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Témoignage d’Aëolienne

Suite à de nombreux traumatismes, notamment des abus sexuels, j’ai commencé à l’âge de 13/14 ans à me dissocier très fort et à me replier sur moi même. Avant cette période, je n’étais pas une enfant très sociable mais lorsque la dépression et le PTSD ont commencé à s’installer, tout a empiré.
J’investissais en revanche une forme de monde intérieur pour fuir le réel (que je ne comprenais même pas). De toute façon, j’avais l’impression que ce « dehors », là, n’existait pas. Lorsque je regardais ma main, ce n’était pas « ma » main, c’était un carré de peau rempli pourvu de traits verticaux qui se mouvaient tous seuls. Je marchais au dessus de mon corps. Parfois, je marchais en apesanteur. Mes capacités d’attention ont commencé à être affectées et lorsque je parlais aux adultes de ce qui m’arrivait, parce que ça me terrorisait, on me disait que j’inventais et que j’avais trouvé tout ça sur internet.
J’ai fini par m’habituer à cette idée que rien n’existait, ni mon corps ni le monde, et qu’après tout j’avais bien mes bouquins, ma musique, mon monde à moi.
Est arrivé le procès et le psychiatre. Mon premier bon psychiatre et une adorable psychologue aussi, à qui j’ai pu parler de mes traumatismes pour la première fois. Anti dépresseurs, benzodiazépines. Suivi psychomoteur pour la dissociation. Vers mes 17 ans, j’ai commencé à aller mieux, la dissociation diminuait et je reprenais l’école suite à une année de déscolarisation à cause d’évitement social et des effets secondaires du traitement. J’ai commencé à reprendre espoir : les mauvaises personnes étaient loin de moi grâce à la justice, je me sentais de nouveau « là », « vivante » et j’avais envie de faire des études. Mais un nouveau problème a commencé à émerger : si la dissociation était de moins en moins forte la plupart du temps, j’avais des périodes où elle revenait en force d’un seul coup jusqu’à ce que je commence à faire des crises d’angoisse étranges…
Durant ces crises d’angoisse, j’avais l’impression d’être submergée par une terreur sans nom. Le monde s’effondrait. Ma tête s’effondrait. Je cessais d’exister et j’éclatais de partout en même temps : je me sentais enfermée dans ma tête tandis qu’elle explosait, tandis que « mon esprit » éclatait en morceaux qui eux, partaient dans l’espace. J’avais l’impression, aussi, que mon corps était coupé et que j’avais perdu des membres ou des bouts quelque part. Ces crises duraient quelque heures et me laissais épuisée pendant des semaines, des semaines où je ne voulais parler à personne, où j’avais peur de chaque chose qui bouge, où le danger était partout. Je ne pouvais pas expliquer ça. J’avais honte, j’étais incapable de mettre les mots là dessus et de toute façon je vivais avec la peur de tout inventer pour demander de l’attention, d’être un gouffre vide et sale qui ne mérite pas qu’on fasse attention à sa pseudo-souffrance.
Les crises sont devenues de plus en plus fortes et fréquentes. J’avançais vers mes 18 ans à cette période et si j’arrivais enfin à mettre les mots sur des émotions aussi fortes, j’avais toujours autant peur d’en parler. J’avais peur aussi d’avoir un cerveau cassé par les gens qui m’avaient fait du mal, comme si je portais la saleté qu’ils avaient déposé sur moi.
Mais de bonnes nouvelles sont arrivées. Mes petites sœurs ont commencé à aller mieux et j’ai eu de vrais amis. De vrais amis, ça veut dire des gens avec qui j’avais le droit d’être vulnérable en toute sécurité et c’était nouveau pour moi. J’ai réussi à leur parler de tout ce que j’avais en moi et j’ai été accueillie, ça m’a fait un bien fou. Les crises ont alors diminué même si les symptômes du traumatisme étaient encore compliqués à gérer pour moi. J’ai réussi à me stabiliser et à arrêter les antidépresseurs. Mes psys ont commencé à se questionner sur l’origine de ces crises avant de conclure qu’il s’agissait d’angoisses archaïques de morcellement.
Aujourd’hui j’ai 19 ans et je m’en sors. J’ai toujours des crises qui me détruisent mais je commence à comprendre doucement comment ça fonctionne et à guérir mes blessures. Les psys ne m’ont jamais diagnostiquée psychotique et on a gardé l’idée des angoisses archaïques. Par ailleurs ces dernières ont évolué. Par exemple, la dernière fois que c’est arrivé, c’était pendant la nuit. C’est monté, monté pendant des heures. Au début, je me sentais simplement sale, puis après j’ai eu l’impression d’être couverte d’une substance visqueuse. Puis j’ai commencé à sentir que je pourrissais de l’intérieur, littéralement. Une sorte de nécrose qui me rongeait les organes. J’étais terrorisée et je ne pouvais rien faire pour empêcher ça. Quand le monde a commencé à pourrir aussi et que j’avais du mal à respirer, j’ai réveillé quelqu’un et j’ai fait un malaise.
De même, par exemple, j’ai toujours du mal avec la foule et les grands espaces. Ce regard des autres qui m’envahit, me transperce, rentre à l’intérieur de ma tête. D’une part, dans de si grands espaces, je ne sais pas où placer mon corps, mais la foule fait que j’ai l’impression que les corps des autres perdent le mien dans un amas grouillant et terrorisant. Ils envahissent ma tête, mon corps, je suis submergée et je tétanise.
Aujourd’hui je vais mieux en grande partie grâce à mon entourage mais aussi parce que j’arrive à relever les éléments déclencheurs et à comprendre que j’ai besoin de douceur vis à vis de moi même. J’ai une vie très ritualisée et dès que je sors de chez moi, dès que je perds les habitudes qui me permettent de trouver des repères avec mon corps et le monde, comme le sport, ma chambre ou mes rituels, la crise n’est pas très loin si je ne parviens pas à compenser. Trop d’agitation ou d’anxiété, trop d’espace, pas assez de contenance sont aussi des déclencheurs. De même, lorsque je commence à avoir des idées un peu « étranges » (même si dans ma tête elles sont tout à fait logiques), comme par exemple l’impression que la pourriture dans la rue ou sur les aliments sont une forme de corruption du monde, c’est que ça ne tourne pas rond. Depuis que j’ai compris tout ça, j’ai commencé à déculpabiliser : non Aëolienne, tu ne fais pas semblant, tu es juste traumatisée et tu as besoin de douceur, maintenant.

L’angoisse au quotidien

Parfois, on me demande pourquoi je me dis encore schizophrène en dehors des épisodes psychotiques.

Déjà, parce que sans mon traitement, les épisodes psychotiques reviennent. Ensuite, parce que j’ai vraiment l’impression de vivre avec une maladie chronique au quotidien. Pas une maladie invalidante, mais une maladie fatigante. Mon quotidien, c’est l’angoisse. J’ai beau augmenter mon traitement, je suis angoissée. Pas anxieuse à propos de tel ou tel éventuel problème, c’est une angoisse sans objet. Un fonds d’angoisse permanent. Je ne m’y habitue pas, c’est toujours aussi pénible. Les années passent, l’angoisse reste. Ce ne sont pas les crises d’angoisses violentes que j’ai connues quand j’étais en crise psychotique, c’est une angoisse doucement dévorante. Une angoisse gluante, qui colle à mes pas. Une angoisse qui n’est pas insupportable mais dont la durée épuise. Je me réveille angoissée, je m’endors angoissée. Je fume, je fume et je suis toujours angoissée. Je travaille, je ris, je souris, mais je suis angoissée.

C’est le résidu de la schizophrénie, ce que mon traitement n’arrive pas à anéantir. C’est mon quotidien, c’est ma condamnation.

Et c’est dur.

La différence entre l’anxiété et l’angoisse psychotique

Oui, encore un billet sur l’angoisse psychotique, mais je me rends compte qu’elle est très mal comprise et qu’une troisième mise au point n’est pas de trop. Il va de soi qu’il ne s’agit pas d’une définition médicale mais plutôt d’une définition personnelle.

On m’a demandé ce soir si je ne pouvais pas gérer mes angoisses psychotiques en respirant un bon coup et en me raisonnant. La réponse est non.

Il m’arrive d’être anxieuse. Notamment au sujet de l’avenir, des gens qui vont mourir, de la perte éventuelle de mon travail, etc. J’arrive assez bien à me raisonner, en me disant qu’il ne sert à rien de s’inquiéter pour quelque chose qui n’existe pas encore et n’existera peut-être jamais. Il m’arrive aussi d’être en état d’hypervigilance, de sursauter au moindre bruit, de me sentir en danger à l’extérieur. J’arrive assez bien à gérer aussi, en respirant calmement et en rentrant chez moi, à l’abri, pour me calmer.

Les angoisses psychotiques, c’est tout autre chose. C’est une vague, une déferlante, quelque chose qui prend aux tripes et démolit complètement. On ne peut pas se battre contre, tout comme on ne peut pas se battre contre un tsunami. On peut juste se laisser submerger. Voilà quelques exemples d’angoisses psychotiques que j’ai vécues:

-des angoisses de morcellement et des angoisses liées au corps: l’impression d’avoir des membres coupés, des yeux derrière la tête, l’impression de ne plus avoir de peau.

-des angoisses de transparence: l’impression qu’on pouvait passer à travers moi, qu’on me volait mes pensées

-des angoisses d’anéantissement: l’impression de m’effondrer

-des angoisses de vidage: la sensation que mon cerveau s’écoulait de ma boîte crânienne, la peur que les moustiques me vident de mon sang.

Face à de telles angoisses, respirer un bon coup ne suffit pas. Dans mon cas, seuls les neuroleptiques me soulagent.

« Audrey retrouvée », Sophie Kinsella, Pocket jeunesse

Présentation de l’éditeur

Audrey a 14 ans. Elle souffre de troubles anxieux. Elle vit cachée derrière ses lunettes noires, recluse dans la maison de ses parents à Londres. Ça, c’était avant. Avant que Dr Sarah, son psychiatre, lui demande de tourner un film sur sa famille, pour voir la vie d’un oeil nouveau : celui de la caméra. Avant que Linus, un copain de son frère, débarque. Avec son grand sourire et ses drôles de petits mots griffonnés sur le coin d’une feuille, il va pousser Audrey à sortir. Et à redécouvrir le monde…  » Audrey retrouvée est un de ces livres qui vous laissent sans voix, et impatient de lire très vite un autre roman jeune adulte de Sophie Kinsella.  » The Guardian

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Biographie de l’auteur

Âgée d’une quarantaine d’années, Sophie Kinsella est née à Londres où elle vit toujours avec son mari et ses cinq enfants. Elle est devenue écrivain, après avoir été journaliste financière. Elle a aujourd’hui publié une vingtaine de romans à succès, dont Confessions d’une accro du shopping, adapté au cinéma en 2009.

« Baby Jane », Sofi Oksanen, Stock

Qu’est-il arrivé à Piki, la fille la plus cool d’Helsinki, qui vit désormais recluse dans son appartement ? Submergée par de terribles crises d’angoisse, elle ne parvient plus à faire face au quotidien. Sans compter les problèmes financiers. Comment gagner sa vie lorsqu’on refuse d’interagir avec le monde ? La narratrice, son grand amour, est prête à tous les sacrifices, les renoncements, pour la sauver. Ensemble, elles vont monter une entreprise d’un goût douteux pour exploiter la faiblesse des hommes. Amour, prozac et folie ordinaire sont au coeur du deuxième roman de Sofi Oksanen.

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« Ca n’a pas l’air d’aller du tout! », Olivia Hagimont, Odile Jacob

Présentation de l’éditeur

Comment faire rire et transmettre un message positif à partir d un sujet qui n a rien de drôle et qui touche une multitude de personnes : le trouble panique ? C est tout le projet de cette bande dessinée psy. Olivia met en scène, de façon humoristique et décalée, ce trouble qui l a fortement perturbée pendant une période de sa vie. On suit son personnage drôle, ultra-féminin, dans la progression du trouble, la désocialisation, le séjour en hôpital psychiatrique, le traitement médicamenteux et ses effets secondaires, et la thérapie qui l aide à s en sortir.

Le projet véhicule un vrai message d optimisme. On peut souffrir du trouble panique mais réussir à surmonter ses peurs, grâce aux thérapies cognitives et comportementales. Et comment mieux aborder la maladie qu en commençant par la dédramatiser ? Car c est bien la trajectoire d une guérison que nous offre ce personnage, dans un esprit très « girly ».

En plus de l histoire, un petit cahier co-écrit avec Christophe André donne des conseils pour faire face à la crise de trouble panique, les clés pour comprendre le mécanisme de la peur et les thérapies qui permettent de guérir.

 Ca n'a pas l'air d'aller du tout où comment les crises de panique me sont tombées dessus

Biographie de l’auteur

Olivia Hagimont est dessinatrice, blogueuse BD (http://blog.oliviaaparis.com/), peintre.

 

L’angoisse psychotique, encore

Ton angoisse, celle qu’ils ont la chance de ne pas mesurer, est-ce que tu peux leur dire? Leur expliquer?

Non, quand je cherche, c’est le vide dans ma tête, pas de mots, rien, le vide, l’indicible. Une impression de regarder partout et de ne rien trouver à quoi s’accrocher. Un puits sans mots comme l’angoisse est un puits sans fond. Une destruction du monde. Une emprise sur tout le corps. Des tremblements. Une chute.

imagesAssise par terre. Devant ton lit. Dans la douche. Dans un coin de la salle-de-bains. Sur une marche d’escalier. Dans un coin de la chambre. A l’hôpital, dans le couloir. Assise par terre n’importe où. Debout sans jambes, tu vas tomber. Assise dans le train, tu n’imagines pas comment tu pourrais te lever pour descendre à la gare.

Pleurer dans les toilettes. Avant un examen. A une fête. Au travail. Pleurer dans la rue. Au cours. Devant les gens. Pleurer partout, parce que ça rend un peu plus léger. La souffrance a un nom et on pleure dessus. On la comprend, on la ressent, elle déchire mais les larmes, les gens les comprennent, au moins les larmes.

La main en sang. Le poignet en sang. Le pull trempé de sang, le doigt qui dégouline sans s’arrêter. Parce que ça fait mal et que c’est toi qui provoque ce mal. Tu le contrôles. Tu le regardes, tu le soignes, tu le caches, tu l’admires, il est beau, il est ta blessure que tu peux enfin voir en face. Tu gardes tes ciseaux tâchés, tu as un morceau de verre dans ton portefeuille, et une boîte avec un verre cassé, pour choisir les débris qui coupent le mieux. Tu casses même une bouteuille qui traîne par terre dans la nuit. Tu ne te soignes jamais qu’avec un peu d’eau. Il ne faut pas que ça guérisse trop vite. Il faut que ça ressemble au moins un tout petit peu à ta douleur intérieure.

Mais qu’est-ce que j’ai dit de l’angoisse? Rien. Elle te jette à terre. Elle te dévore. Elle t’envahit, te brise, te transperce, te prends ton corps et ton esprit. Elle fait chavirer le monde. Elle te donne envie de hurler et te paralyse. Elle te cloue là où tu es. Elle est toi. Tu n’es plus qu’elle.

Mais je n’ai toujours rien dit de cette angoisse. Elle ne connaît pas les mots, elle est au-delà du langage, de la raison, de la vie. Elle est en schizophrénie et il n’y a pas de mots là-bas.

L’angoisse psychotique

Qu’est-ce que la souffrance psychotique a de particulier par rapport à la souffrance inhérente à la condition de chaque être humain?

Je ne prétends pas répondre ici à cette question, c’est impossible, mais essayer de faire comprendre un tout petit peu cette souffrance. J’ai participé à un forum de psychiatrie ce week-end et c’est la réflexion de la mère d’un schizophrène qui m’a fait réfléchir à cela. On parlait des équipes mobiles, qui pourraient se rendre à domicile quand quelqu’un est en crise. Elle disait qu’il fallait qu’ils s’occupent aussi des proches, qui souffrent beaucoup. Je lui ai répondu que l’urgence était pour le patient, sachant que ces équipes seront peut-être très sollicitées et que les proches pouvaient attendre un rendez-vous avec un psy. Elle n’était pas d’accord.

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Je ne nie pas la souffrance des proches, qui est souvent très grande. Je le sais pour l’avoir vécu lors de l’hospitalisation d’un ami proche. Mais, à moins que la personne en soit à tenter de se suicider, je pense qu’elle ne relève pas de la même urgence que la crise psychotique. Voir quelqu’un qu’on aime souffrir est terrible, mais cette souffrance reste la plupart du temps de l’ordre de la souffrance commune à toute l’humanité. La souffrance psychotique n’est pas seulement cette douleur, ce poids, ces larmes, c’est aussi un effondrement total de l’être et du monde. On n’a souvent plus rien à quoi se raccrocher dans la souffrance psychotique. L’angoisse coupe les jambes, envahit tout le corps, anéantit notre psychisme, qui est totalement soumis à cette angoisse. Nous n’avons plus aucune défense, plus de corps sur lequel s’appuyer, le monde se fond en nous, les autres nous envahissent, il n’y a plus de barrières. Les hallucinations ne nous laissent pas de répit et le délire nous empêche d’avoir la moindre tranquillité d’esprit. Il n’y a pas une seconde de répit. Notre corps et notre esprit se désintègrent littéralement dans l’angoisse, au milieu d’un monde mouvant. Cette souffrance est insupportable et on ne peut la partager avec personne. Voilà pourquoi elle relève de l’urgence et est incomparable avec la souffrance humaine « normale », qui aussi dure soit-elle, n’envoie pas tout notre être se fondre dans le néant.

Folie psychotique contre folie bureaucratique

Ca fait mal d’entendre ce mot lancé comme ça, sans précaution. Schizophrénie. Mais au fond je m’en doutais. La vérité en face fait toujours mal, mais au moins cette fois on va me croire, on va me soigner.

Mais Lucia dit non, en rien. Elle discute avec son assistante, lui parlant des symptômes que je n’ai pas. Comment le sait-elle après si peu de temps, je ne sais pas, parce que moi je crois bien que je les ai ces symptômes. Mais Lucia dit que la voix qui m’a poursuivie pendant des jours étaient la mienne, je suis dépressive, voilà tout. Peut-être que je devrais lui parler des statues du musées avec leurs têtes égorgées, ou lui dire que je n’étais pas dépressive avant l’Orfidal, enfin pas cette année, c’est vrai je l’ai déjà été, mais… Elle interrompt mes pensées, me dit que je dois arrêter l’Orfidal et prendre du Prisdal, c’est un antidépresseur. Ca ira mieux avec ça. Je vais aller chez la psychologue, elle me donne rendez-vous dans deux mois et me dit que je peux demander à avancer le rendez-vous si ça ne va pas, ou même venir aux urgences.

Bon, il y a du progrès, et j’ai l’autorisation de demander de l’aide, ce qui n’est pas rien pour moi, car il me semble toujours ne pas en avoir le droit.

Je vais au centre de santé mentale, d’abord voir une infirmière. Je lui parle sincèrement cette fois, je lui dis tout. Elle me demande si je suis triste d’être loin de chez moi. Non, pas du tout, au contraire. Je lui parle des taches de sauce tomate que j’ai vu sur un tee-shirt que j’accrochais au fil à linge,  je ne comprenais pas comment elles étaient apparues, et quand je suis revenue, elles n’y étaient plus. C’est débile comme hallucination, mais ça m’a rendu dingue. Je ne voulais pas y croire, alors j’ai voulu vérifier sur les autres tee-shirts, j’ai vidée toute mon armoire, jetant tout à terre en pleurant, pour retrouver un tee-shirt tâché qui n’existait pas. Et aussi des statues. Et aussi de la voix. Et de comment je l’ai tuée contre le lavabo. J’arrête de ne plus vouloir passer pour une folle, je m’en fous, je veux juste qu’on fasse quelque chose pour moi. Elle est gentille, cette infirmière, elle m’écoute vraiment, et je vois bien qu’elle prend les choses au sérieux. Elle me dit que je vais voir la psychologue, mais que dans mon cas, la psychiatre sera sans doute mieux.

J’ai aussi arrêté l’Orfidal comme me l’a dit Lucia. Du jour au lendemain. Elle ne m’a rien précisé. Pendant deux ou trois jours, je suis en manque, c’est affreux, je tremble, je me gratte les bras, je ne dors presque pas, quand je dors je fais des cauchemars. Dans mon lit, pendant mes insomnies, je ne pense qu’à une chose « je veux un Orfidal, je veux un Orfidal, s’il te plaît, s’il te plaît », je tends la main vers mon bureau où est le reste des comprimés, je me supplie de céder, mais je ne le fais pas, parce que sinon tout sera à recommencer, toute cette souffrance du manque, il faudra repasser par là puisque je ne vais pas prendre ce médicament toute ma vie. Ca m’a vaccinée contre la drogue pour le reste de mes jours, je crois. En tout cas, depuis je n’ai plus jamais pris de benzo plus de deux soirs de suite.

Le jour de mon rendez-vous chez la psychologue, une amie vient avec moi. J’apprécie beaucoup son geste. La psychologue ouvre la porte de son bureau et je me recule, je baisse la tête. Il y a au moins trois ou quatre posters de papillons. Je ne peux pas entrer là-dedans, c’est impossible. Qu’est-ce que c’est que cette passion qu’ils ont dans ce pays pour ces horribles posters, il y en a partout, à la fac, à la banque, et même ici. Claire explique à la psychologue que j’ai la phobie des papillons. Celle-ci me rassure, ce n’est pas là qu’elle va me voir. Elle aussi m’écoute beaucoup, elle écrit une longue lettre pour Lucia, avec tout ce que je ne lui ai pas dit. Elle me dit qu’elle ne peut rien faire pour moi, que j’ai besoin d’urgence d’un psychiatre et d’un traitement médicamenteux adapté. Je dois retourner à l’hôpital, demander qu’on avance mon rendez-vous. Comme toujours, la case urgent est cochée sur mes papiers.

Je revois donc Lucia. Elle me fascine, depuis la première fois où je l’ai vue. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce qu’elle s’est penchée doucement en me disant « Hay que contarme », peut-être parce qu’elle n’était pas muette et hautaine comme les deux psychiatres que j’avais vu deux ans auparavant. Je n’en sais rien, mais je ne peux m’empêcher de penser à elle. Elle ne comprend pas pourquoi les antidépresseurs ne font aucun effet, elle augmente la dose. Elle me dit que la psychologue croit que je suis schizophrène. Est-ce que je sais ce que c’est? Oui. En réalité, à part la définition du Que sais-je? sur les maladies mentales, je n’en sais pas grand-chose. Elle n’est pas d’accord avec elle. Je vais prendre mes antidépresseurs et revenir dans deux mois. Comme la psychologue pense que je n’ai pas besoin de suivi psychologique, on va se limiter à ça. Je panique complètement. Deux mois? Deux mois sans personne? Avec des médicaments qui ne m’aident pas? Je ne peux pas, non, c’est impossible, je ne vais pas y arriver. Je n’en peux plus que personne ne me croie, ne veuille m’aider. Mais je ne dis rien.

Je sors, accablée, à bout. Je m’assieds sur un banc face à l’hôpital, j’ouvre la lettre que la psychologue a écrit pour Lucia et qu’elle m’a rendue. J’ai aussi une lettre de Lucia pour le médecin généraliste, qui dit que, étant donné le rejet du centre de santé mentale, je n’ai pas besoin de suivi. La lettre de la psychologue est illisible, le seul mot que j’arrive à lire est « psychotique ». Alors je pleure, je pleure sur cette lettre, sur mon sort, sur mon abandon, je suis perdue, je ne sais plus vers qui me tourner. Je n’ai jamais été aussi mal de ma vie, et ce n’est pas peu dire. La mélancolie était une souffrance infinie, mais les choses étaient claires: je devais mourir, je ne m’en sortirais jamais. Tandis que cette fois, je deviens folle, je perds complètement pied, je ne comprends plus rien et j’ai peur, j’ai si peur. Ce mot, psychotique, me dit que je vais devenir complètement folle et finir ma vie ne psychiatrie, et mlagré ça, personne ne veut me soigner. Ca aussi c’est de la folie.

Mes amies me disent de retourner chez le médecin. J’arrive dans la salle d’attente, ma lettre toujours en main, et je ne peux pas m’empêcher de pleurer. Une infirmière passe, me regarde et s’en va. J’ai pourtant tellement besoin que quelqu’un me parle. Une autre a pitié de moi. Elle croit que je pleure parce que je suis loin de chez moi, je dis non, je pleure parce que je suis malade et que personne ne veut me soigner. Elle me dit qu’il faut du temps pour pouvoir voir un spécialiste, mais j’en ai déjà vu un, etc… et je continue à pleurer. Les gens qui étaient dans la salle d’attente avant moi me cèdent leur place, vas-y avant nous. Je les remercie, il y a encore des gens humains, même si ce ne sont pas eux qui vont me soigner, mais leur geste me touche. Me revoila devant le médecin. Il ne peut rien faire pour moi, je n’ai pas besoin de suivi psychologique, c’est écrit. Non, la psychologue a dit que je devais être suivi par un psychiatre, c’est différent. Oui, mais Lucia a écrit… Cette situation devient ridicule au plus haut point, mais je suis tellement loin que je n’arrive plus à me battre. Il me dit de prendre mon Orfidal. Non, c’est une drogue. Pas du tout. Si. Non, ça ne crée aucune dépendance. Mais est-ce que quelqu’un ici va finir par m’écouter? Entre lui qui ment et Lucia qui a décidé que j’étais dépressive et ne veut rien savoir d’autre, que puis-je faire pour faire bouger les choses? L’assitante se tourne vers le médecin et lui demande à haute voix, comme si je ne comprenais rien: Qu’est-ce qu’elle veut? Mais putain, je veux qu’on me soigne, est-ce que quelqu’un peut comprendre ça??? Mais je me tais. Le médecin me dit que je n’ai qu’à retourner chez la psychologue. Qui m’envoit chez Lucia demander un rendez-vous, celle-ci me dit que ce n’est pas son rôle de parler avec moi, je dois retourner chez la psychologue. Ah tiens, j’en ai besoin, maintenant. Elle veut surtout se débarasser de moi. Mais je l’aime toujours et je suis heureuse quand je la vois, même quelques secondes. Donc je retourne chez la psychologue. Qui dit la même chose, et me fait une lettre pour le service des rendez-vous, précisant que c’est très urgent. Là, on m’avance mon rendez-vous. Super. C’est quand? Dans sept semaines? Pardon? Mon rendez-vous est dans huit semaines et on me l’avance d’une seule semaine? Je m’énerve, ce n’est pas possible. Il est marqué urgent, vous voyez ça? Urgent! La dame me dit d’aller voir directement Lucia pour en parler avec elle. Vu la façon dont elle ma reçue la dernière fois, ça ne risque pas de donner grand-chose, mais je fais ce que m’on dit. Je vais encore une fois traîner mes dernières forces là où on m’envoie comme un paquet indésirable.

Le couloir est plein de patients. Je m’assieds sur la large appui de fenêtres, la tête sur les genoux, recroquevillée dans un coin. Je suis si angoissée que je n’entends plus que des brouhahas, que je vois les murs et le plafond sur refermer sur moi, je n’ai plus la conscience de ce qui se passe autour de moi. Je sors mon kit d’automutilation d’urgence, c’est-à-dire le morceau de verre que j’ai dans mon portefeuille, je me coupe le bout du doigt, juste un peu, histoire de faire diversion et d’avoir une chose sur laquelle me concentrer. Le temps passe, peut-être bien deux heures, mais je ne me rends compte de rien. Je sais qu’à un moment je tourne la tête et qu’il n’y a plus un seul patient dans le couloir. L’assitante sort et cite un nom. Un patient qui n’est pas là. C’est l’occasion. Je lui explique le problème, disant que c’est le secrétariat qui m’envoie. Elle va demander à Lucia et revient en me disant qu’elle ne veut pas me voir. Là, c’est trop. Je suis à bouts, réellement à bouts, j’ai plus ou moins réussi à me tenir jusqu’ici, mais c’est fini. Je m’écroule en pleurs, l’assistante dit qu’elle ne comprend pas ce que je dit, me demande de répèter. Je me lève, la tête toujours dans les mains, je crie pourquoi personne ne veut me soigner, pourquoi on ne veut jamais me soigner, et je me tape la tête contre les murs. Il ne me reste que ça, tourner le dos à ces gens, puisque un autre patient est arrivé entre temps, pleurer et me frapper la tête contre les murs, parler en français puisque de toute façon ça n’a pas d’importance qu’on me comprenne ou non.

Je ne peux pas choisir entre la mélancolie et l’angoisse

En Espagne, au début, la maladie m’a oubliée. J’espère même qu’elle est restée derrière moi, à 2000 kilomètres de là. Mais non, évidemment, elle était juste distraite par cette nouvelle vie. Elle me retrouve rapidement, au huitième étage de notre immeuble, dans la rue, sur les bancs de la fac, sur la Plaza Mayor et gâche tous ces moments que les autres trouvent tellement agréables.

Je dois faire quelque chose. Je le sais, ça fait trois ans que ça dure, c’est pire à chaque fois, je sais maintenant que je ne m’en sortirai pas si facilement, qu’elle ne s’en va que pour mieux me rattraper. Et puis cette fois, je joue vraiment ma vie. A cette époque, le gouvernement avait décreté qu’on avait trois ans pour faire ses deux premières années d’études supérieures, par mesure d’économie. La maladie avait fait de moi un fantôme en première année, et avait eu la grâce de me laisser tranquille quand je l’ai recommencée. Si tranquille que, moi qui me pensais définitivement bête, j’avais réussi brillamment, et j’avais eu cette bourse pour étudier en Espagne en récompense. Donc, c’était une chose de rater ma première année, c’était normal, je m’y attendais après tout. Mais maintenant que je faisais partie de ces gens que j’admirais, ceux qui ont une « dis », un 14/20 de moyenne au moins, ces gens dont il me semblait totalement inconcevable de faire partie, au point que quand je l’ai appris j’ai cru à une erreur, maintenant je n’avais plus le droit de rater. Ni aux yeux de l’Etat qui ne me laisserait pas d’autre chance, ni aux miens, je n’étais plus une incapable qui s’était trompée de route, mais quelqu’un qui avait toute sa place à la fac de lettres, et si j’échouais, oui ce serait vraiment du gâchis.

Mais je fais quoi? Je suis en Espagne, je ne sais même pas demander un pain même si je connais mes subjonctifs sur le bout des doigts,  il est hors de question que je parle de mon état aux filles qui sont parties avec moi, et ma psychologue en Belgique va me dire de revenir ou d’aller voir un médecin. Elle m’avait déconseillée de partir, mais c’était évidemment hors de question pour moi. Elle voulait que je prenne des médicaments, mais ça me faisait peur, je ne voulais pas perdre le contrôle. Mais elle a dit que je pouvais lui écrire. Alors je me décide enfin, après plusieurs jours d’hésitation, sachant très bien que je vais le regretter, mais sachant très bien que je le regretterai aussi si je ne le fais pas. J’attends fébrilement sa lettre, la recevant comme le Graal. Elle me répète la même chose, aller voir un médecin. Je ne veux toujours pas, mais sa lettre me fait du bien, juste parce qu’elle m’a répondu.

Je me dis que je pourrais aller voir un psychologue ici, pourquoi pas, je parle mieux, je me débrouillerai. Et il ne me donnera pas de médicaments. Le problème est l’argent, bien sûr, hors de question d’en demander à mes parents. On m’a dit qu’il y avait des soins gratuits en Espagne. Mais où? Je n’en ai aucune idée. Un jour, en bus, je passe devant un bâtiment avec cette inscription « Salud mental ». Voilà, je vais y aller. Mais j’ai peur, j’ai tellement peur de parler à quiconque, je suis tellement angoissée, comment entrer dans ce bâtiment et dire ce qui m’y amène? Chaque fois que le bus passe par là, je regarde ce bâtiment, je me dis vas-y, mais je n’y arrive pas. Et puis un jour, je prends mon courage à deux mains. Je ne sais plus comment, mais je me retrouve dans le cabinet d’un médecin. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’il me parle en mettant sa main sur mon épaule. Mon angoisse est extrême. Il faut qu’il arrête. Qu’il ne me touche plus. Je ne sens que ça, je ne vois que sa main, je veux partir, je vais hurler s’il n’arrête pas de me toucher. Il me dit que je dois revenir avec mes papiers de mutuelle, qu’il ne peut rien faire sans. Je me dis que ce n’est pas gratuit, qu’il faut que je continue mes recherches ailleurs.

Je devrais peut-être aller demander à l’office du tourisme où on peut se faire soigner gratuitement. Alors je passe devant, je regarde, je pars, je repasse, je rentre chez moi, je n’ai pas osé, encore une défaite, et je me sens tomber de plus en plus. J’ai si peur d’aller poser ma question, de venir avec ma tête de folle qui cherche un psy, car bien sûr ça se verra tout de suite. Je finis par y aller, on me dit d’aller à l’hôpital, que c’est gratuit. D’accord, je vais y aller. Je regarde la grande porte, l’énorme bâtiment, mais j’ai déjà dépensé toute mon énergie à l’office du tourisme, alors je rentre, avec le coeur qui cogne. Là aussi, je passe et je repasse, et puis j’entre enfin, effrayée. Ce jour-là, je suis partie tôt le matin, espérant que personne ne me voie, mais une de mes colocataires s’est levée. Elle me demande où je vais, je dis à l’hôpital et elle semble inquiète. Alors je lui dis, ce n’est pas grave, je suis juste un peu folle, en riant bêtement. Et voilà, mon secret n’en est plus un, quelqu’un sait. Les autres vont savoir. Ca va être horrible, elles vont tout voir. En même temps, je suis un peu soulagée. Mais je m’en veux aussi. Comme d’habitude, je regrette tout, dire et ne pas dire, faire et ne pas faire, je suis déchirée quoique je fasse.

Il y a un homme à l’accueil de l’hôpital, il me demande ce que je cherche. Je dis un psychologue. Il sourit et me répond « si tu veux, je suis un peu psychologue ». Non mais quel con, il ne voit pas que je suis un cadavre debout, il ne voit pas que je ne suis pas une fille à draguer, que je n’ai rien à donner, que les gens me font peur et lui comme les autres. Il me désigne un guichet. On me demande mon adresse et on me dit que je ne suis pas au bon endroit, que la ville est sectorisée et que je dois aller dans un centre de santé près de chez moi, que c’est le médecin généraliste qui choisira de m’envoyer chez un psychologue ou non. Encore une fois, je suis au mauvais endroit, je n’y arriverai jamais, je n’en peux plus. Il faut que j’y aille tout de suite, sinon je n’irai jamais. Aors je le trouve ce centre, je m’assieds sur une chaise et j’entre chez le généraliste.

Tout ça pour ça. Pour arriver devant un médecin, ce que je ne voulais pas. Je lui raconte ce que je peux. Le problème n’est pas la langue, je trouve ça bien même cet écran entre mes émotions et les mots, les mots qui pour une fois ne sont pas les choses, mais ce que j’ai la force de dire, d’expliquer. Il me fait une ordonnance d’Orfidal. C’est du Temesta, mais je ne le sais pas, sinon je crois que j’aurais eu trop peur pour le prendre. Valium, Temesta, ça me fait penser à des gens transformés en légumes. Il me dit de revenir dans quinze jours pour avoir la date de mon rendez-vous chez un psychiatre. Autant dire un siècle, une vie.

J’ai lâché les armes, je rentre et j’avale mon Orfidal. Mon tout premier psychotrope. J’ai vingt ans, déjà bien trop de souffrances derrière moi, d’impasses, alors j’obéis. D’accord, je vais faire ce qu’ils me disent. Je n’ai plus le choix. Ce premier comprimé me plonge dans un sommeil profond presque instantanément. Je dors pendant des heures et quand je me réveille, je ne peux plus m’arrêter de pleurer. L’Orfidal va ma plonger dans une dépression terrible, la mélancolie que je connais si bien, l’enfer de chaque seconde, la mort comme seule solution. Je me dis que je dois attendre quinze jours, que je verrai un psychiatre, que peut-être il m’aidera. Mais je m’en fiche, quand bien même il me guérirait d’un coup de baguette magique, je ne peux tout simplement pas supporter de souffrir à ce point aussi longtemps. Et si j’arrêtais l’Orfidal? Oui, mais alors mes angoisses vont revenir. J’ai une phobie terrible des papillons, et j’ai peur sans cesse, la nuit, le jour, pas besoin d’en voir en vrai, l’horreur absolue est en moi, et l’Orfidal m’en a délivrée. Je n’ai plus la force de rien. Je ne peux pas choisir entre la mélancolie et l’angoisse sans fond. On a choisi pour moi, alors je continue à faire ce qu’on m’a dit.

Et j’attends que les quinze jours, les quinze mille ans, passent, en prenant mes trois comprimés par jour.

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