Archive for La schizophrénie expliquée par une schizophrène

L’autre monde ou ce qu’est la déréalisation

Un des symptômes les plus difficiles à expliquer aux autres, c’est la déréalisation.

Pendant une dizaine d’années, j’ai vécu dans ce que j’appelais l’autre monde. Sur mon mur, j’ai toujours cette citation, qui représente bien ce que j’ai vécu: « Vous sur une rive, moi sur l’autre, nous resterons des étrangers ».

Mais comment expliquer cet autre monde? C’était le monde de la folie, un monde noir, une étendue de sable noir, un monde dans lequel j’avais eu le tort de mettre un pied et qui m’avait aspirée tout entière. Ce n’était pas une hallucination, c’était un monde uniquement mental.

J’avais l’impression de vivre dans un rêve, j’étais à côté de moi-même, je me regardais agir, je m’écoutais parler comme si ce n’était pas moi qui parlait ou agissait. Je regardais le monde autour de moi et je ne le comprenais pas. Je regardais la librairie où je travaille et je ne comprenais pas ce que je faisais là, je ne comprenais pas le sens de tout ça, de ce minuscule endroit dans cet univers si grand. Je regardais les couples et je ne comprenais pas ce que ces gens faisaient ensemble. Je regardais les animaux et les plantes comme des extraterrestres. Même certains objets me déroutaient, je ne comprenais pas comment deux objets pouvaient être identiques.  Le monde tournait à une vitesse folle, autour de moi qui était statique.

Ce monde, ce monde agité et bien codé, je n’en faisais plus partie. Il était dans une sorte de flou, de buée. J’étais dans l’autre monde, fou, peut-être, mais c’était le mien. Il avait du sens, même s’il était blessant. Même si j’y étais seule (ou presque, parce qu’il y avait des personnes imaginaires avec moi).

Les gens pensaient que je vivais parmi eux, alors que j’étais ailleurs. C’est comme ça que j’ai vécu la déréalisation. C’était un symptôme très troublant, d’autant que mon psychiatre me disait ne pas le comprendre.

Je pensais ne jamais pouvoir sortir de l’autre monde, j’en étais persuadée. Aujourd’hui, je suis dans le monde réel. Je suis sur votre rive. Mais je n’ai rien oublié.

Renaud et Nadège

Des amis imaginaires, j’en ai eu quand j’étais petite. Ce n’était pas ça. Des doubles, des fantômes qui me hantaient, plutôt. Sur lesquels je n’avais pas de prise. Pas des hallucinations, je ne les voyais pas vraiment.

Renaud était mort à seize ans, désespéré, abandonné par les adultes, mort d’une overdose. Il dormait avec moi quand j’allais très mal. On a dit qu’il était égoïste de s’être suicidé, qu’il aurait pu demander de l’aide, mais tous ses gestes en demandait et tout le monde a détourné le regard.

Renaud, c’était mon moi le plus extrême, celui qui avait eu le courage que je n’avais pas. Je savais qu’il fallait mourir, mais je ne passais pas à l’acte. Il l’avait fait pour moi, et ça me blessait. J’en parlais comme s’il était vivant. Je me souviens de cet ami qui m’a dit « mais t’en connais beaucoup des gens comme ça? » et je me suis rendu compte que je parlais de Renaud. De quelqu’un qui n’existait pas. Mais qui était réel pour moi.

Nadège avait le même âge que moi. Elle se coupait, sans que personne ne le sache, se disait qu’elle n’était pas normale. Ou peut-être que si. Peut-être que tout le monde souffrait en silence, comment savoir? Peut-être que tout le monde perdait pied comme elle, et que tout le monde se taisait et faisait semblant, certains mieux que d’autres. Mais au fond, elle n’y croyait pas.

Nadège apparaissait dans sa robe de nuit d’hôpital, bleue, avec le mot « psiquatria » brodé dessus. Parfois, on ne s’entendait plus, je ne voulais plus la voir. Et quand j’allais mieux, elle me coiffait les cheveux avec douceur, mais est-ce que j’allais vraiment mieux si elle était toujours là?

Je savais qu’ils n’étaient pas réels, je ne les voyais pas comme je vois les autres gens, et pourtant ils existaient, avec leur vie propre. Ils étaient nés de mon imagination, mais je ne les contrôlais plus.

Ils me faisaient du bien, je crois.

 

Corps schizophrène

Je dis souvent que la schizophrénie est une rupture avec soi, les autres et le monde. Quand je dis avec soi, on pense forcément à une rupture avec son esprit, parce qu’il s’agit d’une maladie mentale. Mais c’est aussi une rupture avec son propre corps.

Beaucoup de sensations étranges étaient liées à mon corps.

D’abord, j’ai eu la sensation que mes bras étaient détachés de mon corps, qu’ils ne m’appartenaient plus.

J’ai imaginé ma jambe sectionnée, et je la tenais en main, la tournant dans tous les sens comme un objet, comme si ce n’était pas la mienne, et cette sensation était étrangement réelle.

J’ai fait des crises parce que je n’avais plus de sang, et j’étais obligée de me couper pour vérifier.

Je me coupais souvent d’ailleurs, pour voir ma souffrance sur mon corps, en espérant que quelqu’un d’autre la voit aussi (mais ce n’est jamais arrivé).

J’avais l’impression d’avoir une bête noire qui me rongeait de l’intérieur, dans le ventre.

J’avais des yeux derrière la tête, ou quatre yeux sur le visage. Mon corps gonflait, se transformait. Un jour, je me suis même transformée en animal.

Je n’avais plus de peau, et tout me blessait.

J’étais transparente, et on pouvait voler mes pensées.

Mon cerveau dégoulinait le long de ma tête, et je n’osais pas toucher pour vérifier, parce qu’aurais-je fait si c’était vrai?

Les gens me rentraient dedans, j’étais poreuse, un passe-muraille à l’envers.

Je maigrissais si vite que je ne me reconnaissait pas. Et puis j’ai grossi à cause des médicaments, et je me détestais, mais personne ne m’avait dit que les neuroleptiques faisaient prendre du poids. Personne ne se souciait de mon corps, je crois, et pourtant, oui, mon corps était aussi en vrac que mon esprit.

 

 

Dans la tête d’une schizophrène

« Il me faut un couteau, je dois mourir, je dois aller acheter un couteau, un couteau de boucher, au magasin chinois, ils doivent avoir ça. Je vais me tuer. »

« Il me faut un saint, il me sauvera. Je dois trouver une statuette de saint, je dois trouver un saint, il veillera sur moi, il me sauvera. »

« Ne marche pas sur les lignes. Jette-toi sous une voiture. Il faut trouver un morceau de verre, je  veux me couper, je veux saigner. »

« Tu es nulle, tout le monde te déteste. Regarde ces gens, ils te regardent, ils te trouvent ridicule. Tu a fais tout tomber, tu es pathétique. »

« Ils me volent mes pensées. Mais si on peut voler les pensées, je le sais, je le sens, tu mens quand tu dis que ça n’existe pas. Mon psychologue aussi me vole mes pensées. Les gens me traversent. Je n’ai plus de peau. »

« Je suis malade, je suis diabétique, et j’ai sûrement le sida, je vais devenir aveugle, qu’est-ce que je vais faire si je deviens aveugle? Je ne pourrai plus lire, je préfère mourir. »

« Je suis nulle, cette fille est tellement belle et intelligente, à côté je suis nulle. Je dois demander à la Vierge de me sauver d’elle, c’est normal d’être moins bien que la Vierge, elle me sauvera. »

« Le soleil me fait mal, je dois baisser les volets. Pour tous ceux qui ont un trou noir dans la tête, y a -t-il un soleil?*Y a-t-il un soleil? Il n’y aura jamais de soleil pour moi.  »

« Je n’ai plus de sang. Je dois me couper pour vérifier. Je n’ai plus de sang, qu’est-ce que je vais faire sans mon sang? J’ai une bête noire qui me ronge de l’intérieur. Je suis morte. Je suis pire que morte, des vivants il ne me reste que les larmes et la douleur. »

« Renaud, aide-moi. Nadège, aide-moi. Vous êtes les seuls à me comprendre, même si vous n’existez pas. Il faut que Renaud dorme avec moi, chasse la mort qui couche dans mon lit, qui court après moi dans les couloirs. »

« Arrête de t’arracher les cheveux, de tirer la peau de tes lèvres. Arrête de l’aimer. Arrête arrête arrête. »

« Ma tête se détache de mon corps, j’ai des yeux derrière la tête, mais oui ton bras est toujours attaché, oui il est à toi, j’ai quatre yeux. »

« Je veux mourir. Je n’en peux plus. Je n’y arriverai pas. Je ne veux jamais me réveiller ».

Vous avez lu ce texte. Ca vous a pris deux minutes. Maintenant, multipliez-le par des heures, des jours, des semaines, des mois. Des heures, des jours, des semaines, des mois.

C’était ma vie.

 

*phrase tirée d’une chanson des Béruriers Noirs

La violence de la maladie

Je ne vais pas parler pas des actes violents qu’on peut commettre en étant délirant mais de la violence de la maladie elle-même.

La schizophrénie est violente. En quoi?

C’est dur de parler de cette violence, car comment rendre compte de la violence de sentiments qui pour la plupart n’ont pas de noms ?  De cette expérience trop extrême et trop rare (même si elle ne l’est pas tant que ça) pour qu’on ne la nomme autrement qu’avec des mots savants?

Quand je pense à la violence de mes années de maladie, je vois d’abord les coups de lames de ciseaux sur mon poignet. Le sang. Mais ça c’est juste la violence visible, la conséquence de la violence intérieure.

La schizophrénie est violente parce qu’elle balaie tout sur son passage. Elle écrase tout, elle réduit en miettes. Le monde, les autres, soi-même. Il n’y a plus de terre ferme, juste un puits sans fonds et un monde qui s’effondre, littéralement.

La violence, c’est celle de l’angoisse. Je ne la décrirai pas une fois encore, j’en ai déjà beaucoup parlé, je dirai juste qu’un jour je me suis réveillée tellement angoissée que j’ai voulu hurler, mais j’étais paralysée par cette angoisse. La schizophrénie, c’est ça, un long hurlement silencieux. Hurler d’angoisse, de peur, d’être transpercée par le regard des autres, hurler parce qu’ils s’approchent trop. Hurler, hurler, hurler en silence pour ne pas incommoder les autres et se voir reprocher de ne pas sourire assez.

La violence, c’est celle de la mort. Passer sur un pont, se voir se jeter dans l’eau, regarder un couteau comme une solution, souhaiter ne pas se réveiller chaque fois qu’on s’endort. Courir dans les couloirs pour échapper à la mort qui me suit partout, compagne fidèle. Vivre des années avec la mort comme conséquence logique de la maladie.

La violence, c’est celle de l’obsession, de la durée, du temps. L’obsession, les pensées qui ne lâchent pas, le délire qui tourne, qui ronge, qui frappe dans la tête. Toc toc toc, fois mille, fois des jours, fois des mois. La violence de la durée et du temps, parce qu’être en crise pendant des mois, des années, ça épuise, ça vide, ça tue.

La violence, c’est celle du monde qui va trop vite, qui tourne comme une toupie, qui va trop fort, qui crie. Le moindre bruit qui s’insinue dans le cerveau comme un marteau-piqueur.

La violence, c’est celle des larmes qu’on retient, qui nous étouffent à force de rester dans la gorge.

La violence, c’est celle du vide intérieur, qui crispe, qui gratte, qui démange à vouloir casser quelque chose.

Et à toute cette violence, souvent l’hôpital psychiatrique répond de façon violente. Alors qu’on a besoin de douceur, de calme, de respect, de briques pour se reconstruire, d’intimité, d’humanité, de paroles, de quelqu’un qui rentre dans notre monde pour pouvoir nous en sortir. Pas d’infantilisation ni de règles rigides, de manque d’intimité ni d’obligations sociales, et encore moins de traitements violents.

Et c’est pour cela que je n’oublierai jamais l’infirmière qui s’appelle Adela et qui m’a pris la main, petit geste de douceur au milieu de la violence de la maladie et de l’hôpital.

L’angoisse au quotidien

Parfois, on me demande pourquoi je me dis encore schizophrène en dehors des épisodes psychotiques.

Déjà, parce que sans mon traitement, les épisodes psychotiques reviennent. Ensuite, parce que j’ai vraiment l’impression de vivre avec une maladie chronique au quotidien. Pas une maladie invalidante, mais une maladie fatigante. Mon quotidien, c’est l’angoisse. J’ai beau augmenter mon traitement, je suis angoissée. Pas anxieuse à propos de tel ou tel éventuel problème, c’est une angoisse sans objet. Un fonds d’angoisse permanent. Je ne m’y habitue pas, c’est toujours aussi pénible. Les années passent, l’angoisse reste. Ce ne sont pas les crises d’angoisses violentes que j’ai connues quand j’étais en crise psychotique, c’est une angoisse doucement dévorante. Une angoisse gluante, qui colle à mes pas. Une angoisse qui n’est pas insupportable mais dont la durée épuise. Je me réveille angoissée, je m’endors angoissée. Je fume, je fume et je suis toujours angoissée. Je travaille, je ris, je souris, mais je suis angoissée.

C’est le résidu de la schizophrénie, ce que mon traitement n’arrive pas à anéantir. C’est mon quotidien, c’est ma condamnation.

Et c’est dur.

Ma phobie

Je n’ai quasiment jamais parlé de ma phobie. Simplement parce que mettre des mots dessus était trop difficile. J’ai peur des papillons (je les appellerai X dans l’article pour m’éviter quelques angoisses). Pendant longtemps, je ne pouvais même pas prononcer ce mot, et encore moins raconter l’épisode qui a donné lieu à cette phobie.

J’avais environ huit ans, et je suis tombée sur une BD d’horreur où un X devenait géant et tuait un homme. Je l’ai refermée, mais mon frère, pour s’amuser à me faire peur, me la remise sous le nez peu après. C’était le début de longues années de terreur. Non seulement je ne pouvais supporter la présence d’un X sans craindre de devenir folle, mais je me réveillais aussi toutes les nuits, terrifiée à l’idée qu’un X géant soit dans ma chambre. J’avais aussi peur qu’il sorte des toilettes. Je n’exagère pas quand je parle de terreur, c’était vraiment un sentiment intense d’horreur profonde.

Vers 18 ans, j’ai commencé à pouvoir prononcer le mot X. J’étais contente, c’était un progrès, alors je disais à tout le monde que j’avais la phobie des X, pour apprivoiser un peu la peur. Je ne savais pas que les phobies et la peur font rire les gens. Certains s’amusaient à me raconter des histoires horribles avec des X, et moi je hurlais pour ne pas entendre. Un garçon  m’a poursuivie avec un X mort, pour essayer de me le mettre dans le tee-shirt. J’ai couru comme je n’ai jamais couru, ma vie en dépendait, j’aurais pu le frapper à mort s’il avait fallu, pour me défendre. Je savais que si le X me touchait, je deviendrais folle. Heureusement, je n’ai pas été rattrapée.

Un psychologue m’a proposé une TCC mais je n’arrivais pas à l’envisager, ma peur était trop forte.  J’ai guéri de ma phobie par la manière forte. Je travaillais depuis quelques années quand on a reçu les affiches trimestrielles du magasin, à placarder partout dans la librairie, des affiches avec d’immenses X jaunes, comme celui de la BD. J’ai hurlé sur le stagiaire qui s’avançait vers moi avec une affiche, j’ai fait n’importe quoi avec les commandes que j’étais en train d’envoyer. J’ai vite ôté l’ancienne affiche qui était sur la porte de la cuisine, pour que le stagiaire ne la remplace pas pour une nouvelle. Je ne voulais pas toucher cette affiche plusieurs fois par jour. Pendant des jours, j’ai travaillé la tête baissée, angoissée, de mauvaise humeur, au bord des larmes. Je me suis sentie rechuter pour la première fois depuis longtemps. J’étais très mal, je vérifiais derrière moi que le X géant n’y était pas, comme en Espagne, quand j’étais très malade. Même chez ma psychiatre, et elle m’a dit gentiment et doucement »il n’y a rien derrière vous », ça m’a touchée. Elle a proposé de me mettre en arrêt maladie, mais je ne voulais pas prendre trois mois d’arrêt, le temps que les affiches soient remplacée par d’autres. Et puis je me suis habituée. A force d’avoir l’horreur devant moi, c’est devenu moins horrible. Il ne m’arrivait rien. J’ai surmonté ma peur.

Aujourd’hui, j’ai toujours peur des X quand j’en vois un, j’ai toujours du mal à écrire ce mot, voilà pourquoi je me le suis évité ici. Je pense toujours au X géant chaque jour, mais sans terreur. Je vis depuis trente ans avec cette peur qui s’amenuise chaque jour, la preuve c’est que j’ai réussi à écrire ce texte. Je voudrais juste que les gens comprennent que ce n’est pas drôle, qu’il ne faut pas en rajouter devant quelqu’un qui a peur, que son équilibre psychique peut être en jeu.

 

La différence entre l’anxiété et l’angoisse psychotique

Oui, encore un billet sur l’angoisse psychotique, mais je me rends compte qu’elle est très mal comprise et qu’une troisième mise au point n’est pas de trop. Il va de soi qu’il ne s’agit pas d’une définition médicale mais plutôt d’une définition personnelle.

On m’a demandé ce soir si je ne pouvais pas gérer mes angoisses psychotiques en respirant un bon coup et en me raisonnant. La réponse est non.

Il m’arrive d’être anxieuse. Notamment au sujet de l’avenir, des gens qui vont mourir, de la perte éventuelle de mon travail, etc. J’arrive assez bien à me raisonner, en me disant qu’il ne sert à rien de s’inquiéter pour quelque chose qui n’existe pas encore et n’existera peut-être jamais. Il m’arrive aussi d’être en état d’hypervigilance, de sursauter au moindre bruit, de me sentir en danger à l’extérieur. J’arrive assez bien à gérer aussi, en respirant calmement et en rentrant chez moi, à l’abri, pour me calmer.

Les angoisses psychotiques, c’est tout autre chose. C’est une vague, une déferlante, quelque chose qui prend aux tripes et démolit complètement. On ne peut pas se battre contre, tout comme on ne peut pas se battre contre un tsunami. On peut juste se laisser submerger. Voilà quelques exemples d’angoisses psychotiques que j’ai vécues:

-des angoisses de morcellement et des angoisses liées au corps: l’impression d’avoir des membres coupés, des yeux derrière la tête, l’impression de ne plus avoir de peau.

-des angoisses de transparence: l’impression qu’on pouvait passer à travers moi, qu’on me volait mes pensées

-des angoisses d’anéantissement: l’impression de m’effondrer

-des angoisses de vidage: la sensation que mon cerveau s’écoulait de ma boîte crânienne, la peur que les moustiques me vident de mon sang.

Face à de telles angoisses, respirer un bon coup ne suffit pas. Dans mon cas, seuls les neuroleptiques me soulagent.

Reprenons les bases: illustrations ou Mes symptômes négatifs

Passons maintenant aux symptômes négatifs.

Les difficulté de concentration: j’ai eu la chance de pouvoir toujours lire. Il faut savoir qu’avant même de savoir lire je savais que je ne m’ennuierais plus jamais une fois que j’aurais appris et que les livres m’accompagnent quotidiennement depuis mon enfance. Ils m’ont réellement tenu en vie à une époque. Par contre, étudier étaient une autre paire de manche. Mon attention pouvait rapidement être déviée, soit par une voix dans ma tête qui me poursuivait, soit par des conversations que je tenais seule comme si j’avais une personne en face de moi, soit par des crises de larmes ou des tas d’autres choses.  Après avoir raté ma première année, j’ai pu quand même réussir mes études, passant parfois douze heures à assimiler ce que je pouvais habituellement étudier en une heure et demie.

La perte d’énergie: il m’arrivait de me lever et d’avoir épuisé toute mon énergie après m’être lavée, ou de mettre deux heures pour monter un escalier, m’arrêtant pour pleurer à chaque marche. Parfois, j’étais clouée au lit par la douleur. J’essayais pourtant de lutter et souvent j’arrivais à aller m’asseoir sur les bancs de la fac, mais je ne parvenais pas toujours à écouter le cours.

Le retrait social: sans doute le symptôme négatif qui fut le plus problématique, si on excepte mes épisodes de dépression mélancolique (mais peut-on considérer ceux-ci comme un symptôme négatif ou plutôt comme une comorbidité, enfin c’est un autre débat). Je pouvais être tellement enfermée dans mes pensées et mon monde que je restais au milieu des autres sans rien dire, sans être là, totalement coupée des autres, parfois en larmes. J’étais hors d’atteinte, et pourtant toujours en vie, toujours pensante, toujours souffrante et même toujours désireuse qu’on vienne vers moi.

La froideur affective: on m’en a souvent accusée et ça m’a toujours blessée. Sans doute parce que si j’étais froide, peu souriante, j’étais pourtant là, à étudier au milieu des autres, à travailler alors que j’aurais voulu hurler et me terrer dans un coin. Je faisais tous les efforts du monde pour montrer un visage impassible et pas ravagé, et on me le reprochait encore.

Le désintérêt: je trouve  bizarre qu’on le mentionne parmi les symptômes négatifs. Qui ne se désintéresserait pas des considérations quotidiennes quand il se demande s’il n’est pas en train de perdre la raison, quand il ne peut plus se fier ni au monde ni à lui-même ni aux autres? J’avais du mal à m’intéresser aux conflits  qui tracassaient mes amies, mais à ma décharge, je pensais que j’allais finir ma vie à l’hôpital psychiatrique et ça me préoccupait beaucoup.

L’ambivalence: il m’arrivait souvent de vouloir deux choses à la fois. Un exemple: quand je suis arrivée en Erasmus en Espagne, j’étais avec trois filles que je ne connaissais que très peu. Devais-je leur dire que j’allais mal et que je cherchais à voir un psychiatre? Je passais mon temps à me dire que oui, puis que non, et ça m’obsédait, je voulais les deux d’égale façon et je me tourmentais pendant des heures face à cette ambivalence. En même temps, il est difficile de savoir quoi faire quand on n’a pas beaucoup de confiance en son propre jugement.

Voici donc quelques-un de mes symptômes. En réalité, les symptômes négatifs me semblent être la conséquence logique des symptômes positifs et non des symptômes en eux-même, y compris la dépression, car il est difficile de garder le moral quand on vit de telles choses. J’espère avoir montré que tout cela n’est pas complètement fou, qu’il y a une logique derrière chaque symptôme, si infime soit-elle parfois, que les psychotiques ne sont pas juste « complètement malades ». Il faut garder à l’esprit que, excepté pendant un an, j’ai continué à avoir une vie normale pendant que je vivais tout ça,  ces symptômes que j’ai vécu parfois tous à la fois, parfois séparément, que j’étais peut-être bizarre mais en aucun cas « complètement folle et enfermée dans une institution ».  La dame au bavarois ne passera sans doute pas par ici pour lire ça, mais j’espère que sa réflexion servira à faire comprendre les choses à d’autres personnes.

Reprenons les bases: illustrations ou Mes symptômes positifs

Pour illustrer de façon plus concrète l’article précédent, je vais parler des symptômes de la schizophrénie et de la façon dont je les vivais. Il ne s’agit évidemment que de mon expérience personnelle, ça n’a donc rien de scientifique, mais ça montrera je l’espère qu’être schizophrène, ce n’est pas être complètement fou et ne se rendre compte de rien, ce n’est pas perdre son humanité.

Les hallucinations: j’avais quelques hallucinations auditives comme entendre une voix qui m’appelait du ciel ou des conversations dans un couloir alors qu’il n’y avait personne,  des voix dans la tête mais qui ne disaient rien de sensé, quelques hallucinations visuelles comme voir des taches qui n’existaient pas sur un tee-shirt, mais surtout beaucoup d’hallucinations cénesthésiques ou « corporelles », c’est-à-dire que je sentais mon corps se transformer, gonfler, que j’avais l’impression d’avoir quatre yeux ou des yeux derrière la tête, le cerveau qui s’écoulait de mon crâne, et même une fois l’impression de me transformer en animal.  Concernant les hallucinations auditives et visuelles, je pouvais y réagir de deux façons: soit je savais que c’était des hallucinations, par exemple pour les voix dans ma tête ou les bruits entendus avant de m’endormir, des sortes d’exclamation, et si ce n’est pas très agréable, on s’y habitue pourtant. Quand je ne me rendais compte que par après que j’avais eu une hallucination, par exemple en me rendant compte que mon tee-shirt n’était plus tâché, ou que mes colocataires n’avaient absolument pas eu d’altercation dans le couloir comme je l’avais entendu pendant la nuit, je réagissais très mal. J’ai retourné toute ma garde-robe à la recherche d’un tee-shirt tâché, pleurant et sachant que je ne l’y trouverais pas, que c’était sur celui qui pendait immaculé sur le fil à linge que j’avais vu des taches en l’y accrochant. J’avais vu ou entendu quelque chose qui n’existait pas comme je vois et entends toute chose, et cela me mettait dans un réel état de panique car je perdais prise avec la réalité. Je ne pouvais plus me fier à mes sens et c’était réellement terrifiant.  Quant aux hallucinations cénesthésiques, j’ai fini par m’y habituer aussi, sachant que c’était des hallucinations, même si elles étaient très angoissantes, notamment la sensation de ne plus avoir de peau ou celle que mon cerveau sortait de mon crâne. Ma raison me disait de toucher mon crâne pour me rendre compte que mon cerveau ne s’en écoulait pas, mais ma peur de le sentir sous mes doigts prenait le dessus.

Le délire: j’ai pensé que tout le monde me détestait, même des gens que je ne faisais que croiser. J’ai eu peur d’avoir le sida, de devenir aveugle ou d’être diabétique. Et j’ai remis ma vie dans le pouvoir de statuettes religieuses ou de porte-bonheur, alors que je suis quelqu’un de très rationnel en temps normal. Le délire est très prenant, tout tourne autour de ça. Contrairement à certains qui ne critiquent pas leur délire, j’en doutais beaucoup et c’est ça qui me rendait folle. Comment savoir si les gens me détestaient vraiment ou si c’était moi qui étais parano?  Comment savoir quelles étaient mes vraies pensées et celles contrôlées par la maladie? Comment me comporter rationnellement pour faire face à un problème qui n’existait peut-être pas? Comment le savoir? Comment? C’était ça qui tournait dans ma tête en permanence. Je ne pouvais déjà plus faire confiance à mes sens, en plus je ne pouvais plus faire confiance à mes pensées. C’est pour ça aussi que j’ai voulu faire confiance à des porte-bonheur, et je n’ai pas compris quand j’ai raté un examen alors que je portais mon trèfle à quatre feuilles en or. Et je ne comprenais pas non plus comment je pouvais être celle qui ne comprenait pas ça. Bref, tout était très confus, et je ne savais plus à quelles pensées me fier, ne sachant plus quelle part de moi était malade et laquelle ne l’était pas.

L’automatisme mental: j’avais l’impression d’être transparente, que les gens pouvaient voir à l’intérieur de moi et me voler mes pensées. Rationnellement, je savais que c’était impossible, mais je ressentais pourtant ce vol de pensées. S’en suivaient de longues heures d’angoisses  à hésiter entre « si c’est possible » et « non ça ne l’est pas », « ça ne peut pas exister mais puisque je le sens peut-être que si », etc.

La déréalisation: c’est peut-être le symptôme qui m’a le plus marquée. Je ne comprenais plus rien au monde, je le regardais comme une scène de théâtre absurde, tout me paraissait étrange. Je vivais dans ce que j’appelais l’autre monde, un monde qui m’avait happée et me retenait prisonnière, un monde noir et terrifiant, dont j’étais persuadée de ne jamais revenir. Pendant ce temps-là, je continuais pourtant des études universitaires, je n’étais donc pas « complètement folle ».

La dépersonnalisation: il m’arrivait de sortir de mon corps, de marcher littéralement à côté de mes pompes, à côté de mon corps, de parler comme si j’étais un robot en pilote automatique, de me regarder faire avec une angoisse détachée. Et pendant ce temps-là, je continuais pourtant à avoir des interactions avec les gens.

Le comportement désorganisé: je faisais des choses bizarres comme vivre dans ma chambre les volets tirés, avec seulement quelques bougies comme éclairage. Mais ce comportement avait un sens. Je ne pouvais plus supporter le soleil, trop beau pour moi qui vivait l’enfer, ni que le monde arrive jusqu’à moi, avec toutes ses agressions.

Voilà pour les symptômes positifs.

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