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Votre monde réel

Moi, j’ai vécu dans l’autre monde. Celui qui n’est pas réel. Celui que vous ignorez, que vous fuyez.

Celui que vous voulez détruire à tout prix, à tout casser, à grand coups de neuroleptiques. Le délire, ça s’éradique, ça ne s’écoute pas, ça ne se respecte pas.

Pour « rétablir la communication », vous êtes prêts à briser quelqu’un, à l’attacher s’il le faut. Pour le faire sortir de son monde, pour qu’il revienne dans le monde réel. Dans votre monde.

Je ne dis pas que l’autre monde était agréable, non. Mais je n’étais pas bonne à attacher pour autant, pas bonne à shooter.

Je lis que quand une femme tue son enfant handicapé, c’est parce qu’il n’aurait pas pu vivre dans le monde réel. Si on ne vit pas dans votre monde, dans le seul et unique monde valable à vos yeux, on est bons à tuer?

Il n’y aurait que votre vie qui en vaille la peine? Que votre vision des choses?

Longtemps, j’ai souffert d’être enfermée dans l’autre monde. Mais je n’étais pas prête à en sortir à tout prix. Rétablir la communication par la contention, comme le prône certains soignants, ça ne m’intéresse pas. Je préfère qu’on me laisse dans mon monde. Je n’ai pas envie de parler avec quelqu’un qui ne peut pas communiquer autrement qu’en attachant. Ni avec quelqu’un qui ne peut aimer qu’en tuant.

Maintenant, je suis soulagée d’avoir vécu dans l’autre monde. Parce que je sais qu’il n’y a pas qu’une réalité.

Sur  un mur de ma chambre, j’ai toujours cette phrase d’un auteur dont j’ai oublié le nom: « Vous sur une rive, moi sur l’autre, nous resterons des étrangers ».

Elle est plus vraie que jamais, quand je lis tous ces commentaires sur cet enfant qui serait un légume (alors qu’il riait), qui ne ferait pas partie du monde réel et donc ne serait pas digne de vivre.

Je lui apporterais juste une correction: « Vous sur une rive, nous sur l’autre, nous resterons des étrangers ». Car je sais que je ne suis plus seule sur cette rive. Et si cette phrase est plus vraie que jamais, tant mieux, finalement, parce que votre monde réel, il fait beaucoup de dégâts, je trouve.

L’autre monde

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Le monde dans lequel je vivais, dans lequel j’étais enfermée. Le monde qui vous
aspire et vous emprisonne une fois que vous avez mis un pied dedans. Ce monde
qui vous fait vivre hors de celui des autres êtres humains, qui vous marque à
jamais, qui fait que plus jamais vous ne serez vraiment de la planète Terre.
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Un monde qui n’est pas une hallucination, un monde uniquement mental mais bien
plus réel que le monde normal.

 

Quand l’espoir d’une ouverture revient: la vue sur le monde réel depuis l’autre monde, ou la vue sur l’autre monde depuis le monde réel

15 janvier 1997

Ecrire pour vivre et vivre pour écrire.
Ecrire pour m’empêcher de m’arracher les cheveux.
Ecrire pour échapper à la Folie.
Les mots seront tes véritables alliés le jour où ils te permettront d’éloigner la Folie quelques instants.
Ne ris pas, ils en sont capables. Je le sais. C’est le seul remède que j’ai à ma disposition.

Je dois arrêter. Arrêter de m’arracher les cheveux. Je leur sacrifie jusqu’à mes livres et mes pages. Ca devient de la folie. Je dirais plutôt que c’est en depuis longtemps. Comment arrêter? Comment?
Me raser? Me lier les mains?
Me tuer?

Et quand ce n’est pas les cheveux, c’est les lèvres ou les ongles.

00h15

J’ai vu le monde tel qu’il sera le jour où l’heure sonnera.
J’ai vu ce qui n’est nulle part.
J’ai vu la fin du monde.
La fin du monde est dans le vent.
La fin du monde est dans la mer.
La fin du monde est dans le noir.
La fin du monde est dans le brouillard.
La fin du monde est dans la neige.
La fin du monde est à marée basse.
Et l’eau vous appelle, vous attire irrésistiblement. Ses bras salés vous enlacent et vos pieds s’enfoncent dans les sables mouvants.
Le vent porte vos murmures.
Vos repères disparaissent rapidement.
Vous êtes seuls face à la mort.
C’est un désert.
Et les lumières, déjà, sont derrière vous.

7 mars 1997

Je ne suis plus seule derrière ma vitre, dans la cage. Quelqu’un est enfermé avec moi. Bien sûr, on ne nous entend toujours pas, et pourtant lui crie plus fort que moi. Mais on se parle et on se comprend. Ses mots ne cherchent pas à réconforter, ils sont francs, pessimistes souvent et pourtant ce sont les seuls qui peuvent me sauver.
Je ne suis plus seule.

Il est la personne qui me fait à la fois le plus de bien et de mal.

19 décembre 1998

Je ne peux pas me couper la main à la scie. C’est la même chose.

Faisons semblant d’être du monde des vivants. Et peut-être que j’en serai à nouveau.

19 mars 1999

C’est l’anniversaire de Jf.

Nadège, tu vas bien? Oui. Je ne veux plus répondre à ces questions. C’est d’être déchirée entre les deux mondes qui me fait souffrir. Je veux apprendre à vivre dans l’autre monde puisque je ne fais pas partie du vrai. Mais est-ce possible? Nadège, est-ce possible, peut-on vivre dans un monde si noir, si violent? J’aimerais le croire, qu’on m’y laisse en paix, tranquille. Alors, c’est l’internement. Et les tourments, l’esprit coupé, tourbillonnant, le mal qui court sous la peau à se l’arracher, qui pèse sur le coeur à se tuer. Ca ne s’arrêtera pas. La seule façon d’avoir le calme dans ce monde est de mourir.

18 avril 1999

As-tu des rêves, Nadège? J’ai des cauchemars, j’ai des rêves de néant. J’ai dans l’esprit une bête noire, glauque et monstrueuse.
As-tu des rêves, ma Nadège? Au moins le rêve d’en finir avec tout ça? Au moins le rêve de dormir tranquille une fois?
Ma Nadège est si belle, si fragile et si forte. Je l’aime tant. Et je pleure de la voir céder, tomber à genoux les mains ensanglantées, ne plus parler, ne plus rien voir, ne même pas mourir.
Et elle supporte ça encore et encore, ça la dévore depuis des mois, des années mais elle est toujours vivante même si ses larmes sont de sang. Elle est seule dans ce monde qui l’oppresse, face à ces gens qui l’étouffent et elle n’arrive pas à crier. Elle s’éloigne, de plus en plus malade et souffrante. Elle marche vers une mer noire où elle espère se noyer, où elle espère s’apaiser. Elle est seule dans un désert de ténèbres, entourée de sang et de monstres. Bientôt, elle n’aura plus assez de force pour se battre. Et personne n’arrive à la tirer de ce monde. Elle est enfermée, emprisonnée à jamais.

19 août 1999

J’ai l’impression que M. ne m’aime plus. Je ne sais pas si c’est vrai ou si c’est moi qui délire mais à cause de cette impression, je ne sais plus quoi lui dire. Je me sens dans un autre monde, un monde qui n’a rien à voir avec celui de mes amis. Un monde de solitude, un monde oppressant, un monde que je ne peux pas dire, même à mon psychologue parce qu’il y a entre nous un mur de brumes, d’ouate. Ce mur m’enferme dans mon monde.

Il faut que j’écrive ce à quoi je pense pour pouvoir lui dire. Ou ce à quoi je rêve. Mais mes rêves sont irracontables et mes rêveries trop personnelles.
Mais je ne sais pas quoi lui dire, moi. J’ai beau réfléchir, rien ne me vient. Et quand il ne parle pas, ça me casse le moral, après je suis mal pendant deux jours.

2 septembre 1999

Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter d’être enfermée dans l’autre monde? Tout ce que je fais dans le monde normal n’est qu’une façade, c’est faux, en vérité je suis ailleurs.

4 septembre 1999

Et je suis si seule dans ce monde où personne ne peut m’atteindre. Je suis enfermée.

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