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Insight or not insight?

Je viens de lire un article (http://www.alainbottero.fr/insight-et-psychose/) passionnant sur l’insight dans la psychose.

On dit en effet souvent que les psychotiques manquent d’insight, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas conscience de leurs troubles. On dévalorise même la parole de certains parce qu’ils en ont trop. En effet, on ne pourrait pas être de « vrais » psychotiques si on a un bon insight, et donc notre parole n’aurait pas à être prise en compte quand on parle de psychose (notez que celle des psychotiques ayant un faible insight n’a pas à être prise en compte non plus puisqu’ils sont trop fous pour en parler).

Je crois que cette croyance en un défaut d’insight dans la psychose mène à de nombreuses maltraitances.

On a souvent refusé de me soigner, ou mal soigner, parce que je m’exprimais trop bien. En effet, un vrai psychotique ne sait pas s’exprimer, apparemment. A 20 ans, pendant un jour et demi, une voix dans ma tête m’a persécutée, j’ai dû la tuer en lui fracassant la tête dans l’évier, l’ensanglantant et la noyant. Je ne sais pas comment relater cette expérience qui fut très éprouvante, alors à la psychiatre je l’ai fait comme je l’écris ici, omettant le passage (la métaphore, si vous voulez) sur le combat dans la salle-de-bains. Comme je ne savais pas identifier cette voix et que je m’exprimais bien, la psychiatre en a conclu que je n’étais pas psychotique et que j’entendais ma propre voix. Genre, à 20 ans, je découvrais qu’on avait une voix intérieure. Alors que pas du tout, cette voix était persécutrice et aliénante, rien à voir avec ma voix intérieure habituelle.

A force d’entendre que les psychotiques n’ont pas d’insight, on finit aussi par souffrir du syndrome de l’imposteur. En effet, puisque je me rends compte de mes troubles, c’est que je ne suis pas psychotique. Et si je ne suis pas psychotique mais que j’ai des symptômes psychotiques, c’est que je fais semblant. Et si je fais semblant, je ne mérite pas d’être soignée. CQFD. Oui, c’est vrai, une partie de moi était détachée de ma folie, effarée par moment. Quand j’ai balancé partout dans la pièce la tête de Jésus que j’avais achetée pour me protéger parce qu’elle ne répondait pas à mes attentes, quand une fois cassée, j’ai fait une crise parce que Jésus allais se venger, alors que je suis athée, je me rendais compte de la bizarrerie de mon comportement, mais je ne pouvais l’empêcher. De l’extérieur, j’avais l’air d’une folle, de l’intérieur, je ne l’étais qu’à moitié (ou au trois-quarts, ou au neuf dixièmes, je ne sais pas). A cette période, je me demandais si j’étais vraiment folle, puisque je ne l’étais pas totalement. Ayant aujourd’hui retrouvé une bonne santé mentale, je sais que je ne faisais pas semblant. Pourquoi aurais-je singé la folie (sans public, faut-il le dire)? Pourquoi sécher les cours pour détruire une tête de Jésus, arpenter la ville avec l’obsession de trouver un couteau de boucher pour me tuer, écrire sur ma cuisse le nom de la personne (imaginaire) qui m’accompagnait pour la retenir, courir dans d’immenses couloirs poursuivie par la mort, et sans jamais en parler à personne? Quand tout ce que je voulais, c’était de la tranquillité?

De ce défaut d’insight, on passe vite à la croyance que les psychotiques ne ressentent rien. Il y a plusieurs années, une stagiaire m’a confiée sur ce blog qu’une infirmière lui avait dit de ne pas caresser la joue d’un patient allongé, parce que « de toute façon, ils ne ressentent rien ». Certains croient aussi qu’on n’a pas d’émotions. Alors que je n’ai jamais eu d’émotions aussi violentes que quand j’étais en crise. Si on n’a pas d’émotions et qu’on ne ressent rien, alors pourquoi lutter contre les maltraitances psychiatriques? Puisqu’elles ne nous toucheraient pas? Quand je raconte mon hospitalisation (qui a été très soft par rapport à d’autres), beaucoup ne comprenne pas le choc qu’elle a créé en moi. Je pense que si je la vivais maintenant, ce ne serait pas du tout la même chose, je veux dire dans l’état psychique dans lequel je suis. Parce qu’il faut se rappeler que j’étais dans un état psychique totalement dégradé (oui, en général c’est pour ça qu’on est là et c’est un peu dommage que certains soignants ne le comprennent pas). Par exemple, j’étais transparente et on m’obligeait à me déshabiller devant trois personnes. Je ne savais plus qui j’étais et on me donnait un uniforme. Etc. A l’époque, parler à quelqu’un était pour moi une épreuve, prendre un bus bondé un enfer, marcher dans la rue me sentir transpercée de regards malveillants. Chaque chose banale était une violence. Alors imaginez ce qu’était une chose objectivement choquante comme arriver dans un service de psychiatrie fermé où vous êtes infantilisé et déshumanisé. Et encore, je le redis, je n’ai vécu que des violences ordinaires, pas d’isolement ni de contention qui peuvent laisser de véritables traumatismes.

J’en aussi souvent entendu dire que les psychotiques n’avaient pas besoin de thérapie par la parole ou n’y étaient pas accessible. Toujours ce défaut d’insight. Alors que oui, les médicaments m’ont aidée à réduire les symptômes, mais je ne me suis pas rétablie grâce à eux, mais grâce à la psychothérapie et surtout à l’entraide avec mes pairs. En parlant, donc, en partageant mon vécu.

Et pour finir, remettre sur le manque d’insight le refus de certains traitements est bien trop facile. Ce n’est pas parce qu’on refuse un traitement quel qu’il soit qu’on manque d’insight, mais peut-être parce qu’on a réfléchi à ce qu’on voulait ou ne voulait pas pour nous. Et oui, on peut se tromper parfois, mais pas toujours. Je lisais il y a quelques temps sur twitter une infirmière déplorer que quand elle amenait des patients aux électrochocs, ses collègues de somatique les traitaient de dingos. Puis elle disait plus loin qu’un patient qui refusait ce traitement manquait d’insight, leur déniant elle aussi leur libre arbitre. J’ai refusé plusieurs traitements et ce n’était pas par manque d’insight: j’ai refusé de voir des psychiatres parce que les deux premiers m’avaient méprisée, j’ai un temps refusé les psychotropes parce que j’en avais peur, je refuse certains neuroleptiques parce qu’ils font grossir et je refuse l’hospitalisation parce que celle que j’ai vécue ne m’a fait que du mal. Toute personne ou presque avec une maladie chronique refuse certains traitements, il n’y a qu’en psychiatrie qu’on peut mettre ça sur un défaut d’insight.

Bref, cette théorie du défaut d’insight ne sert qu’à nous déshumaniser, encore une fois.


« Autopsie des échos dans ma tête », Freaks, Lapin

Un livre salutaire, parce que d’habitude, les fous, on ne les entend pas. Ce sont leurs familles ou leurs médecins qui parlent pour eux. Ici, Freaks nous ouvre son cerveau pour nous parler de ses symptômes, de sa folie, mais aussi de sa prise en charge psychiatrique, de sa découverte de l’antipsychiatrie, de médicaments, d’amour et d’espoir.
Il faut livre ce livre parce que d’une part les livres écrits par des gens concernés par la folie sont trop rares pour qu’on passe à côté, mais aussi parce d’autre part il est de qualité et se paie en plus le luxe d’être drôle et inventif.

« Nellie Bly, dans l’antre de la folie », V. Ollagnier-JOuvray, C. Maurel, Glénat

Une BD passionnante.

En 1887, à New York, Nellie Bly, journaliste, se fait passer pour folle et est internée à l’asile de Blackwell, où elle découvre des conditions de vie indignes: faim, froid, coups, femmes internées jusqu’à la fin de leurs jours sous les prétextes les plus futiles. Son reportage fera scandale.

« De l’asile à la psychiatrie moderne. Quand les fous n’étaient pas des hommes », J. Boutier et P. Devienne, Jourdan

Le témoignage d’un infirmier psy des années 50 aux années 80. C’est intéressant, même si évidemment gros TW violences psychiatriques. Le livre a été écrit en 1986, d’où le titre, parce que l’auteur croyait vraiment à une évolution positive de la psychiatrie, ce qui est remis en cause par son beau-fils qui présente le témoignage. L’auteur est passé de l’asile vétuste avec des gardiens et des camisoles et aucune activité, à un HP moderne avec des infirmiers et des patients libérés de leurs entraves, avec des activités, des ateliers, des sorties, et pensait que ça allait aller dans le même sens dans les années à venir et que le secteur rendrait même l’HP quasi inutile. Du coup, ça fat aussi un peu mal au coeur.

Le témoignage montre bien à quel point les changements à l’asile ont été difficiles, on se méfiait de toute innovation, de toute initiative. Par exemple, quand les infirmières sont arrivées, les gardiens ont dit « c’est pas possible, elles vont se faire violer ».dem pour les sorties en groupe, les infirmiers allaient forcément perdre des patients. Pour les neuroleptiques, les gardiens s’en méfiaient et trouvaient que les camisoles étaient déjà une amélioration par rapport aux chaînes. Etc.

Je suis en colère

Je n’arrive pas à dormir parce que je suis en colère.

Je suis en colère parce que d’un côté on nous dit « oh, mais tu ne dois pas dire « je suis schizophrène » mais « je vis avec une schizophrénie » » (comme si la schizophrénie c’était ma colocataire et que je pouvais la quitter quand je veux) »et que de l’autre des familles de personnes schizophrènes disent « nos malades » comme si on était plus une personne mais juste une maladie, plus ou fils ou une fille mais juste un poids, et que ça, personne n’a l’air de trouver ça problématique.

Je suis en colère parce qu’en 2020, il faut encore lire des choses comme « Vous (la famille) souffrez, pas lui (la personne schizophrène) » sous la plume de proches. Comme si on n’était pas des humains, comme si on n’avait pas de sentiments, comme si ça existait une maladie qui ne fait pas souffrir.

Je suis en colère parce qu’on n’a pas voulu me soigner tant que je ne me suis pas littéralement tapée la tête contre les murs devant des soignants. Parce que si on demande de l’aide, c’est qu’on ne va pas si mal. Parce que les idées suicidaires, les automutilations et l’échec scolaire, pour ne parler que de ça, c’était pas assez tant que je ne me conduisais pas comme une vraie folle. Parce que être persécutée par une voix et la tuer en lui fracassant la tête dans le lavabo, c’est pas possible si tu t’exprimes bien. Parce qu’un psychotique, un vrai, ne demande rien et s’exprime mal.

Je suis en colère parce qu’on nous dit que c’est la peur du stigma qui éloigne des soins alors qu’en fait les soignants font très bien ça tout seul. C’est nous qui devons supporter de nous entendre dire qu’on est jeune, ça passera, qu’on exagère, que c’est pas si terrible, que les effets secondaires des médicaments c’est dans notre tête. Ou alors qu’il faut arrêter nos études, notre travail, parce qu' »il faut penser à sa santé d’abord ». Mais c’est quoi penser à sa santé d’abord? Tout arrêter, s’assoir, méditer, prendre bien son traitement, obéir et se retrouver sans rien?

Je suis en colère parce que des tas de soignants ne veulent pas nous donner notre diagnostic de peur qu’on s’identifie à la maladie, nous privant ainsi de pouvoir nous informer et partager avec nos pairs. Et d’ailleurs, c’est pas une maladie, mais vous devez quand même aller voir un médecin et prendre un traitement. Comprenne qui pourra.

Je suis en colère parce que mon amie Cécile est en morte, de tout ça. Qu’elle s’est fait jeter de Sainte-Anne alors qu’elle voyait le psychiatre avec une tête de serpent, mais elle était venue demander de l’aide, et un psychotique n’en demande pas, comme je l’ai dit plus haut. Moi je me suis fait jeter par mon psychologue quand j’ai commencé à travailler et alors que j’avais arrêté mon traitement parce que je ne pouvais plus venir le vendredi à 14 heures et qu’il fallait toujours venir le même jour à la même heure et qu’il n’avait pas de place pour moi à un autre moment. Il aurait pu me donner le nom d’un confrère, mais non. Je me suis vue refuser un suivi parce que la psychiatre me pensait dépressive et que la psychologue m’avait diagnostiquée schizophrène. Elle pensait que j’avais besoin d’un suivi psychiatrique et de neuroleptiques, qu’elle ne pouvait pas m’aider, alors la psychiatre en a conclu qu' »étant donné le refus par le centre de santé mentale, la patiente n’a pas besoin de suivi ». Mais à part ça, c’est nous qui ne voulons pas nous soigner.

Je suis en colère parce qu’on dit qu’on est dans le déni alors que c’est la société entière qui est dans le déni de notre souffrance. Que ne pas vouloir être maltraité à l’hôpital, ce n’est pas du déni, c’est de l’instinct de survie.

Je suis en colère parce que tous ces préceptes à la con nous empêche de nous soigner bien plus que la peur du stigma.

Et je suis en colère pour ne pas pleurer.

Demain nous sommes débout

Un court métrage pour lequel j’ai témoigné

Mes soins idéaux

A part une hospitalisation, un traitement médicamenteux et des suivis psychologiques et psychiatriques, je n’ai pas eu beaucoup de soins.

Dans un monde idéal, qu’est-ce que j’aurais aimé avoir comme soins?

A l’hôpital, j’aurais préféré un service ouvert à un service fermé (surtout que j’étais en hospitalisation libre). J’aurais surtout préféré un hôpital de jour. Avec des activités sensées, pas infantilisantes et une écoute bienveillante. Mon psychologue m’a un jour proposé une hospitalisation de nuit, mais je ne voyais pas l’intérêt de venir dormir à l’hôpital, où il y avait déjà très peu d’activités la journée, et où en trois ans de consultations, j’ai rarement vu les infirmières hors de leur bureau.

J’ai rencontré un jour un travailleur (je ne me souviens plus de sa fonction exacte) qui accompagnait les gens en souffrance psychique dans leur recherche d’emploi, et surtout qui continuait à les suivre une fois qu’ils avaient trouvé un travail. On pouvait l’appeler pour qu’il vienne pendant la pause de midi, ou le voir après le travail, par exemple. J’aurais aimé bénéficié d’un tel accompagnement, parce que mes débuts au travail ont été difficiles.

J’aurais aussi aimé connaître une association (comme L’autre « lieu » par exemple) qui ouvre le week-end ou le soir, parce que quand on travaille on a rarement l’occasion d’y aller à un autre moment. Les gens ont l’impression que si on a un travail, c’est que ça va, alors qu’on peut très bien aller plus mal qu’en ne travaillant pas. Et à une époque, je me sentais très seule en fin de semaine et ressentait le besoin de côtoyer d’autres usagers.

J’aurais aimé connaître une ligne d’appel qu’on peut joindre le soir ou la nuit, parce que c’est souvent le moment où on se sent le plus démuni face à la maladie.

J’aurais bien aimé aussi qu’on m’explique ma maladie et qu’on me dise que je pouvais aller mieux, et pour ça un pair aidant aurait été certainement une bonne chose.

Et pour prévenir les risques suicidaire, je pense qu’il vaut mieux rester près de la personne et lui parler que de l’isoler et/ou de l’attacher. Je ne l’ai pas vécu, mais sachant que ça existe, ça ne donne pas envie de parler de ses envies suicidaires. Quand j’avais envie de mourir, j’avais essentiellement besoin d’attention et de douceur, certainement pas de solitude et de contention.

Finalement, il faudrait que les différentes offres de soins soient mieux connues des usagers. Quand on arrive dans le monde de la psychiatrie, on n’y connaît rien et les psys ne nous parlent pas toujours des initiatives qui pourraient nous aider.

Alors oui, je me suis rétablie sans tout ça, mais je pense que ça aurait été moins long et moins douloureux avec.

 

Juste une folle

Si tu es « adhésif », c’est pathologique.

Si tu es « opposant », ça demande une augmentation de traitement.

Si tu souffres de tes conditions d’hospitalisation, c’est parce que tu ne sais pas où est ton intérêt.

Si tu veux moins de médicaments (et d’effets secondaires), c’est que tu es dans le déni.

Si tu ne demande rien, tu n’adhères pas aux soins.

Si tu demandes trop, tu pompes l’énergie des soignants.

Si tu n’acceptes pas les mensonges, l’infantilisation et les règles carcérales, c’est parce que tu es malade.

Si tu veux faire valoir tes droits, tu remets le travail des soignants en cause.

Si tu parles, personne ne t’écoute.

Si tu parles, tu parles dans le vide. Parce que ta parole ne vaut rien. Parce que tu es fou. C’est plus commode pour tout le monde de dire que ce que tu dis n’a pas de sens. De ne pas se remettre en question. D’ériger une barrière infranchissable entre toi et eux.

J’ai pu parler à mes amis, j’ai pu parler à des thérapeutes hors de l’hôpital (mais pas à tous), j’ai pu parler sur internet, j’ai pu parler à des étudiants, j’ai pu parler à des conférences, et être écoutée.

Je n’ai jamais pu moins parler qu’à l’hôpital, où on est censé te soigner par la parole. La maladie m’avait enfermée dans une longue nuit silencieuse, et l’hôpital ne m’en a pas sortie, au contraire. Derrière ses portes fermées à clés, c’est le règne du silence et des paroles fausses. Une fois passée cette porte, je n’étais plus rien, ma parole n’avait plus de valeur. J’étais folle. J’étais juste folle.

Je me demande souvent si les soignants se rendent compte de la souffrance que ce sentiment fait naître, être considérée juste comme une folle, niée dans son individualité, dans sa parole, confrontée à des règles arbitraires. Ou s’ils s’en fichent. Ou si ça les fait rire. Ou si ça les fait se sentir puissants. Je ne sais pas ce qui est pire.

J’ai été hospitalisée il y a vingt ans, et j’en ai toujours le ventre noué, de cet endroit carcéral et de la fragile jeune fille  brisée que j’étais. Les forces sont tellement inégales. Une folle sans parole face à l’institution toute puissante. J’ai râlé, j’ai pleuré, et puis j’ai souris et j’ai fait semblant. Parce que c’était la seule réponse possible. Tu dois être ce qu’ils veulent que tu sois, parce que tes mots n’ont pas de poids.

Parce que tu es juste une folle. Pas une personne.

 

« Soigner les fous », Michel Caire, Nouveau Monde

Présentation de l’éditeur

Le mot de « psychiatrie », la « médecine de l’âme », ne date que du début du XIXe siècle. Il recouvre toutefois un ensemble d’observations et de pratiques remontant à la plus haute Antiquité, dont Hippocrate et Gallien ont réalisé une vaste synthèse en fondant la théorie des humeurs, base d’une approche nouvelle, prescrivant aux médecins de rétablir un équilibre corrompu chez leurs malades.
Aux traitements médicaux, exercices physiques, diète, bains, purgations a longtemps été associé le recours à Dieu et à ses saints, dans le cadre de pèlerinages et de séances d’exorcisme. Et si la médecine reconnaît ensuite que la folie est curable, elle recourt à des traitements d’immersion, de secousse, d’électrisation, à des prescriptions visant à remplacer le mal par le mal, à des machines rotatoires qui, pour avoir souvent été expérimentés par les praticiens eux-mêmes, n’ont souvent rien à envier aux méthodes des périodes antérieures. À cette époque aussi, la sexualité peut constituer un dérèglement psychiatrique… comme un traitement.
Après la période des traitements de choc et de la chirurgie du cerveau, ce n’est qu’au milieu du XXe siècle qu’apparaissent les psychothérapies, les physiothérapies et les médicaments psychotropes efficaces… bien qu’ils ne soient pas tous sans dangers !
Des remèdes ancestraux les plus insolites aux médications récentes, l’auteur nous offre un panorama inédit et fascinant de la psychiatrie à travers l’Histoire.

Biographie de l’auteur

Psychiatre hospitalier à Paris et ancien président de la Société médicale des psychiatres des hôpitaux, Michel Caire est également docteur en histoire à l’Ecole pratique des hautes études.

Rien sur nous sans nous

Quelque chose qui me met en colère, mais vraiment en colère, c’est quand les gens pensent que les malades psys ne se rendent compte de rien.

Dans 28 minutes, sur Arte, une journaliste s’étonne que les patients eux-mêmes se rendent compte des problèmes de la psychiatrie.

Mais vous croyez quoi, à la fin? Qu’on est débile, comme le disait Ruffin dans son livre? Qu’on est des plantes vertes, comme le disait un autre journaliste en parlant du pilote qui s’est suicidé à bord de son avion et qui aurait dû prendre ses médicaments pour « devenir une espèce de plante verte »?

Eh bien, non!

Oui, on se rend compte des problèmes de la psychiatrie. On le voit, quand les soignants n’ont plus le temps de nous parler. On le sent quand on est surshooté pour qu’ils aient la paix. Ceux qui sont attachés, isolés, ils le ressentent de leur chair les dysfonctionnements de la psychiatrie. Vous croyez quoi? Que parce qu’on entend des voix ou qu’on a des troubles de l’humeur, on ne sent plus les liens sur nos membres, les démangeaisons qu’on ne peut pas gratter parce qu’on est immobilisés? Qu’on ne remarque pas que la porte de la chambre ou du service est fermée à clé? Qu’on n’a aucune distraction, qu’on prend du pouvoir sur nous, qu’on nous dicte notre conduite, vous pensez qu’on ne s’en rend pas compte? Qu’on nous prenne nos vêtements, nos affaires, notre téléphone, vous croyez vraiment que ça ne nous fait rien?

Vous le prendriez comment, vous, tout ça? Laissez-moi deviner… mal. Eh bien nous aussi, surtout qu’à la base, on est beaucoup à être hypersensibles. Et qu’en crise, c’est encore pire. On n’est pas moins humains que vous, on n’est pas moins sensibles que vous, on n’est pas moins intelligents que vous.

Il faut vraiment arrêter avec ça, avec « ils ne se rendent compte de rien, ils ne ressentent rien ». Il faut arrêter de prendre ça comme postulat de départ pour ne même pas chercher à avoir notre avis, à nous inviter dans vos émissions sur nous, dans vos articles, vos livres, vos discours sur nous. Il faut arrêter de parler de nous sans nous.

Et puis c’est bien pratique, ce postulat, pour continuer à attacher, à enfermer, à mépriser. On ne le supporterait pour aucune autre catégorie de la population, mais les fous, hein, ils ne ressentent rien, alors c’est pas très grave. Eh bien si, c’est très grave.

On ressent tout et on en a marre.

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