résultat, des commentaires sur facebook demandent pourquoi l’aide à mourir ne s’applique pas aux schizophrènes.

Même quand j’étais suicidaire, et je l’ai été longtemps, je ne voulais pas d’aide à mourir. Je voulais une aide à vivre.

Je voulais mourir parce que j’étais seule avec cette maladie. Ce n’est pas mon histoire qui était terrifiante, c’était le symptômes que je vivais seule. Les crises, oui, c’était l’enfer, mais ma vie ne se résumait pas aux crises. Ma pensée ne se résumait pas au délire. Le délire, ce n’est pas non plus la part du rêve, comme le fait croire cet article. On n’est pas juste des êtres délirants, bons à être enfermés, sans traitement possible, et qui à l’occasion versons de l’eau bouillante dans l’oreille d’une voisine.

Notre vie est aussi précieuse que celle des autres.

Ecrire des articles de ce type, sous couvert de bienveillance, ça pousse juste les gens à nous voir encore comme les rebuts de l’humanité, qu’on devrait euthanasier par charité. C’est nous dénier toute possibilité de rémission, de rétablissement, c’est enlever toute valeur à notre vie. Et en passant, notre vie n’a pas moins de valeur quand on est en crise. J’ai entendu l’autre jour dans un film une éducatrice parler d’usagers en psychiatrie qui venaient dans un café thérapeutique dire « ils redeviennent de vraies personnes ». Comme si à un moment ou un autre, on avait arrêté d’être des personnes. C’était d’une violence incroyable mais personne n’avait l’air de s’en rendre compte.

C’est un peu trop facile de rejeter un groupe de personnes, de les discriminer, de les stigmatiser de mal les soigner, et puis de dire « oh, les pauvres, aidons-les à mourir ». Commençons par inclure les personnes schizophrènes dans la société, par respecter leurs droits, par écouter leur parole, par leur offrir des soins de qualité. Ca me paraît beaucoup plus urgent que de parler d’aide à mourir. L’urgence, c’est d’aider à vivre, et notamment les 10% de schizophrènes qui n’ont besoin de l’aide de personne pour se suicider.

L’autre monde ou ce qu’est la déréalisation

Un des symptômes les plus difficiles à expliquer aux autres, c’est la déréalisation.

Pendant une dizaine d’années, j’ai vécu dans ce que j’appelais l’autre monde. Sur mon mur, j’ai toujours cette citation, qui représente bien ce que j’ai vécu: « Vous sur une rive, moi sur l’autre, nous resterons des étrangers ».

Mais comment expliquer cet autre monde? C’était le monde de la folie, un monde noir, une étendue de sable noir, un monde dans lequel j’avais eu le tort de mettre un pied et qui m’avait aspirée tout entière. Ce n’était pas une hallucination, c’était un monde uniquement mental.

J’avais l’impression de vivre dans un rêve, j’étais à côté de moi-même, je me regardais agir, je m’écoutais parler comme si ce n’était pas moi qui parlait ou agissait. Je regardais le monde autour de moi et je ne le comprenais pas. Je regardais la librairie où je travaille et je ne comprenais pas ce que je faisais là, je ne comprenais pas le sens de tout ça, de ce minuscule endroit dans cet univers si grand. Je regardais les couples et je ne comprenais pas ce que ces gens faisaient ensemble. Je regardais les animaux et les plantes comme des extraterrestres. Même certains objets me déroutaient, je ne comprenais pas comment deux objets pouvaient être identiques.  Le monde tournait à une vitesse folle, autour de moi qui était statique.

Ce monde, ce monde agité et bien codé, je n’en faisais plus partie. Il était dans une sorte de flou, de buée. J’étais dans l’autre monde, fou, peut-être, mais c’était le mien. Il avait du sens, même s’il était blessant. Même si j’y étais seule (ou presque, parce qu’il y avait des personnes imaginaires avec moi).

Les gens pensaient que je vivais parmi eux, alors que j’étais ailleurs. C’est comme ça que j’ai vécu la déréalisation. C’était un symptôme très troublant, d’autant que mon psychiatre me disait ne pas le comprendre.

Je pensais ne jamais pouvoir sortir de l’autre monde, j’en étais persuadée. Aujourd’hui, je suis dans le monde réel. Je suis sur votre rive. Mais je n’ai rien oublié.

« Des lumières sur le ciel », Bénédicte Chenu, Leduc

Présentation de l’éditeur

« Le docteur s’assoit à côté de mon fils.
– Écoutez, lui dit-il, j’émets l’hypothèse que vous avez une schizophrénie.
Je suis abasourdie. Ma méconnaissance de cette pathologie n’a d’égale que l’étendue de mes préjugés. J’aimerais mieux qu’il ait un cancer ou n’importe quelle autre maladie précisément définie. Tout sauf la schizophrénie !
– Mais docteur, je rétorque, vous pouvez vous tromper !
Il encaisse mon commentaire en silence avant de chercher à rassurer mon fils :
– C’est une maladie qui se soigne. C’est une maladie dont vous pouvez guérir.
Puis il se tourne vers moi :
– Est-ce que vous connaissez le programme Profamille ? »

Dans cet ouvrage bouleversant, Bénédicte Chenu raconte le combat qu’elle mène avec son fils Charles, diagnostiqué avec une schizophrénie à l âge de 17 ans, pour qu’il puisse vivre une vie apaisée et autonome. Très engagée dans la prise en charge des schizophrénies en France, elle a fondé, avec d’autres parents, l’association PromesseS, visant à soutenir et développer le programme de psycho-éducation Profamille. Elle a également contribué au lancement du collectif Schizophrénies, premier portail Internet d’information indépendant, qui oeuvre pour un changement de regard et de politique. Parce que l’on peut vivre avec une schizophrénie, et même vivre une vie heureuse.

Paroles réconfortantes

Aujourd’hui, quelqu’un est arrivé sur mon blog en tapant sur un moteur de recherches « paroles réconfortantes à dire à un schizophrène en souffrance ».

Alors, j’ai envie de dire ce qui m’a réconforté ou non quand j’étais en crise.

La première chose à faire, je pense, est de ne pas faire semblant de comprendre ce que vous ne comprenez pas. Si vous ne comprenez pas ce qu’on ressent, ce n’est pas grave et c’est normal. Je me suis bien plus sentie comprise quand on m’a dit « je ne pourrai jamais comprendre ce que tu vis, mais je suis là » que quand on a minimisé mes troubles en essayant de les comprendre. Minimiser est une chose que beaucoup de gens ont tendance à faire, pensant rassurer leur interlocuteur. Dire « ça va aller » alors qu’on n’en sait rien, ça m’énerve plus qu’autre chose, et j’entends surtout qu’on ne veut pas que je me plaigne. Dire « mais tu es juste angoissée à cause des examens, du travail, etc. », c’est ne pas prendre la mesure des choses et ça n’aide pas non plus.

Ensuite, ne pas mentir. Quand j’ai été hospitalisée, mon psychiatre aux urgences m’a dit « c’est juste pour la nuit » et l’infirmière à l’étage « c’est juste pour quelques jours ». Résultat, je me suis sentie profondément trahie par mon psychiatre et j’ai voulu quitter un endroit  où on me mentait. J’aurais préféré qu’on me dise directement que c’était pour quelques jours, ou jusqu’à ce que j’aille mieux, ou le temps que je décide.

Il ne faut pas non plus dire que ce que je ressens n’a pas de sens. Il faut respecter mon ressenti, me dire que vous imaginez que ça doit être dur, effrayant, angoissant, même si pour vous ça n’existe pas. Quand j’avais des angoisses à propos des papillons, ma psychiatre m’a rassurée en me disant qu’il n’y en avait pas derrière moi. Ce qui était réconfortant, c’était qu’elle prenait mon ressenti au sérieux, elle n’a pas haussé les épaules en disant « mais non, il n’y a rien! ». Là, il s’agissait de quelque chose de facile à vérifier, et je pouvais me baser sur sa parole parce que j’avais confiance en elle. Quand ce n’est pas le cas (par exemple, les gens parlent dans mon dos), ça ne sert à rien de nier frontalement, après tout vous ne savez pas si c’est vrai ou pas, il faut plutôt poser des questions pour que je m’interroge sur mes croyances. Quand je suis allée au salon de livre, j’avais l’impression que tout le monde me jugeait incompétente. Ma psychiatre ne m’a pas dit que c’était faux, mais m’a demandé si on m’avait déjà dit que j’étais incompétente, si on ne me l’aurait pas déjà fait remarquer en dix-sept ans de carrière si ça avait été le cas, et ça m’a semble sensé comme raisonnement.

Dire des choses gentilles comme « je tiens à toi », « je suis là pour toi », ne sont jamais de trop non plus, car je doutais très souvent de l’amour de mes proches.

Je sais qu’aider un schizophrène en souffrance, c’est marcher sur des œufs, et que ce n’est pas facile. Surtout, n’oubliez pas d’écouter la personne et ne partez pas du principe que ce qu’il dit n’a pas de sens, ce sera déjà un grand pas dans l’aide que vous pouvez lui fournir.

 

 

« La trahison du réel », Céline Wagner, La boîte à bulles

Présentation de l’éditeur

Dans La Trahison du réel, Céline Wagner retrace le destin d’Unica Zürn, l’une des icônes du surréalisme, restée longtemps dans l’ombre de son compagnon, l’artiste Hans Bellmer, qui n’a pourtant eu de cesse de faire (re)connaître son génie… Après une enfance détruite par un viol et l’absence d’un père adoré, sa passion pour les artistes peuple ses livres. Installée à Paris, elle côtoie les créateurs les plus talentueux de l’après-guerre, notamment les surréalistes, et nourrit sa fascination pour les visages. Unica peint, écrit mais vend peu de dessins, gère mal sa carrière, et enchaîne les crises délirantes dans lesquelles Hans revêt bien souvent le visage de ses tourments. Son oeuvre composée d’anagrammes, de dessin, et d’écrits sont le reflet de ses angoisses schizophrènes.

Pourquoi je me suis tue

Pendant la première année et demie de ma maladie, je n’en ai parlé à personne. Je me suis tue sur mon mal-être, sur mes symptômes.

Quand je témoigne, la question de savoir pourquoi revient souvent.

Je vais essayer de répondre à cette question.

D’abord, je n’avais pas les mots pour parler de mes symptômes. Je ne savais même pas nommer l’angoisse.

J’avais aussi des moments de quasi mutisme. Je me souviens d’un jour où ma mère m’a demandé ce que je lisais, et il m’a fallu un effort considérable pour sortir « un truc de Gide ». Chaque question me semblait intrusive, même une aussi anodine que celle-là. Alors comment parler des mes sentiments? Je me sentais envahie par les gens, leurs regards, leurs questions, je me renfermais sur moi-même. J’étais physiquement incapable de parler de mon ressenti, parfois de parler tout court.

Pourtant, j’étais persuadée que si je parlais de mon mal-être, j’en guérirais. J’espérais qu’un adulte me parle, c’est pour ça qu’il m’est arrivé par deux fois de laisser voir mes cicatrices d’automutilation que je cachais habituellement. Mais ce n’est pas arrivé. Seul le prof de gym m’a demandé si ça allait, parce qu’il me trouvait toujours à cran, mais devant d’autres élèves et alors que j’allais mieux. Je ne lui ai donc rien dit. Les gens me demandent pourquoi je n’en ai pas parlé à une amie. A vrai dire, je n’y ai jamais songé, à cette époque. J’attendais tout des adultes, les autres adolescents me semblaient aussi impuissants que moi. Pour moi, la connaissance de la vie, c’était les adultes qui l’avaient, c’était eux qui pouvaient trouver une solution à mes problèmes.

On m’a aussi demandé pourquoi je n’en ai pas parlé quand j’allais mieux. Simplement, parce que j’avais l’impression que c’était derrière moi, que j’en avais fini avec cette souffrance et que ça ne valait plus la peine d’en parler.

En parler, c’était aussi révéler ma folie à des gens normaux. Je me sentais seule au monde. C’était aussi une autre époque, sans internet, avec peu (pas?) de campagnes de sensibilisation à la santé mentale. Je ne voyais pas qui, autour de moi, aurait pu comprendre ce que je vivais. Mes parents m’engueulaient, mes profs m’engueulaient, mes amis s’éloignaient de moi. Je me sentais emmurée.

J’ai bien conscience que je dis des choses contradictoires, mais toutes ces raisons à mon silence coexistaient pourtant. Espérer tout des autres et pourtant se sentir totalement incomprise.

La première personne à qui j’ai osé parler, après un an et demi, était un ami et souffrait comme moi. Je n’oublierai jamais cette nuit où je lui ai parlé de mes automutilations, des mes troubles et où il m’a répondu « Ca ne m’est pas du tout étranger ». C’était une libération. Je n’étais plus seule derrière mon mur.

C’est une des phrases les plus importante qu’on m’ait dit dans la vie. C’est peut-être pour ça que j’ai fait la formation pair aidance. Parce que je sais le soulagement qu’apporte cette simple phrase. « Ca ne me paraît pas du tout étranger ».

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